Ankara craint une poussée nationaliste au sein de la population kurde du Moyen-Orient, après que Kobané a été repris des mains de l’Etat islamique.
  •  

Kobané est libéré ! Prochaine libération, Öcalan !” [le leader du PKK emprisonné en Turquie], ont scandé des milliers de Kurdes à travers la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie, alors que cette ville à la frontière turco-syrienne venait d’être débarrassée des combattants de l’Etat islamique après 133 jours de guerre sanglante. Une victoire durement gagnée, et qui apparaît ici comme un tournant historique dans la longue lutte que mènent depuis des décennies les Kurdes pour défendre leurs droits. Pour certains observateurs, les premiers vainqueurs en sont, pour l’heure, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et son chef Abdullah Öcalan ; du côté des vaincus, il faudrait, à l’Etat islamique, ajouter la Turquie. Le PKK et son pendant syrien des Unités de protection du peuple kurde (YPG) sont de fait les fers de lance du combat contre les djihadistes en Irak et en Syrie. Pour la première fois, Washington collabore ouvertement avec le PKK, alors même que le mouvement kurde reste sur la liste des organisations terroristes du ministère américain des Affaires étrangères. Les frappes aériennes incessantes de la coalition menée par les Etats-Unis contre des cibles de l’Etat islamique à Kobané et dans sa région ont joué un rôle décisif et fait pencher la balance en faveur des Kurdes. Le président turc, Erdogan, n’a pas caché le déplaisir que lui causait la tournure prise par les événements. S’exprimant devant des journalistes le 26 janvier, il a ainsi laissé entendre qu’il avait demandé au président américain, Obama, de ne pas intervenir aux côtés des Kurdes.“Je lui ai dit : ‘N’allez pas parachuter ces bombes [entendre par là des armes et d’autres aides matérielles] aux forces kurdes. Ce serait une erreur de votre part.’ Malheureusement, malgré cette conversation, ils ont parachuté tout le nécessaire depuis trois avions de transport C-130, et la moitié de tout cela a fini entre les mains de combattants de l’Etat islamique.” Un mécontentement partagé du côté américain. Washington n’a guère apprécié le refus d’Ankara de laisser les avions de la coalition utiliser la base d’Incirlik, dans le sud de la Turquie, pour leurs missions de combat contre l’Etat islamique.

 

200 000 réfugiés.

Si la Turquie avait soutenu les Kurdes dès le départ, “l’idée qu’Ankara est du côté de l’Etat islamique ne serait pas aussi répandue aujourd’hui”, lâche un diplomate occidental. Car, pour le PKK, la Turquie arme et entraîne les djihadistes, façon pour elle de combattre par procuration les Kurdes de Syrie. Mais Ankara nie toute collusion avec les djihadistes contre les Kurdes de Syrie, rappelant qu’elle a accueilli plus de 200 000 réfugiés de Kobané. Un gros millier de combattants des YPG blessés sont soignés dans des hôpitaux turcs, ajoutent des responsables turcs. Il n’en reste pas moins qu’Ankara aurait certainement préféré que la situation s’enlise plutôt qu’aucun des deux camps ne l’emporte. Erdogan n’a laissé aucun doute sur son hostilité à tout accord en Syrie qui instaurerait dans le nord du pays quoi que ce soit qui ressemble à l’Etat de facto des Kurdes d’Irak. Une position qu’il a réaffirmée le 26 janvier devant la presse : “De quoi parle-t-on ? Du nord de l’Irak ? Maintenant, [ils voudraient] une Syrie du Nord. Nous ne pouvons pas l’accepter… De telles entités seront sources de graves problèmes à l’avenir.” Des propos qui rappellent fortement les ultimatums qu’avait lancés Ankara dans les années 1990 quand les Kurdes d’Irak avaient formé leur gouvernement régional. A l’époque, la Turquie avait cherché à monter les Kurdes irakiens contre le PKK, et les Turkmènes d’Irak contre les Kurdes irakiens. Aujourd’hui pourtant, les Kurdes irakiens sont les plus proches alliés d’Ankara dans la région et de solides partenaires commerciaux, même si cette amitié a été mise à rude épreuve par le refus des Turcs de lutter franchement contre l’Etat islamique. Le même scénario serait-il sur le point de se jouer en Syrie ?

Bomber le torse.

“La Turquie n’a pas pu stopper les Kurdes en Irak, elle a tout aussi peu de chances d’y parvenir en Syrie,analyse le diplomate occidental déjà cité. A défaut d’unir leurs chefs, la stratégie turque aura uni les Kurdes.” Ankara conserve toutefois sa capacité de nuisance à leur égard. De fait, les Kurdes de Syrie sont de plus en plus dépendants de l’aide turque. Et, contrairement à la très montagneuse frontière turco-irakienne où est établi le PKK, la région frontalière entre la Turquie et les régions kurdes du nord de la Syrie est totalement plate – ce qui facilite grandement de potentielles interventions militaires. Pourtant, Erdogan a beau bomber le torse, cette éventualité reste la moins probable. Car, outre le tollé qu’il susciterait dans la communauté internationale, ce choix serait lourd de conséquences sur la scène intérieure turque. Erdogan et son gouvernement négocient depuis deux ans la paix avec Öcalan, et le cessez-le-feu déclaré en mars 2013 a pour l’essentiel été respecté. Aucune des deux parties ne peut se permettre de relancer la guerre. Le PKK est trop occupé par l’Etat islamique, et l’AKP par les législatives du 7 juin prochain, qu’il entend bien remporter pour la quatrième fois consécutive.“Avec Kobané, les Kurdes de Turquie et de Syrie ont vu leur sort inextricablement lié, analyse Arzu Yilmaz, chercheuse à l’université d’Ankara. A leurs yeux, quand on attaque les Kurdes de Syrie, c’est à eux aussi qu’on s’en prend.”

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

0 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires