Immobilier, exportations, croissance: l’inquiétant essoufflement du dragon chinois

L’euphorie de la reprise post- pandé­mie de Covid, en début d’année, a été de courte durée. Si les Chinois reviennent dans les restaurants, ils rechignent à enga­ger des dépen­ses dura­bles. Preuve de leur frilosité à con­som­mer, l’indice des prix a reculé de 0,3 % en juillet. CFOTO/NurPhoto via AFP

 

ENQUÊTE – Crise immobilière, ralentissement de la consommation, baisse des exportations… Les signaux négatifs se multiplient depuis des mois.

Correspondant en Asie

Avec sa végétation tropicale au balcon, le siège de Country Garden, à Foshan, a des allures de jardins suspendus, longtemps un symbole de la prospérité insolente du Guangdong, la province méridionale de Chine, épicentre de l’«usine du monde». Ses gratte-ciel «verts» sont aujourd’hui le théâtre d’une nouvelle crise ébranlant un peu plus la confiance des investisseurs en l’avenir du géant asiatique, en pleine escalade des tensions géopolitiques avec les États-Unis. Le promoteur immobilier a annoncé mercredi des pertes de 49 milliards de yuans (6,7 milliards de dollars), confirmant la gravité du mal qui ronge ce secteur névralgique de la deuxième économie mondiale. «L’effondrement du secteur immobilier et la confiance qui peine à être restaurée exercent une pression croissante sur les activités de la société», a admis le groupe de Yang Huiyan, longtemps la femme la plus riche d’Asie. Elle présentait des pertes records au premier semestre qui ont fait s’envoler sa dette colossale à plus de 150 milliards d’euros.

Comme un air de déjà-vu. Après Evergrande en 2021, qui donna des sueurs froides aux marchés financiers internationaux, un nouveau mastodonte de l’immobilier chinois est au bord de la faillite après s’être frénétiquement endetté. Le groupe, qui fut un temps le plus grand promoteur de l’empire du Milieu en nombre de ventes, n’a pas été en mesure de rembourser deux échéances de prêt en août ; il a demandé une nouvelle période de grâce de quarante jours aux régulateurs.

Après avoir mis en suspens de multiples chantiers ces derniers mois, Country Garden, en quête de cash, doit désormais brader ses appartements, précipitant la glissade des prix de l’immobilier à l’œuvre depuis la pandémie. De quoi nourrir l’attentisme des acheteurs, alors que le nombre de transactions d’appartements de seconde main s’est effondré (- 56,2 % entre mars et juillet) à Pékin, selon les chiffres de la municipalité. Et saper les efforts du régime communiste pour relancer un marché, dont il tentait d’enrayer la surchauffe il y a quelques années seulement.

Faible demande mondiale

Une crise aux lourdes résonances sociales, alors que la pierre est la principale destination de l’épargne des Chinois depuis le décollage frénétique du pays, au tournant du siècle. Sur les réseaux sociaux, la colère sourde des ménages pointe, dribblant la censure. «On fait tous des économies pendant des dizaines d’années pour acheter un appartement, et on finit par être piégés par les promoteurs. Ils disent qu’ils manquent de cash et ont besoin d’aide du gouvernement. Alors où est l’argent?», demande sur la plateforme Weibo un internaute qui attend la livraison de son appartement à Anyang, dans le Henan. Les autorités sont aux aguets pour contenir l’incendie et prévenir une contagion financière. Mais elles semblent impuissantes à inverser la tendance d’un marché atone, critique pour la performance de l’économie chinoise, malgré les annonces de desserrement du crédit.

Au bord de la faillite, le promoteur Country Garden brade des appartements, ce qui aggrave la crise de l’immobilier en Chine, alors même que le pouvoir tente de le relancer. Le secteur, couplé à celui de la construction, pesait près d’un quart de la croissance du PIB. CFOTO/NurPhoto via AFP

Les déboires des promoteurs sont un voyant rouge préoccupant pour l’avenir du mastodonte asiatique, tant ils contribuaient pour une part importante à sa croissance depuis des décennies. «L’économie chinoise est en train de caler, après un premier trimestre d’espoir suscité par la réouverture postépidémique, juge Dan Wang, économiste à la Banque Hang Seng, basée à Shanghaï. La croissance dépend de l’immobilier et c’est un problème, car les prix ne vont pas remonter.» Le secteur immobilier, couplé à celui de la construction, pesait près d’un quart de la croissance du PIB, selon les estimations. Un moteur essentiel au «747 chinois», aujourd’hui privé de carburant pour poursuivre son ascension planétaire face à des États-Unis qui affichent leur résilience économique depuis la sortie de la pandémie.

Un malheur arrive rarement seul. La reprise chinoise est victime d’un mauvais timing à l’échelle planétaire. Les difficultés structurelles du géant manufacturier sont aggravées par la faiblesse de la demande mondiale, plombée par les multiples crises géopolitiques, dont la guerre en Ukraine. Les exportations chinoises ont chuté de 14,5 % en juillet, enregistrant leur plus forte baisse en trois ans. Dans le delta de la rivière des Perles, les usines tournent en sous-régime faute de commandes venues de l’étranger et à cause de la timidité de la demande intérieure.

Les exportations chi­noises ont chuté de 14,5 % en juillet, leur plus forte baisse en trois ans. Le géant manufacturier pâtit de la faiblesse de la demande mondiale, plombée par les mul­tiples crises géopoliti­ques, dont la guerre en Ukraine. CFOTO/NurPhoto via AFP

Ce mauvais alignement des astres accentue la pression sur le président Xi Jinping, champion d’une renaissance nationale décomplexée, qui démarre un troisième mandat délicat. «Les deux moteurs de croissance qu’étaient l’immobilier et les exportations sont à l’arrêt, et la consommation intérieure qui devait prendre le relais n’est pas au rendez-vous», constate Marc Julienne, chercheur à l’Ifri (Institut français des relations internationales). L’indice des prix est même tombé en territoire négatif, à – 0,3 % en juillet. Un signal fort de la frilosité des consommateurs qui reviennent, certes, dans les restaurants mais rechignent à engager des dépenses plus durables.

Spectre de la déflation

Pendant que le monde se débat avec l’inflation, la Chine est rattrapée par le spectre de la déflation et par son corollaire, la stagnation économique, comme l’a connue le Japon dans les années 1990. Autre similitude inquiétante avec l’Archipel, le vieillissement de sa population survient plus vite que prévu. Ce ralentissement structurel nourrit l’inquiétude des nouvelles classes moyennes, désormais confrontées au chômage, et qui mettant l’argent de côté, tournant ainsi la page des années de folles dépenses. L’épargne a bondi de 14 % au premier semestre chez les clients d’Industrial and Commercial Bank of China (ICBC).

«On comprend tous que l’économie ne va pas se reprendre. La lutte contre le Covid a creusé les déficits, de moins en moins de gens font des bébés, juge M. Jiang, 34 ans, vendeur à Wuhan, au chômage depuis janvier. Les gens sont plus prudents pour les grosses dépenses, notamment les logements, les voitures ou même les sacs à main.» Même les ventes des géants du luxe, jusqu’ici insolentes, montrent des signes d’essoufflement ces derniers mois. L’atonie de l’immobilier enclenche une «spirale négative», avec à la clé «un rétrécissement de la richesse», pointe Dan Wang, d’autant que les mauvaises performances de la Bourse privent les investisseurs d’alternatives commodes à la pierre.

Les dettes s’empilent

Pour autant, le géant émergé ne semble pas au bord de l’implosion systémique, grâce à un secteur financier largement étanche du reste de la planète et surveillé comme le lait sur le feu par un régime obsédé par le contrôle. À moyen terme, la Chine demeure un marché en croissance, prometteur dans de nombreux secteurs de consommation, tiré par l’expansion de ses classes moyennes qui devrait se poursuivre jusqu’en 2035. Un gâteau toujours plus gros qui attise encore l’appétit de grandes marques internationales comme L’Oréal Paris, mais confrontées à une concurrence locale plus aiguisée et des consommateurs exigeants, ultraconnectés. «Les fondamentaux de l’économie chinoise restent solides, mais le climat institutionnel sème le trouble», explique pudiquement Dan Wang.

Le virage étatiste imposé par le secrétaire général du Parti Xi, dans un contexte de rivalité assumée avec l’Occident, inquiète les entrepreneurs comme les investisseurs étrangers, bridant le dynamisme entrepreneurial, véritable aiguillon du décollage chinois pendant des décennies. Et attise le spectre d’un conflit à Taïwan. La nouvelle loi anti-espionnage, les descentes des services de sécurité chez plusieurs cabinets de conseil ces derniers mois, comme Bain, au nom de la «sécurité nationale», sèment le doute au sein des boards des multinationales, réticents à envoyer des expatriés. La Chine est devenue une destination «impossible à investir» aux yeux de nombreux groupes américains, a pointé sans détour Gina Raimondo, la secrétaire au Commerce américaine, en visite à Pékin la semaine dernière. La mise au pas du secteur de la tech, symbolisée par le démembrement de l’empire Alibaba, rajoute à l’inquiétude du secteur privé, face à un Parti déterminé à réaffirmer sa griffe sur la société.

Des marges de manœuvre réduites

Les déboires de Country Garden, fondé en 1992, l’année du «grand tour» dans le Sud de Deng Xiaoping lançant pleinement «l’ère de la réforme et l’ouverture» du géant maoïste assoupi, sonnent comme un raccourci de l’histoire. Aujourd’hui, la «nouvelle ère» scandée par Xi réaffirme la primauté de l’idéologie, et pourrait accoucher d’un nouvel «âge de stagnation», redoute le sinologue Ian Johnson, dans la revue Foreign Affairs.

La modestie des plans de relance de Pékin signale ses marges de manœuvre réduites alors que les dettes s’empilent. Même l’objectif de 5 % de croissance annuelle s’annonce «difficile» à atteindre, de l’aveu même du premier ministre, Li Qiang. Il reste atteignable, juge Dan Wang. La Chine ne sera plus la locomotive de l’économie mondiale comme en 2008, lorsqu’elle avait déclenché un stimulus astronomique, sauvant le capitalisme mondial. Le convoi poursuit à vitesse réduite sa longue marche vers le développement, déjà freinée par le vieillissement, le cap mis sur le centenaire de la Chine rouge, en 2049. Si le déraillement paraît improbable, certains redoutent que son timonier ne l’engage sur une voie de garage.

JForum avec  Sébastien Falletti www.lefigaro.fr

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