Le grand flou des subventions aux ONG : l’UE perd la trace des 7,4 milliards d’euros
À quoi ont servi les 7,4 milliards d’euros versés par l’UE aux ONG entre 2021 et 2023 ? Bénéficiaires mal identifiés, fonds concentrés, campagnes floues… Un rapport dresse un constat alarmant.
Que deviennent les milliards versés par l’Union européenne aux ONG ?
Après le Qatargate et le scandale des fonds détournés pour influencer le Pacte vert, un rapport de la Cour des comptes européenne, publié ce 7 avril, apporte une réponse troublante : pas grand-chose. Sur 61 pages, malheureusement expurgées des noms des ONG concernées, le document tente de dresser un état des lieux précis des fonds distribués… Et révèle surtout des zones d’ombre : bénéficiaires mal identifiés, concentration des fonds au profit de quelques-uns, campagnes de sensibilisation floues… Décryptage.
Entre 2021 et 2023, l’UE a engagé 7,4 milliards d’euros pour des ONG dans ses politiques internes : 4,8 milliards gérés directement ou indirectement par la Commission européenne, et 2,6 milliards distribués par les États membres, via le Fonds social européen » (FSE+), le Fonds « Asile, migration et intégration » (Fami), ou encore Erasmus « . Ces fonds, qui pèsent environ 4 % des budgets alloués à ces domaines, soutiennent des causes variées, toutes très nobles : inclusion sociale, égalité des chances, protection de l’environnement. Une somme colossale, pour des projets censés servir l’intérêt général.
Mais suivre cet argent relève du parcours du combattant. Sur plus de 70 000 entités – ONG, entreprises, institutions publiques – recensées comme bénéficiaires dans le système comptable de la Commission sur cette période, plus de 90 % n’ont pas d’étiquette claire. Sont-elles des ONG ou autre chose ? Le champ reste vide.
Le système de transparence financière (STF), censé offrir une vue limpide aux citoyens, est un effroyable casse-tête : les données s’éparpillent entre différents systèmes informatiques, sites nationaux et bases fragmentées, souvent dans des formats illisibles – tableaux PDF, listes brouillonnes. La Cour déplore une « absence de vue d’ensemble fiable », rendant l’usage réel de ces milliards difficile à cerner.
Une poignée d’ONG capte l’essentiel
Si les 70 000 entités reflètent l’ensemble des bénéficiaires récents, un zoom sur les ONG seules révèle une autre réalité : sur plus de 4 400 ONG financées par l’UE entre 2014 et 2023, 30 ont capté plus de 40 % du total des fonds sur cette décennie (à savoir 3,3 milliards d’euros). Cette concentration – une minorité accaparant une part massive – concerne une période plus longue que celle du rapport, mais elle éclaire sur une tendance : quelques acteurs dominent. Qui sont ces 30 ? Pourquoi elles ? On l’ignore, même si la Commission assure qu’aucune ONG ne bénéficie de traitement préférentiel.
Une ONG, selon le règlement financier, doit être bénévole, indépendante des pouvoirs publics, et sans but lucratif. En théorie, c’est clair. Mais en pratique, beaucoup moins : d’innombrables groupements d’intérêts peuvent correspondre à la définition, d’autant plus facilement que « les services et agences de la Commission utilisent des critères différents », et que l’essentiel des États membres n’ont jamais clarifié leurs critères. Le problème n’a rien d’anodin : un quart de l’échantillon d’ONG scrutées par la Cour des comptes était classé comme ONG dans le STF, alors qu’elles ne le sont pas !
Un institut de recherche allemand, financé à 8,8 millions d’euros par le fonds Horizon Europe (dédié à la recherche et à l’innovation), lié à l’État par une garantie financière et dirigé par des représentants publics, a ainsi pu s’enregistrer comme ONG par une simple déclaration sur l’honneur. Autre cas sidérant : une entité employant 250 personnes, offrant des services à l’industrie textile et cosmétique, a été enregistrée comme ONG alors qu’elle servait des intérêts commerciaux, et a elle-même nié ce statut.
Ces erreurs ne sont pas isolées. Dans l’échantillon, une structure belge a reçu plus de 4 millions d’euros, en dépit d’un score de transparence médiocre (5/100)… Comme de nombreuses autres, suggérant un flou sur leur nature réelle. La Commission ne vérifie ni l’indépendance ni les liens commerciaux ou publics de chaque entité. Une brèche dans laquelle des intérêts masqués peuvent s’infiltrer : des structures liées à des lobbys – écologistes, politiques, religieux, industriels ou autres – passeront sous le radar.
300 millions pour sensibiliser… ou influencer ?
Un point brûlant concerne les subventions de fonctionnement : 300 millions d’euros sur les 4,8 milliards gérés par la Commission. Ces fonds financent notamment des activités de sensibilisation, mais leur usage reste un mystère. « Ils peuvent servir à financer des activités de sensibilisation telles que du lobbying », note la Cour, qui a trouvé des cas d’argent détourné du programme LIFE (5,4 milliards dédiés à la préservation de l’environnement) pour influencer des décideurs politiques.
De nombreuses ONG sont également financées pour « promouvoir des valeurs citoyennes », sans que leurs contenus ou leurs commanditaires soient visibles. Que font-elles exactement ? Mystère. En plein audit, la Commission a publié une directive : ces fonds ne doivent pas imposer de lobbying auprès des institutions de l’UE.
Mais la Commission ne vérifie rien, se fiant à des déclarations sur l’honneur. « Aucune vérification n’a été réalisée sur la dépendance financière ou les sources de financement », déplore la Cour, ne précisant pas « qui se trouve derrière une ONG ». Depuis mi-2023, des sensibilisations internes ont débuté, mais sans outils concrets.
La traçabilité est un fiasco. Le STF ne recense que les destinataires de premier niveau, or l’argent ne s’arrête pas là : de nombreuses ONG le font simplement transiter. Vers qui ? On l’ignore ! Dans le programme CERV (pour « Citoyens, égalité, droits et valeurs »), une entité a redistribué 3,9 millions d’euros en 2022 et 3,7 millions en 2023 – 2 % des fonds annuels – à d’autres structures, hors radar du STF. En gestion indirecte, comme Erasmus+, une agence allemande a géré 213 millions d’euros, une polonaise 200 millions…
Mais seuls 10 % des 1,363 milliard d’euros engagés sur la période 2021-2023 ont atteint des ONG, le reste se perdant vers des écoles, entreprises ou autres, sans détails publics. En gestion partagée, une ONG espagnole a reçu 46,7 millions d’euros via le FSE+, une allemande 23,6 millions, mais les États membres ne disent pas quelle part va aux ONG. Ces cascades de fonds, gérées dans 54 pays, échappent à un suivi clair.
La Cour exige des données sur ces « destinataires de second niveau » d’ici à 2029. Dans sa réponse aux contrôleurs, la Commission accepte partiellement : elle promet un STF centralisé d’ici à 2028, mais seule une partie des fonds sera concernée, pour ne pas compromettre ses objectifs de simplification administrative. Dans l’immédiat, elle annonce simplement « étudier la possibilité » d’une actualisation des informations plus fréquente. Des pas très mesurés, face à des failles béantes.
PS Pendant près de 10 ans, les incapables de l’UE ont laissé le FN, le Modem, LFI et les autres, utiliser des sommes importantes sans contrôle, pour se réveiller des années après. Quelle responsabilité a cette administration dans ce qu’elle appelle des détournements de fonds ? Et est-elle bien placée pour donner des leçons ? Il faut croire que non !
JForum.Fr et le Point
![]() |
![]() |