Ce mercredi constitue le dernier jour de Tamir Pardo à la tête du Mossad. Comment les services secrets israéliens ont-ils été dirigés sous la férule discrète de Pardo, qui a pris la succession du célèbre, mais controversé Meir Dagan? Qui est Yossi Cohen, le conseiller national à la sécurité et l’un des associés les plus proches du Premier Ministre Binayamin Netanyahu et quel type de révolution a t-il apporté au sein de l’organisation lorsqu’il avait pour mission de recruter et de piloter des agents dans le monde entier?
Un élégant poteau de bois brun, désigné comme le « mât du Mossad » ou son totem est respectueusement entreposé dans une pièce fermée dans les quartiers-généraux du Mossad au nord de Tel Aviv. Affiché à l’une de ses extrémités, on retrouve le symbole de l’organisation et sa fameuse devise, empruntée à un verset au Livre des Proverbes (11:14) : : »Lorsqu’il n’y a pas de direction avisée, le peuple succombe ; mais dans la multitude des conseillers, il y a de la sécurité ». Le bas du panneau est encerclé par dix anneaux d’or, chacun d’entre eux portant le nom de l’un des chefs du Mossad qui a achevé son mandat.
Ce mercredi matin, « le Mât du Mossad » recevra un nouveau cercle d’or, le 11ème et le nom du directeur de l’organisation qui termine son mandat ce même jour : Tamir Pardo.
Bien que ces cercles d’or soient identiques, chacun représente un mandat complètement différent. Il y a une grande différence entre celui de Pardo et celui de son prédécesseur, Meir Dagan. Il est raisonnable de supposer que celui de Yossi Cohen, 12ème directeur, et le 7ème à avoir conduit l’essentiel de sa carrière au sein de l’Institut, sera complètement différent, d’abord par la personnalité et les conceptions du métier, mais surtout à cause de l’environnement régional changeant, dans lequel le Mossad doit opérer : la suite et la fin du « Printemps Arabe », le défi très avancé du projet nucléaire iranien et l’influence grandissante de l’Etat Islamique.

Cohen et Netanyahu. Passé maître en matière de relations interpersonnelles, il a gagné la confiance du Premier Ministre, mais est aussi entré en controverses avec d’autres acteurs importants, comme certaines personnalités du Shin Bet, de hauts-responsables de Tsahal et certains hommes politiques (Photo: AFP)
Lorsque Cohen prendra ses fonctions, il écrira une nouvelle page d’histoire : il est le premier Chef du Mossad à s’être élevé et avoir opéré au sein de l’organisation durant presque toutes ses années d’activités, en commandant Junction (Tzomet en Hébreu), le plus gros département de l’organisation qui est responsable du recrutement et du pilotage des agents opérationnels. Traditionnellement, la plupart des directeurs et chefs de bureau du Mossad proviennent de ce Département, mais le Chef de l’organisation lui-même n’a jamais été nommé après en avoir été Directeur.
Cohen est aussi une exception dans l’histoire du fait que, pour la première fois, un chef du Conseil de la Sécurité Nationale est promus à une position plus haute et ne termine pas sa carrière à ce poste.
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Le Mossad dont Yossi Cohen prend la responsabilité, ce mercredi, est une vaste organisation, l’un des plus vastes services de renseignements à travers le monde occidental, qui est confronté à une liste de cibles particulièrement diversifiée et difficile à traiter. Selon la charte du Mossad, les buts de l’organisation sont de : « Recueillir secrètement l’information (stratégique, diplomatique et opérationnelle) au-delà des frontières de l’Etat ; mener des opérations spéciales au-delà des frontières de l’Etat ; empêcher les pays hostiles de développer et de s’armer d’armes non-conventionnelles ; déjouer les activités terroristes contre des cibles juives à l’étranger ; ramener les Juifs des pays qui les empêchent d’immigrer et créer un cadre de défense pour les Juifs dans ces pays. »
La définition de ces objectifs clarifie à quel point le Mossad est différent des autres organisations de renseignements : il est, non seulement, requis pour livrer des renseignements, mais aussi pour mener des opérations spéciales; il est aussi bien responsable des relations en matière de renseignements et des relations diplomatiques avec des pays qui n’ont pas de liens officiels avec Israël ; il est requis, non seulement, pour protéger les citoyens de l’Etat d’Israël, mais se perçoit comme le défenseur de tous les Juifs dans le monde et comme une organisation à laquelle on demande d’aider à exfiltrer les Juifs des pays qui leur sont hostiles.
Il n’y a jamais eu d’autre service de renseignement dans l’histoire du genre humain qui ait été contraint d’être engagé dans autant de missions aussi différentes les unes des autres.
Cohen arrive à ce poste après deux chefs du Mossad prédominants et à l’esprit fort, qui ont façonné l’institution à leur image et selon leurs propres perspectives. En 2002, le Premier Ministre de l’époque, Ariel Sharon a décidé qu’il cherchait quelqu’un ayant « le couteau entre les dents » pour diriger l’organisation et il a décidé d’offrir ce travail à son subordonné et associé dans Tsahal, Meir Dagan.
Après une période qu’on a considéré comme de mise en sommeil, sous le chef du Mossad Efraim Halevy, Dagan a dirigé l’organisation pour la mettre dans un état de tourbillon opérationnel. Il a resserré et souligné la liste des cibles de l’organisation, ouvert l’institution à la coopération avec des pays modérés du Moyen-Orient qui perçoivent la situation dans la région comme la voit Israël et il a essentiellement mis l’accent sur de plus en plus d’opérations. Le Mossad en est sorti comme étant un acteur important vis-à-vis des autres services de renseignements en Israël et vis-à-vis des homologues et collègues aux Etats-Unis et en Europe.

Meir Dagan. Sa passion pour le montage d’opérations spéciales a eu un coût pour Israël (Photo: Gil Yohanan)
Dagan, un homme doté de sens acérés, a réalisé que la guerre se livre contre des ennemis, mais aussi sur les consciences. Les opérations tonitruantes attribuées au Mossad a rendu fiers ses agents et a perpétué le mythe de l’organisation la plus mystérieuse, la plus efficace et meurtrière dans le monde. Après chaque grand titre, s’agissant d’une explosion mystérieuse ou d’une élimination dont personne ne savait qui avait fait le coup, mais supposait que ce ne pouvait être que le Mossad, le site internet de l’institution était presque mis hors-ligne par tant de requêtes et d’afflux de candidats.
Au cours de cette période du mandat de Dagan, Yossi Cohen s’est fait son propre nom comme un météorite dans les cieux du Mossad. Alors, il y a environ une dizaine d’années, nous avons écrit qu’il ferait, un jour, un possible candidat à la tête de l’organisation.
Comme il est interdit d’identifier le nom d’un membre du personnel actif du Mossad, d’après la loi israélienne, nous donnions au responsables importants de l’institution des surnoms devenus officiels. Nous appelions Cohen « le mannequin », du fait de son apparence soignée de bel homme et de sa façon élégante de s’habiller (il était bien le seul à oser porter des chemises roses dans cet environnement ultra-conservateur du Mossad, et avec les boutons de manchette, rien de moins). Ce surnom, qui a plus tard été vertement critiqué comme superficiel et le transformant en objet, était bien reçu et beaucoup au sein du Mossad et de la communauté des renseignements faisaient référence à Cohen de cette façon.
Cohen lui-même, sur le point de rejoindre le Mossad au début des années 1980, avait choisi le surnom opérationnel de « Callan », d’après le dur, brillant et sarcastique héros d’une série d’espionnage des années 1970, qui n’hésitait pas à employer les méthodes les plus agressives, y compris la torture et les assassinats, dans le but de protéger les citoyens du Royaume-Uni. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner que Cohen se percevait comme assez proche de ce « Callan ».
Yossi Cohen a été élevé dans une famille religieuse de Jérusalem et a étudié en yeshiva. Depuis cette période il observe (partiellement) et sa famille (complètement) un style de vie religieux, c’ est un très grand connaisseur de la Mishna et il aime débattre de sagesse et de philosophie juive.
Il a mené à terme une formation complète d’officier-traitant, dans l’une des trois plus importantes formations de l’organisation, où les cadets apprennent à recruter et à diriger des agents. Cohen est ressorti de cette formation grâce à ses aptitudes et était considéré comme un élève particulièrement exceptionnel. L’un des instructeurs de la formation était l’officier-traitant et agent légendaire Yehuda Gil, qui par la suite, a presque entraîné Israël dans une guerre avec la Syrie, en livrant de fausses informations à propos « dun agent au sommet », en plein coeur de l’Etat-Major syrien, qui en réalité n’existait pas, en parlant d’un risque de frappe syrienne préventive.
C’est bien à cause de gens comme Gil et des aptitudes gigantesques de manipulation des officiers-traitants que ces individus et cette profession ont toujours été traités avec une certaine dose de suspicion, que certaines sources considèrent comme la principale raison de non-nomination au poste de chef du Mossad jusqu’à ce jour.
Cohen a servi comme agent-recruteur et officier-traitant à Paris et, plus tard en tant que chef de cette branche du Mossad dans un pays européen différent. Il était perçu comme une étoile montante et a toujours paru quelque peu différent.
Il a, non seulement, accompli un travail qui semble partiellement identique à celui de James Bond, mais ressemblait, agissait et parlait aussi avec la même douceur que James Bond. Cohen a beaucoup de charisme, il est bourré de charme personnel, de capacité à transporter les gens et à comprendre comment les jouer et les manipuler. Mais il est aussi considéré comme un collègue et un patron difficile et exigent, et pas mal de gens qui ont eu l’occasion de travailler avec lui ont subi sa tournure de langage sarcastique. Il n’a aucune honte du fait d’être un commandant ferme et exigeant.
En 2000, il a décidé de prendre un congé sans solde à l’égard de l’institution, pour favoriser les affaires privées et dans le but de consacrer plus de temps à ses enfants, dont Yonathan, qui souffre de paralysie cérébrale (mais s’est encore enrôlé dans Tsahal et y atteint le grade d’officier dans une unité des renseignements). En 2002, Cohen a rejoint le Mossad à un nouveau poste, chef du Centre des Opérations Spéciales, appelé Junction, où il a fait des merveilles et atteint l’excellence.
Faisant partie intégrante du Centre, une nouvelle méthode fascinante a été développée pour adapter à l’ère moderne cette profession déjà ancienne d’agent des opérations. Grâce à la doctrine de combat cofondée et dirigée par Cohen, le Mossad a réussi à infiltrer et frapper ses principales cibles. Junction a remporté cinq titres consécutifs du Prix de la Défense d’Israël, la plus haute décoration pouvant récompenser les bons et loyaux services dans ce domaine, grâce à ses méthodes, qui sont tellement secrètes qu’on ne peut même pas en donner le nom. L’une de ces récompenses a été accordée personnellement à Cohen pour une opération de tout premier ordre qu’il a initiée et commandée.
Meir Dagan appréciait beaucoup Cohen (bien qu’ils se prenaient souvent de bec) et l’a promu encore et encore. En 2006, Dagan a nommé Cohen au poste de Chef du Département Junction et lui a confié une très grande partie des principales cibles du Mossad au cours des 15 dernières années : infiltrer et endommager le programme nucléaire de l’Iran.
L’activité de Junction s’intégrait dans les opérations innombrables que le Mossad devait exécuter, fondées sur les informations recueillies par, entre autres, les agents recrutés par Cohen et ses hommes. Au cours de cette période, le Mossad est parvenu à situer les points de livraison d’équipements et de matériel lourd à travers le monde entier au profit du programme nucléaire iranien. Certaines de ces cargaisons ont été sabotées. Certaines ont été saisies dans les pays d’où elles partaient, après que le Mossad, en coopération avec les renseignements américains, aient été avertis de leur existence.
Des entités anonymes ont réussi à implanter des virus mortels dans les ordinateurs du projet nucléaire et ont été en mesure de localiser six des 15 principaux experts-scientifiques du « groupe armement », la partie militaire du programme nucléaire et de les éliminer. Israël n’a jamais reconnu son implication dans aucune de ces disparitions. Mais le Mossad était, effectivement, derrière toutes ces opérations, alors que les Iraniens pensent que Yossi Cohen y a joué un rôle important.
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La passion de Dagan pour les opérations comportait un prix à payer. On a souvent mis à son crédit des querelles d’autorité avec des responsables de haut rang de l’AMAN (le corps des renseignements militaires) et le Shin Bet ( les services des renseignements généraux). L’augmentation significative du personnel et de l’activité de l’agence a généré un échec retentissant : le système de contrôle et de supervision du Mossad est totalement passé à côté de la tragique affaire Ben Zygier – cet employé du Mossad qui a été impliqué dans des actes terribles, a été découvert, arrêté et s’est suicidé en prison, après avoir réalisé que sa femme était sur le point de le quitter et qu’il allait probablement être condamné à une peine de prison à deux chiffres.
