Histoire: ces lycéens ont retracé le parcours de huit juifs internés au château de Gaillon en 1942

Pour les 80 ans de la libération d’Auschwitz, des lycéens ont dévoilé un épisode de l’histoire du château de Gaillon. Entre 1941 et 1943, il servi de camp où ont transité des juifs

Par Pierre Boissonnat

C’est l’une des pages les plus sombres de l’histoire de Gaillon (Eure) et de son château millénaire que les élèves de Terminale B du lycée André-Malraux ont mis en lumière, lundi 27 janvier 2025. Celle durant laquelle le château a accueilli en son sein un camp d’internement géré par le régime de Vichy.

Pour se souvenir de cette période, le monument accueillait, pour la première fois, une cérémonie pour commémorer les 80 ans de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.

Un an après le début de l’occupation de la France, les autorités allemandes mettent à disposition du gouvernement de Vichy le château de Gaillon en août 1941. Le régime collaborationniste décide de transformer le site, qui avait servi de prison, puis de casernement et enfin de camp de réfugiés, en centre d’internement administratif.

Impressionnant travail de recherches

Entre septembre 1941 et février 1943, 594 personnes – 417 hommes et 177 femmes – ont été enfermées dans ce camp surveillé par les gendarmes français. Parmi les détenus, on comptait des prisonniers de droit commun, des prisonniers politiques, des résistants mais aussi des personnes arrêtées pour des « raisons raciales » sur ordre du régime de Vichy.

Les élèves de Terminale B du lycée André-Malraux  posent ici devant le pavillon Colbert où étaient internés les détenus avec les descendants des déportés et les personnes qui les ont aidé durant leur recherches. ©L’Impartial

Le travail des lycéens a permis d’identifier huit étrangers juifs internés à Gaillon en octobre 1942. Dans leurs recherches, les élèves de Karine Houchard, professeure de français, et Aurore Devos, professeure d’histoire-géographie, ont reçu l’aide de Vanina Gasly, responsable du Pôle archives de l’Agglo Seine-Eure, de Francis Geiss, passionné d’histoire, et de l’équipe du château. Lors de cette commémoration et en présence de descendants de certaines de ces victimes de la Shoah, les élèves ont relaté ces huit destins (lire ci-dessous).

Huit destins victimes de la Shoah

Début octobre 1942, un vaste coup de filet est organisé dans l’Eure par la gendarmerie sur ordre de la préfecture relayant les directives du régime de Vichy. Le but : arrêter les juifs étrangers installés sur le territoire afin de les interner au château de Gaillon avant de les remettre à l’occupant nazi.
Sur la vingtaine de personnes identifiées pour être acheminées à Gaillon, neuf sont finalement appréhendées entre le 9 et le 13 octobre. L’un d’entre eux, qui s’avère être français, est relâché le 10 octobre.
Les huit autres seront détenus au sein du centre d’internement installé au pavillon Colbert. Six perdront la vie à Auschwitz. Deux survivront.

Leurs parcours, établis lors des recherches effectuées par les élèves de terminale B du lycée André-Malraux, ont été racontés par Lilou, Léonie, Mathéo, Alycia, Jade, Maéva, Arthur, Luna, Klervi, Laura Alyson, Fleur et Sohaïla, lors de la commémoration.

Jechiel Tenenbaum

Né à Varsovie (Pologne), Jechiel Tenenbaum a 23 ans lorsque cet apprenti couturier est arrêté par les gendarmes, le 10 octobre, au sanatorium de la Musse à Saint-Sébastien-de-Morsent. Il y était traité contre la tuberculose.
Six jours après son arrivée à Gaillon, il est transféré à Drancy, le 16 octobre. Pour une raison inconnue, il est libéré le lendemain. Jechiel Tenenbaum réussit ensuite à se cacher jusqu’à la fin de la guerre. Il vivra jusqu’en 2000.

