Quand les nazis photographient leurs victimes : les documents inédits des SS exposés au Mémorial de la Shoah

ENTRETIEN – En 1944, les SS avaient eux-mêmes documenté en images leurs agissements dans le camp d’extermination situé en Pologne. L’historien Alexandre Bande décrypte ces clichés inédits en France, exposés à Paris, au Mémorial de la Shoah.

Par Jean-Christophe Buisson, pour Le Figaro Magazine

Des dizaines de chefs d’État vont se retrouver mardi 27 janvier, à Oswiecim (Auschwitz), pour commémorer les 80 ans de la libération du camp d’extermination nazi où plus d’un million de Juifs ont été tués entre 1940 et 1945. Par sa taille et son rôle dans le système concentrationnaire et dans le processus de destruction des Juifs d’Europe, Auschwitz occupe une place particulière dans l’Histoire et la mémoire humaine.

Outre les images prises par les soldats soviétiques durant l’hiver 1945 existent des « albums » réalisés par les SS eux-mêmes et destinés à montrer à leurs chefs le bon déroulement de leur mission exterminatrice.

Ils ont été utilisés comme preuves lors des procès des dirigeants nazis après-guerre et sont exposés à Jérusalem, au Mémorial de Yad Vashem. Et cet hiver en France, au Mémorial de la Shoah*. L’historien Alexandre Bande, auteur d’un essai de référence, Auschwitz 1945, nous éclaire sur ces photos saisissantes.

LE FIGARO MAGAZINE. – Pour quelle raison les SS d’Auschwitz photographiaient-ils leurs prisonniers ?

ALEXANDRE BANDE. – Tout au long de l’histoire du complexe concentrationnaire d’Auschwitz, les SS ont fait de nombreuses photographies des déportés, photographies anthropométriques, clichés des travaux de terrassement, mais les seules photographies représentant l’arrivée de convois de populations juives, majoritairement envoyées dans les chambres à gaz dès leur arrivée, sont celles qui composent ce que l’on appelle « L’Album d’Auschwitz ».

Tous les SS impliqués dans la sélection portent une canne, qui leur permet à la fois de diriger les déportés et de les frapper. © Album d’Auschwitz. Yad Vashem

Cette source exceptionnelle, que les historiens de la Shoah connaissent, mais que le grand public ignorait, a été mise en lumière et rigoureusement analysée par Tal Bruttmann, Stefan Hördler et Christoph Kreutzmüller dans un ouvrage paru en 2023. Certainement voulu par le commandant du complexe, Rudolf Höss, cet ensemble de 197 clichés a été réalisé, entre la mi-mai et la fin du mois de juillet 1944, par deux photographes du service anthropométrique du camp, avec pour objectif de démontrer l’efficacité de la gestion par Höss de l’arrivée de 430.000 Juifs hongrois.

En quoi ces photos aident-elles à comprendre le processus d’extermination des Juifs dans le complexe d’Auschwitz ?

Cet ensemble de photographies fournit de très nombreuses informations sur le processus d’extermination des Juifs à Birkenau : de la descente des trains à l’arrivée à quelques encablures des chambres à gaz, en passant par le processus de sélection. Mais ces photos ne montrent pas ce qui s’est ensuite réellement passé pour les victimes. La violence, les coups, les cadavres sont soigneusement ignorés par les photographes. Cette source majeure n’est vraiment utile que si elle est mise en perspective avec d’autres sources.

Un groupe de prisonniers décharge un camion de vêtements dans le Kanada II, près des chambres à gaz, où étaient entreposées toutes les possessions des déportés. © Album d’Auschwitz. Yad Vashem

Ce qu’on voit sur ces images ressemble-t-il à ce que trouvent les soldats de l’Armée rouge à leur arrivée le 27 janvier 1945 ?

L’arrivée de l’Armée rouge à Auschwitz survient en plein hiver, la neige recouvre le site, seuls quelque 7000 déportés faméliques, malades et incapables de se mouvoir sont encore sur place. Si les barbelés, les miradors, les voies ferrées, les baraques en bois sont encore visibles, les chambres à gaz ont été détruites par les SS (à l’exception du Crématoire IV détruit lors de la révolte du Sonderkommando du 7 octobre 1944), ces derniers ne sont plus là.

*«Comment les nazis ont photographié leurs crimes. Auschwitz 1944», Mémorial de la Shoah (Paris 4e).

«Auschwitz 1945», d’Alexandre Bande, Passés/Composés, 140 p., 16 €. Passés/Composés

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