L’augmentation significative dans le volume des opérations a conduit à la découverte des exécuteurs et des méthodes d’action au cours de l’élimination de la cheville ouvrière du Hamas en Iran, Mahmoud al-Mabhouh à Dubaï, en janvier 2016. Et si ce qu’une certaine presse a pu dire est fondé, différentes erreurs opérationnelles ont conduit à la révélation d’une opération conjointe israélo-américaine appelée « Jeux Olymiques » – et donc, les Iraniens savent que des virus sophistiqués ont frappé leurs installations nucléaires, les amenant à concevoir des contre-mesures.
Pardo a hérité du poids de tout cela, en même temps que des relations extrêmement tendues de Dagan avec Netanyahu. Après l’affaire de Dubaï, le Premier Ministre est devenu beaucoup plus hésitant dans son approbation d’opérations aussi compliquées et risquées. Le Ministre de la Défense Moshe Ya’alon a, en effet, dit récemment (par une allusion très subtile lors d’une interview à Holger Stark et moi-même dans Der Spiegel) que : « Je ne suis pas responsable de l’espérance de vie des experts nucléaires iraniens », mais il ne fait aucun doute que, depuis l’affaire dubaïote, le public a bien moins entendu parler d' »éliminations préventives », de sabotages et d’accidents mystérieux dans le cadre du programme nucléaire iranien.
Netanyahu pensaient que l’activité du Mossad pouvait bien avoir été employée au maximum et qu’il était maintenant en mesure d’envisager une frappe aérienne massive (et ouverte) contre les installations nucléaires iraniennes. Dagan pensait autrement et est entré en grave conflit avec Netanyahu. Lors d’un de ses derniers jours à ce poste, le 6 janvier 2011, dans un geste tout-à-fait inhabituel, il a convoqué un groupe de journalistes aux quartiers-généraux du Mossad et nous a présenté en détail toutes les critiques qu’il pouvait faire au Premier Ministre. Lors de cette même conversation, Dagan estimait que « le régime Moubarak en Egypte est plus stable que jamais » et que son fils Gamal prendrait sa succession.
Dagan est loin d’avoir été le seul qui ait été incapable de prédire la chute de Moubarak un mois plus tard. Le monde entier et tous ses services de renseignements se sont trompés sur le Printemps Arabe, qui est devenu un des principaux défis auquel a été confronté le successeur de Dagan, Tamir Pardo. La série des révolutions au Moyen-Orient, que beaucoup d’éléments de droite et du personnel de l’armée en Israël ont rapidement désigné comme « l’Hiver djihadiste », a remanié la région qui s’est transformée en un endroit où il est plus confus que jamais de savoir qui sont vos amis et qui sont vos ennemis.

Tamir Pardo. Croire au secret bien gardé n’est pas seulement une ideologie, mais aussi une stratégie (Photo: Alex Kolomoisky)
Pardo a changé les modes de perception de l’organisation. Il a introduit des mesures claires afin d’examiner les capacités d’Israël et les succès du Mossad dans la mise en échec du projet nucléaire iranien. Selon sa propre perception, le problème n’est pas tant de savoir combien d’experts nucléaires ont cessé de vivre que de savoir à quel point l’Iran se trouve de la fabrication de la bombe.
Le secret, en ce qui concerne Pardo, n’est pas une simple idéologie, mais une stratégie. Selon sa vision, une opération révélée dans les médias -même si c’est la plus réussie de toutes les opérations- est en fait un échec. Un incident attribué au Mossad, pense Pardo, mènera à une enquête et à l’exposition de modes d’action et de méthodes opérationnelles. Il est vrai que faire le buzz dans les grands titres de la presse avec des opérations à glacer le sang attribuées au Mossad produit aussi une importante dissuasion. Mais en ce qui concerne Pardo, l’ennemi peut être pris pour cible – et dissuadé- par d’autres moyens moins bruyants.
Dans un monde qui est accoutumé aux reality-shows, ce n’est guère une approche très populaire. Ce n’est pas si bon pour les grands titres des magazines. De l’autre côté, le fait qu’au cours des cinq dernières années nous avons moins entendu parler de « mystérieuses explosions » et d’opérations au coeur des pays-cibles, qui soient automatiquement imputées à l’Etat d’Israël ne signifie pas qu’il y a nécessairement eu moins d’opérations qualitatives. Il est survenu beaucoup de choses au cours de ces cinq dernières années, et il n’y a que très peu qui ait été publié. Parfois, le calme extérieur dissimule énormément d’actions secrètes.
Au cours du mandat de Pardo, le Mossad a réussi à déjouer des dizaines de tentatives d’attentats terroristes émanant d’opérations conjointes des services secrets iraniens et du Hezbollah, dans une tentative pour venger la mort d’Imad Mughniyeh, en prenant pour cibles des Israéliens et des Juifs à l’extérieur de l’Etat d’Israël et du Moyen-Orient.
Pardo a consacré un effort particulier à la prévention du transfert clandestin d’armes et d’équipements au Hamas, au Jihad Islamque et au Hezbollah. Les médias israéliens n’ont pas l’autorisation de communiquer sur de telles questions, mais les reportages de presse hors d’Israël attribuent des dizaines d’attaques sur ces routes de livraison au Soudan, en Libye, en Syrie et au Liban par les forces aériennes israéliennes. Si ces reportages sont véridiques, c’est le Mossad de Pardo qui a livré l’information cruciale.
Le Mossad a été en mesure de fournir une grande quantité d’informations sur les pourparlers secrets menés par les Etats-Unis avec les représentants iraniens derrière le dos d’Israël, à Muscat, Oman et, plus tard par des informations tirées des négociations entre l’Iran et les puissances mondiales, informations qui ont alerté Netanyahu, quand il a découvert que l’Occident s’était retiré au cours des discussions de nombreuses lignes rouges qu’il avait érigées.
Les changements dans le monde arabe ont contraint le Mossad à s’adapter à un rythme record. Par exemple, afin d’ajuster les relations sécuritaires avec le régime de Mohamed Morsi en Egypte et, plus tard,avec le régime d’Abdel Fattah Al Sissi et à l’abandon par la Turquie de la coopération en matière de renseignements avec Israël, en lui préférant le développement d’une coordination sécuritaire avec la Grèce et d’autres pays.
Pardo a aussi réalisé une série de changements structurels importants. Il a établi trois administrations : technologie, opérations et renseignements – qui coordonnent toute l’activité dans ces domaines. Lorsque, par le passé, la division spéciale des opérations, Caesarea, opérait comme un Mossad à l’intérieur du Mossad, complètement isolé et séparé, il réfère à présent à l’administration des opérations et il est incorporé aux opérations des autres départements. Pardo a aussi beaucoup investi dans le domaine des technologies, tout en augmentant grandement le nombre d’officiers-traitants au sein de l’organisation – preuve de l’importance qu’il attache, même à l’ère de la cybernétique aujourd’hui, au champ classique du renseignement humain.
Pardo a aussi amélioré les relations avec les autres organismes de sécurité en Israël. Ses relations avec les chefs d’Etat-Major Benny Gantz et Gadi Eisenkot et les Commandants des forces aériennes Ido Nehushtan et Amir Eshel étaient particulièrement étroites. La relation de Pardo avec le Shin Bet n’était pas aussi rapprochée, mais toujours polie et efficace, comme l’était sa relation avec la police, à laquelle le Mossad a offert ses conseils et son aide, en particulier dans la sphère de la cybersécurité.
Pardo n’a pas été en mesure d’éviter un phénomène qui a caractérisé les derniers jours de Dagan à ce poste : a relation tendue avec Netanyahu, particulièrement en ce qui concerne la façon de traiter la question de l’Iran et de ses accords avec l’Occident. Au cours de nombreuses controverses, Pardo étaient parmi les rares,si ce n’est le seule, qui osait parler honnêtement au Premier Ministre, même quand ses commentaires contredisaient sa doctrine.
Au moment de la désignation de Pardo en tant que chef du Mossad, Netanyahu a nommé Cohen comme son adjoint. Les relations entre Cohen et Pardo, au cours des deux ans et demi où ils ont occupé les postes de chef du Mossad et d’adjoint, n’ont pas toujours été très faciles.
Selon le code interne au Mossad et dans le but d’assurer la continuité du leadership en cas où le chef du Mossad voyage à l’étranger, a perdu contact ou est incapable de continuer à orchestrer les choses, l’adjoint doit être mis au courant de toutes les informations entre les mains du chef du Mossad. Cohen a entendu prétendre que Pardo l’excluait ou du moins évitait de lui procurer des rôles et une juridiction essentiels . Les proches de Pardo prétendaient que le chef du Mossad sentait que Cohen essayait d’agir derrière son dos dans le but de s’assurer qu’il serait celui qui remplacerait le chef du Mossad en temps voulu.
En août 2013, quand Cohen a achevé son mandat en tant que chef-adjoint du Mossad, Netanyahu a annoncé sa nomination en tant que conseiller à la sécurité, en disant que les « compétences particulières de Cohen le rendaient très digne de cette position ».