Davys Donnenfeld

Né à Bucarest (Roumanie) en 1909, Davys Donnenfeld exerçait la profession de médecin à Fleury-sur-Andelle après son arrivée en France en 1928. Marié à Marthe Joignant, il avait deux enfants. De mars à septembre 1940, il revêt l’uniforme en tant qu’engagé volontaire dans l’armée française.
Lorsque le régime de Vichy fait passer ses lois antisémites, l’exercice de la médecine est interdit à Davys Donnenfeld. Les gendarmes de la brigade de Fleury-sur-Andelle viennent l’arrêter à son domicile le 9 octobre 1942 à 15 h 30. Il arrive à Gaillon le lendemain.
Comme certains de ses codétenus, il est transféré à Drancy le 16 octobre. Mais, alors que la majorité des juifs internés à Gaillon prend le convoi 40 vers Auschwitz, Davys Donnenfeld reste à Drancy jusqu’au 9 mars 1943. Ce jour-là, il est transféré au camp de Beaune-la-Rolande. Quatre mois plus tard, on l’envoie à Saint-Péravy-la-Colombe, le 9 juillet 1943. Trois jours plus tard, il revient à Drancy. Il sera libéré du camp situé en région parisienne le 18 août 1944. Après la guerre, il ne revient pas dans l’Eure. Davys Donnefeld meurt en 1962 dans la région niçoise.

Lajzer Gutman

Arrivé de Pologne en 1921, Lajzer Gutman, 67 ans, habite Louviers lorsqu’il est arrêté à son domicile du 41 rue Saint-Germain, le 9 octobre par la gendarmerie. Cet ouvrier tailleur vit dans la cité drapière depuis 1938 avec sa femme Haya Jurkevitch. Le couple a eu 7 enfants.
Lajzer Gutman arrive à Gaillon le lendemain de son arrestation. Il ne le sait pas, mais ses deux fils, Abraham et Israël, l’une de ses filles, Laja et son petit-fils Maurice ont déjà été déportés à Auschwitz.
Pendant son internement à Gaillon, sa femme écrit au préfet de l’Eure pour lui demander sa remise en liberté du fait de la santé fragile de Lajzer. Il est malgré cela transféré le 16 octobre à Drancy. Le 4 novembre, il est entassé dans l’un des wagons du convoi n°40 qui quitte le Bourget et arrive au camp d’Auschwitz deux jours plus tard. Le convoi transportait 468 hommes et 514 femmes et enfants. En raison de son âge, il est probable que Lajzer Gutman fasse partie des 199 hommes assassinés dès leur arrivée au camp de la mort.

Samuel Grossmann

Samuel Grossmann, menuisier né en Pologne, avait 50 ans en 1942. S’il habitait Évreux, il travaillait sur un chantier à Pont-Audemer lorsqu’il est arrêté le 11 octobre. Deux jours plus tard, il arrive à Gaillon. Après un passage à Drancy, il fait partie du convoi n°40 qui arrive à Auschwitz le 6 novembre. Il n’en reviendra pas.

Tony et Levy Jaller

Tony, 34 ans, et Levy Jaller, 43 ans, sont originaires de Roumanie et se sont installés en France en 1930. Après quelque temps à Paris, le couple s’installe à Montreuil-l’Argillé en 1932 où Levy exerce la profession de médecin. Quatre ans plus tard, Nicole, leur fille, naît à Bernay.
En 1939, Levy s’engage volontairement dans l’armée française et intègre la 3e section d’infirmerie militaire. Lorsque les gendarmes se présentent à leur domicile, le 10 octobre 1942, ils trouvent le couple alité. Un confrère a rédigé un faux certificat médical indiquant qu’ils ne sont pas transportables. Les gendarmes jouent le jeu.
Trois jours plus tard, Levy et Tony Jaller, dénoncés et qui n’avaient pas voulu fuir, sont finalement arrêtés et conduits au centre d’internement de Gaillon avant de poursuivre leur mortel périple vers Drancy puis Auschwitz. Tony Jaller y trouve la mort. Levy, lui, fait partie des 4 survivants du convoi n°40. Il vivra jusqu’en 1980.
Lorsque ses parents sont arrêtés, Nicole, 6 ans est laissée aux soins du maire du village. Elle sera finalement arrêtée un an plus tard et internée à Drancy avant d’être protégée par un couple. Elle reviendra finalement dans l’Eure en août 1944. Aujourd’hui, âgée de 88 ans, elle vit aux États-Unis.

