RETRONEWS/ AFP

Débarquement de Normandie: quand la presse collabo décriait « l’invasion » du D-Day.

Le D-Day, aujourd’hui célébré comme “un moment fort de cohésion nationale », fut présenté comme « un débarquement ennemi » par la presse aux ordres de l’Occupant.

Vitrines aux couleurs des Alliés et véhicules militaires sur les routes normandes, invités de marque: la France tout entière commémore ce jeudi le débarquement du 6 juin 1944, en présence de Donald Trump, d’Emmanuel Macron et de quelque 500 vétérans souvent centenaires.

Cette célébration, censée reléguer au second plan les tensions franco-américaines, doit offrir “un moment fort de cohésion nationale et de célébration historique, qui permet à la France de rendre hommage à tous ceux qui ont combattu pour sa libération”, saluent la ministre des Armées Florence Parly et sa secrétaire d’Etat Geneviève Darrieussecq.

Il y a 75 ans, ce D-Day n’a pourtant pas été vécu ni relaté de la même manière partout en France, où la presse collaborationniste ou maréchaliste décriait alors, avec force détails, “l’invasion de l’Europe par l’armée anglo-américaine”.

Comme l’attestent les coupures de presse de l’époque, dénichées par RetroNews, le site de presse de la BnF, pour Le HuffPost, l’Opération Overlord fait alors l’objet d’une contre-opération de propagande pointant l’offensive meurtrière de ces troupes “ennemies” menaçant le continent tout entier.

“Débarquement ennemi”

Dès le Jour-J, la presse française feint d’ignorer l’effet de surprise. Le 6 juin 1944, le quotidien régional basque La Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-de-Luz relate ainsi cette “invasion par les Anglo-Américains si longtemps attendue”.

Attendue peut-être, mais pas à cet endroit là. Car la propagande de guerre tourne alors à plein régime.

Une vaste opération de manipulation britannique, baptisée “Fortitude”, a longtemps conforté les Allemands dans l’idée que le débarquement aurait lieu en Scandinavie puis dans le Pas-de-Calais, et non en Normandie. Tant et si bien qu’après le 6 juin, les Allemands croiront encore à un deuxième débarquement dans le Pas-de Calais.

“Attendu”, le débarquement devient dans la presse aux ordres une offensive étrangère. Entre les descriptions des mouvements de troupes et les supputations sur les objectifs militaires visés, le mot “invasion” revient inlassablement pour qualifier ce “débarquement ennemi”.

A l’évidence, la presse sous contrôle de l’armée occupante ou liée au régime de Vichy ignore qu’au sein de cette “flotte d’invasion” figurent les 177 fusiliers marins des Forces françaises libres du commando Kieffer. Intégrés au Royal Marine Commando N° 4, ils sont les seuls Français en uniforme à avoir participé au débarquement allié.

Nourris par “l’agence Reuter” et sourcés pour la plupart à Berlin, ces dépêches reproduites telles quelles épousent volontiers le point de vue de l’armée occupante.

L’invasion des Anglo-Américains contre l’embouchure de la Seine et la Normandie se présente comme une offensive de grand style. Sa puissance dépasse de beaucoup celle d’un kommando et on peut considérer cela comme la première phase de l’invasion anglo-américaine”, insiste La Gazette basque.

 

De son côté, le journal L’Oeuvre, passé dans le camp de la presse pro-nazie, reproduit in extenso le communiqué officiel du Haut commandement des forces armées allemandes.

Au moment même où le général de Gaulle et la presse libre saluent “la bataille suprême” pour “la libération de la France”, les reportages de la presse d’occupation s’opposent.

D’un côté, les Résistants acclamés par les populations, de l’autre la colère des Normands, écrasés par les bombardements et la crainte de représailles.

Le poids des “bombardements criminels”

La violence de l’offensive, et notamment les bombardements alliés qui mettent à rude épreuve les populations civiles, font en effet l’objet d’une couverture appuyée.

Le 7 juin, au lendemain du Débarquement, le journal collaborationniste Le Petit Parisien, qui sera interdit à la fin de la guerre, s’ouvre sur les “violents combats” entre Cherbourg et Le Havre.

L’édition du 7 juin de L’Action française consacre un entrefilet à la seule question des bombardements sur un ton particulièrement anxiogène.

“Il n’y a pas un seul Français encore indemne qui puisse être assuré que son tour ne viendra pas demain.[…] On ne tourne pas un bouton de la radio, on n’ouvre pas un journal sans se demander quelle ville aura été frappée, sur quelle région de notre territoire il aura plu à nos anciens alliés de semer la destruction, le deuil et la mort”, écrit alors Jacques Delebecque.

Le prix humain de l’offensive alliée et des bombardements reviendra constamment tout au long de la bataille de Libération du pays.

Mi-juillet, Le Petit Parisien insiste sur les “bombardements criminels anglo-américains” tout en assurant la promotion de la nouvelle “torpille monoplace allemande”. Ce jour-là; le quotidien du soir s’ouvre sur les dégâts provoqués par “la flotte d’invasion” et une photo du centre dévasté de Vire (Normandie).

En pied de Une, ce dessin intitulé “Debout les morts”, montrant des soldats britanniques cherchant des survivants à mobiliser sous les décombres.

 

Ce ressentiment instrumentalisé n’est pas pour autant fantasmé. Car la bataille de Normandie, et le bombardement des colonnes allemandes, font de nombreuses victimes collatérales parmi les populations civiles.

De juin à septembre 1944, près de 17.560 tonnes de bombes sont déversées en soutien des forces terrestres en Normandie, estime l’historien britannique Andrew Knapp, dans “Les Français sous les bombes alliées 1940-1945”.

Les principales villes normandes (Le Havre, Caen, Rouen, Saint-Lô) mayent un lourd tribut.

“Au matin du 7 juin, on compte près de 3000 morts parmi les civils, soit presque autant que de soldats alliés” décédés le 6 juin, rappelle à l’AFP Jean Quellien, auteur de “La Bataille de Normandie”.

Du bombardement de Rouen en mai 1944 à ceux du Havre en septembre, et en incluant les victimes des mines de 1944, 20.000 civils ont péri, selon l’universitaire honoraire.

Le “solennel avertissement” du Maréchal

Au-delà de la qualification de l’offensive, la réponse politique au débarquement allié est elle-même sans équivoque.

Dans son édition du 7 juin, L’Action française de Charles Maurras réserve sa colonne centrale à la retranscription du “solennel avertissement” prononcé par le Maréchal Pétain à la radio.

Ce dernier y somme les Français de ne pas répondre aux appels à la Résistance au risque de s’attirer de “tragiques représailles”.

 

Même choix éditorial de la part du Petit Parisien qui reproduit in extenso le verbatim de l’allocution du chef de l’Etat Français, adossé au verbatim de l’allocution prononcée par le président du Conseil, Pierre Laval.

Face aux “appels séditieux”, ce dernier y insiste sur le fait que “les Français n’ont d’ordre à recevoir que du gouvernement français”, tout en rappelant les “obligations” de la France occupée à l’égard des armées allemandes. “Toute désobéissance à ces instructions constituera un crime contre la patrie”, met en garde le chef du gouvernement.

 

La quasi-totalité des journaux ayant collaboré avec l’Allemagne nazie ou le régime de Vichy seront fermés à la Libération.

Par Geoffroy Clavel

 Le HuffPost

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

1 Commentaire
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
alexandra

Notre gratitude éternelle aux boys qui ont libéré la France !