Yossi Cohen a pris un gros et un triple risque en acceptant l’offre de Netanyahu. D’abord et avant tout, parce que le poste de conseiller à la sécurité nationale a presque toujours été le dernier dans la carrière d’une personnalité, et, quoi qu’il en soit, il n’a jamais été perçu comme une marche vers une position plus élevée dans l’appareil de la Défense.
Deuxièmement, parce que Cohen cherchait à utiliser cette position dans le but de combler des failles dans des domaines qu’il n’avait pas eu l’occasion d’aborder au sein du Mossad : relations internationales, analyse et stratégie – mais le statu peu clair du Conseil de Sécurité Nationale ne garantissait pas qu’il parviendrait à combler ces lacunes.
Troisièmement et c’est encore plus important, la personne dans cette position doit travailler très étroitement avec le Premier Ministre. Un tel rapprochement avec le patron peut apporter des résultats dans deux directions opposées. Les nombreuses heures qu’il a passé avec Netanyahu, qui est connu pour être un patron difficile, pour le dire par un euphémisme, auraient pu aussi évoluer différemment.
Il n’y a que très peu de gens qui ont réussi à survivre et à garder de bonnes relations avec Netanyahu durant une aussi longue période de temps. Mais Cohen, qui est un maître es-relations interpersonnelles, a gagné la confiance de Netanyahu.
D’un autre côté, Cohen a réussi à se disputer avec d’autres acteurs importants, tels que des dirigeants du Shin Bet et des responsables de Tsahal et certains hommes politiques. Au moins en partie, ce n’est pas Cohen qu’il faut en blâmer. L’attitude de Netanyahu peut déteindre sur ceux qui l’entourent et ceux qui ne se sentaient pas en mesure de critiquer directement Netanyahu trouvait en Cohen un putching-ball pratique.
Le pari de Cohen a payé et, il y a environ un mois, Netanyahu a annoncé qu’il avait trouvé que Yossi Cohen était « la personne la mieux compétente, avec des aptitudes au rôle de dirigeant et une bonne compréhension du métier » pour diriger le Mossad au cours des cinq prochaines années.
Maintenant, il doit prouver que c’était la bonne décision. Cohen devra poursuivre le même processus qu’il a dû affronter à la tête du Département Junction : s’ajuster au bon moment et au bon endroit, mais plus simplement comme un commandant de rang intermédiaire dans une seule division, mais cette fois, comme le chef de toute l’organisation.
Le principal défi pour le Mossad demeure l’Iran. Il est très possible que dans les années à venir, peut-être même plus tôt, Israël devra prendre une grave décision en la matière. Actuellement, après l’accord entre Téhéran et l’Occident, Israël s’est retrouvé seul, Netanyahu s’est retrouvé seul, pour décider si – étant données les informations établies, si et quand surviendra le fait que l’Iran a relancé les aspects militaires de son projet nucléaire – d’ordonner une attaque sur les installations atomiques ou d’accepter l’existence de l’Iran en tant que puissance nucléaire radicale chiite. Que lui conseillera Cohen dans cette délibération?
L’Iran se trouve au sommet de la liste des consignes du Mossad depuis 15 ans maintenant, mais les défis pour Cohen sont relativement plus compliqués que les défis qu’ont dû affronter Dagan et Pardo. D’abord et avant tout,parce que les renseignements iraniens sont plus avertis de ce que le Mossad est capable de faire – depuis l’intrusion de virus dévastateurs dans les ordinateurs contrôlant les centrifugeuses à l’élimination ciblée d’experts scientifiques.
Deuxièmement, parce que l’actuel Premier Ministre approuve plus rarement des opérations dangereuses, comparativement à ce qu’il a approuvé jusqu’à l’opération de Dubaï et, certainement, comparé à ce que ses prédécesseurs Arie Sharon et Ehud Olmert ont approuvé.
Troisièmement, parce que les Etats-Unis, qui ont aidé significativement Israël au cours de la dernière décennie, sanctifie à présent le dialogue diplomatique avec l’Iran et n’a pas seulement complètement arrêté la coopération active en matière de renseignements (en ce qu’elle s’oppose à l’échange d’informations) avec Israël sur la question iranienne, mais a aussi indiqué être mécontents de certaines opérations menées pour son propre compte par Israël.