Emma et Ephraïm Rabinovitch

Ephraïm Rabinovitch, né en Russie, et sa femme Emma Wolf, originaire de Pologne, avaient respectivement 52 et 50 ans lorsque les gendarmes de Conches-en-Ouche sont venus les chercher dans leur maison des Ventes, près d’Évreux, le 9 octobre 1942 dans l’après-midi.
Mariés en 1919, ils avaient eu trois enfants : Myriam, Noémie et Jacques. La famille Rabinovtich est arrivée en France en 1929 et s’installe d’abord à Paris. Ce n’est qu’en août 1939 qu’ils élisent domicile aux Ventes où ils avaient acquis une petite ferme.
Ingénieur de profession, Ephraïm Rabinovitch se présente, lors du recensement des juifs par Vichy en 1940 comme un cultivateur.
Le 10 octobre, les époux Rabinovitch arrivent à Gaillon et seront transférés le 16 octobre à Drancy avant d’intégrer le funeste convoi n°40 qui part le 4 novembre vers Auschwitz. Ephraïm et Emma sont assassinés dès leur arrivée dans la nuit du 6 au 7 novembre 1942.
En juillet 1942, Noémie et Jacques sont arrêtés par les Allemands lors de rafles. Myriam, mariée à un Français, y échappe.

« Passeurs de mémoire »

À l’issue des présentations, Florence Tenenbaum, fille de Jechiel Tenenbaum a pris la parole pour dire « son émotion » : « Vous avez redonné son vrai prénom à mon père. Arrivé en France en 1931, il en avait changé pour Charles afin de s’intégrer. »

Avant de poursuivre :

« C’est assez stupéfiant car vous avez retrouvé une partie de son histoire que je ne connaissais pas et dont mon père ne se souvenait pas : son passage par le château de Gaillon. Vous avez été au plus profond de la mémoire de ma famille et je vous en remercie »
Florence Tenenbaum, fille de Jechiel Tenenbaum, juif interné au château de Gaillon en octobre 1942

Membre de la génération des enfants des victimes du génocide, Florence Tenenbaum a indiqué aux lycéens qu’une responsabilité leur incombe désormais : « Après ce travail, vous devenez des passeurs de la mémoire de ces faits abjects. Ce sera votre rôle de citoyen de faire perdurer cette mémoire à une génération qui ne pourra pas connaître de témoin direct ».

« Un bout d’Histoire qui ne doit pas tomber dans l’oubli »

Emma et Ephraïm Rabinovitch.Emma et Ephraïm Rabinovitch. ©Archives familiales

Puis, Lélia Picabia-Berest, petite-fille d’Emma et Ephraïm Rabinovitch, s’est avancée vers les élèves, particulièrement émus, pour les remercier de leur travail.

« Vous ne pouvez pas imaginer comme je suis contente d’être ici pour commémorer les 80 ans de la libération du camp d’Auschwitz. Je connais l’existence du camp de Gaillon depuis 2000 et me bats pour le faire reconnaître par le mémorial de la Shoah. Vos recherches vont participer à ce que ce bout d’Histoire ne tombe pas dans l’oubli. »  Lélia Picabia-Berest, petite-fille d’Emma et Ephraïm Rabinovitch

Dans cette perspective mémorielle, les recherches vont se poursuivre afin de tenter d’identifier d’autres potentiels parcours de juifs internés à Gaillon. Ces travaux intégreront prochainement une exposition sur le château de Gaillon pendant la Seconde Guerre mondiale.

De plus, l’Agglo Seine-Eure a acté l’installation dans les prochaines années d’une plaque commémorative de ce chapitre oublié de l’histoire du château.

Enfin, le Pôle archives de l’Agglo propose une exposition sur Les juifs en France pendant la Shoah à partir du 7 février dans ses locaux à Louviers (11A rue Charles-Cros).

JForum.fr avec actu.fr/

 

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Madredios

Bravo, bravo, 1000 fois bravo à Lilou, Léonie, Mathéo, Alycia, Jade, Maéva, Arthur, Luna, Klervi, Laura Alyson, Fleur et Sohaïla, de leurs professeurs.
La France a la chance de les avoir, loin des vomissures de haine de la LFI et des ZRB des villes françaises.

Merci d’enrichir la mémoire de ceux qui nous ont été enlevé par la folie nazie..