Devoir traiter des autres cibles préférées du Mossad – le terrorisme régional lié à l’Iran et à la Syrie (Hezbollah, Hamas, et Jihad Islamique palestinien) présente autant de nouveaux défis. Par exemple, les affirmations du Hezbollah disant qu’il a découvert un agent crucial au sein même de son unité 910 chargée des opérations extérieures, et qu’Israël a réussi à éliminer Imad Mughniyeh et à déjouer des tentatives de venger sa mort grâce aux informations reçues de la part de ce même homme dans la place. Au-delà du prestige et du crédit qu’on puisse accorder au Mossad pour être parvenu à recruter l’homme qu’il fallait au sommet de la hiérarchie, si ces reportages sont véridiques, alors ce la représente une perte considérable et peut-être un aveuglement partiel quant aux agissements de l’organisation.
Le Hamas, pour sa part, a transféré ses quartiers-généraux vers des lieux où le Mossad trouve qu’il n’est pas simple de mener des activités agressives, comme en Turquie, qui n’accepte pas du tout d’éventuelles éliminations de dirigeants du Hamas sur son territoire (les Turcs soupçonnent que les flammes conçues par Israël sont bien celles qui ont creusé par le feu un trou à l’intérieur de l’un des navires protestataires qu’ils avaient prévu d’envoyer à la suite de l’affaire du Mavi Marmara).
Une autre mission du Mossad, une parmi les plus difficiles, est de protéger les représentants et les installations juives à travers le monde. De telles cibles sont sous le coup des attaques, tant du Hezbollah que l’Etat Islamique. Cela représente une menace sérieuse, mais « il sera bien plus difficile et compliqué pour le Mossad d’opérer en Occident de nos jours », affirme un ancien responsable au Mossad. « Nous ne parlons pas juste du risque provenant de quelques factions de l’OLP, comme dans les années 1970, mais de nombreuses organisations et cellules du jihad global,qui sont faiblement liées entre elles, si jamais elles le sont et de milliers de volontaires de Daesh qui sont sur le point de revenir du Moyen-Orient.
« En outre, cette fois, à la différence des années 1970, les services de renseignements d’Europe essaient aussi – en faisant un meilleur travail ou pas – d’opérer autour des mêmes cibles exactement, et ils ne tiennent absolument pas à trouver le Mossad en travers de leur chemin.
« Et une chose encore. Dans le climat politique actuel et avec l’attitude négative envers Israël, des filatures menant à des éliminations, qui étaient vite pardonnées, à l’époque, même lorsqu’elles échouaient, ne seraient pas pardonnées aujourd’hui ».

Si Cohen souhaite être considéré comme un partenaire pouvant mener la discussion avec des droits égaux au sein de la communauté des renseignements d’aujourd’hui, il doit apporter une valeur ajoutée de la part du Mossad, une information unique que seul le Mossad serait en mesure de fournir sur l’Etat Islamique (Photo: AP)
Daesh représente un défi international. Le Mossad est intéressé à s’impliquer dans les efforts pour le combattre. Il y a plus de dix ans de cela, Israël a apporté une contribution certaine dans la guerre contre Al Qaïda, le principale rival de l’Occident à l’époque. Par exemple, c’était grâce aux services de renseignements d’Israël que les Américains ont eu connaissance de la décision prise par Ousama Ben Laden et son adjoint et successeur Ayman A-Zawahiri, de faire leurs bagages et de se retirer de leurs activités en Occident.
Si Cohen souhaite être considéré comme un partenaire pouvant mener la discussion avec des droits égaux au sein de la communauté des renseignements d’aujourd’hui, il doit apporter une valeur ajoutée de la part du Mossad, une information unique que seul le Mossad serait en mesure de fournir sur l’Etat Islamique.
Le Mossad peut fournir à l’Occident, principalement aux Etats-Unis, des informations de grande valeur en surveillant la manière et les capacités que le nouvel-ancien invité dans la région – l’armée russe et la communauté des renseignements autour de Poutine – qui renforcent leur pied à terre en Syrie. Les Etats-Unis ont peut de capacités de renseignements dans cette région, particulièrement dans le domaine du renseignement humain. Si le Mossad est en mesure de combler quelques lacunes, la CIA lui en sera reconnaissante.
Un autre champ en développement dans le monde est l’univers de la cybernétique, qui prend la tête des préoccupations de toutes les sphères du renseignement. La capacité du Mossad de combattre dans la quatrième dimension s’est grandement améliorée, grâce au sérieux concurrent de Cohen pour le poste de chef du Mossad, N., qui a occupé la position de chef de la division technologique du Mossad durant une période longue et importante de temps et qui a quitté ce poste récemment. Au cours de cette période, le personnel de la division a triplé et s’est impliqué dans d’innombrables opérations pour la première fois de son histoire.
C’était un pas en avant important, mais le développement du cybermonde requiert que le chef du Mossad investisse de plus en plus vigoureusement dans ce domaine, où les agresseurs ont la main ces derniers temps.
Cohen a récemment dit, lors d’une conférence, qu’israël n’a pas d’ennemi « conventionnel » ( en d’autres termes, une armée régulière avec des tanks, des avions et des forces terrestres) qui lui pose de grave menace et qu’on ne s’attend pas à une guerre de ce genre avant longtemps. C’est vrai, mais il y a aussi un ennemi très capable dans le cybermonde, et les Iraniens – comme en a récemment averti le chef des renseignements militaires, Herzl Halevi – réduisent l’écart qualitatif avec Israël dans ce domaine. Le travail du Mossad est de découvrir leurs plans et capacités dans ce champ.
Les relations entre le Premier Ministre, qui est en charge du Mossad et le directeur de l’institut sont cruciales. Sans confiance, le Mossad aura bien du mal à fonctionner. Mais une proximité trop grande n’est pas non plus une bonne chose. Le Premier Ministre Golda Meir avait trop confiance dans les chefs des services de renseignement et Tsahal et s’est trouvée confrontée à la Guerre de Yom Kippour – l’attaque-surprise des Etats arabes ne octobre 1973; Le Premier Ministre Menachem Begin avait confiance dans les promesses de Tsahal et du Mossad disant que les Chrétiens du Liban aideraient Israël à les « débarrasser » des membres de l’OLP et a ordonné l’invasion tragique du Liban en 1982, qui a conduit Israël à s’empêtrer dans une occupation de 18 ans.
Une proximité trop étroite peut être préjudiciable, non seulement en temps de guerre, mais aussi en risquant de manquer une occasion de faire la paix. Meir Amit, le troisième directeur du Mossad (1963-1968), avait aussi déterminé, comme il me l’a dit une fois, que « Le Mossad, doit aussi être celui qui fait avancer la paix, plutôt que de simplement s’engager dans les préparatifs pour la guerre et la victoire ». Il s’était lancé dans un bras de fer contre le Premier Minsitre Levi Eshkol, demandant à être autoriser de se rendre en Egypte et de rencontrer le Ministre de la Défense, le Maréchal Abdel Hakim Amer, après un projet secret qui avait conduit à l’instauration de relations secrètes avec lui,mais il a échoué et la Guerre des Six-Jours éclatait un an après.
Il y a une différence, une différence importante, entre tous les rôles que Cohen a rempli jusqu’à présent et son prochain rôle au sommet de la pyramide. Il n’a plus de possibilité d’aller plus loin à partir de là. Il est très difficile, même pour un Premier Ministre, de limoger un chef du Mossad ou du Shin Bet, à partir du moment où ils ont pris leurs fonctions. Le chef du Mossad doit faire ses rapports à son superviseur, le Premier Ministre, mais il doit aussi faire ses compte-rendu à ses subordonnés, ceux qu’il croise chaque jour, lorsqu’il arrive à ses bureaux de chef du Mossad.
Les gens du Mossad sont connus pour leur esprit critique et leur ton sarcastique, tout comme Cohen lui-même, et ils ne lui épargneront pas leurs critiques s’il devient une personnalité qui ne fait que combler les désirs du Premier Ministre, qui mène une politique que certains au Mossad perçoivent comme droitière voire parfois erronée, si ce n’est pas pire.
Parmi pas mal des directeurs des différentes branches des renseignements d’Israël, au fil des années, assumant cette position et la confiance qui en découle, ont mené, plus tard, des changements significatifs, jusqu’à l’évolution d’une opinion indépendante et d’une posture sur laquelle ils ont insisté,même vis-à-vis d’un Premier Ministre à l’esprit fort ou devant un Ministre des affaires étrangères manifestant peu de patience face aux désaccords éventuels.
Est-ce que Cohen établira aussi l’expression d’une opinion indépendante et péremptoire? Conduira t-il, lui aussi, des mouvements diplomatiques secrets? Seul le temps le dira. Dans le cas du Mossad, pour être plus précis, le temps peut le dire – mais il n’y a qu’une petit cercle de gens de l’intérieur qui connaîtront ce secret.
Ronen Bergman
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