Olivier Catel, Jérusalem, un cœur de paix. Le Cerf, 2024
Ce livre qui se veut un vibrant hommage à la cité trois fois sainte, ne ressemble à aucun autre traitant du même sujet. Il s’agit de la confession personnelle d’un prêtre catholique vivant à Jérusalem et livrant ses pensées et ses sensations profondes qui caractérisent son vécu quotidien.
C’est donc un discours sincère, authentique, mais qui reste fidèle à son église d’origine, ce qui est parfaitement légitime puisque le cœur de Jérusalem se divise ou se partage en au moins trois grandes communautés religieuses, juive, chrétienne et musulmane. Mais, même au sein de ces groupes, ne r ègne pas une harmonie absolue…
Pour ceux, dont je ne suis pas, qui ont un peu étudié l’histoire ou la préhistoire de cette ville de Jérusalem, un profond mystère enveloppe le destin de cette cité… Au fond, pour quelle raison le Seigneur a-t-il jeté son dévolu sur un minuscule village peuplé par à peine quelques centaines d’âmes, situé sur un piton rocheux, une cité d’accès difficile et que la Bible hébraïque nous présente comme le choix de résidence de la divinité monothéiste… Jérusalem se situe dans un endroit géographique où la croyance a fit ses premiers pas. L’un des frères Reinach, Théodore, a dit la boutade suivante : s’il fallait rendre Jérusalem à quelqu’un, ce serait aux Jébuséens puisque le roi David l’a conquise sur cette peuplade biblique.
Mais ce n’est pas tout puisque c’est cette même partie du monde qui devait abriter le temple juif. Et un édifice sobre qui n’était, à l’origine, qu’une simple chapelle royale, est devenu un temple universel, cher aux yeux d’une large partie de l’humanité ! On comprend mieux l’intérêt de ce livre et l’émotion de son auteur, un prêtre catholique, qui veut nous faire partager son ressenti lors de ses déambulations quotidiennes.
Il est donc difficile de trouver un angle d’approche pour recenser convenablement le présent ouvrage. Je vais, pour cette raison, opter pour une approche qui consiste à suivre l’auteur pas à pas et à donner une idée de ses émotions.
Mais pour nous, le mystère de Jérusalem reste entier, nous n’arrivons pas à percer le mystère de ce dessein divin. Dans l’Antiquité déjà, la tradition juive s’était posé la question sans apporter de réponse. Aucune autre cité n’est aussi fréquemment mentionnée dans la Bible hébraïque. Alors qu’on avait l’embarras du choix, c’est vers elle que se tournent les prières des fidèles. On parle même de la Jérusalem céleste, prototype de celle d’en-bas. La formule «l’an prochain à Jérusalem» clôture ben des oraisons, et même la Pâque juive, la première fête nationale du peuple d’Israël, achève son rituel par un tel vœu . Et ceux qui y habitent ou qui y sont nés depuis son retour à la souveraineté juive continuent de mentionner ce vœu ardent.
La personne du Christ occupe ici toute sa place et ceci est bien légitime puisque Jésus est né juif et qu’il n’a jamais changé de religion ; c’est son approche de ce gigantesque héritage qui a changé. Il a laissé des traces indélébiles qui attirent des pèlerins du monde entier, notamment pour visiter le Saint-Sépulcre.
Au fil des siècles, toutes les puissances ayant une relation avec la source monothéiste ont cru pouvoir se rapprocher de Dieu en conquérant la ville par les armes… tragique erreur, sanglant malentendu ! Cette ville veut la paix et rejette toute violence, depuis déjà les vieux prophètes hébraïques : Isaïe, déplore, au V III avant notre èrel les premiers versets de son livre, la corruption et l’immoralité de la ville sainte de son temps. Il souligne le vœux divin d’une société éthique, fondée sur la paix universelle et non sur d’apparents cultes sacrificiels.
Mais ne négligeons pas la suite du titre qui comporte deux termes fondamentaux : le cœur et la paix, cœur de paix… Rares sont les villes qui ont autant déchaîné la violence et les contestations sanglantes. Aujourd’hui, au moment même où nous rédigeons, des attentats sont perpétrés dans la vieille ville ou la partie la plus moderne, habitée majoritairement par des juifs. C’est dire combien la paix est recherchée sans jamais être profondément enracinée sur place. L’auteur énonce au moins trois ou quatre grands groupes qui se rejettent mutuellement la faute de l’incompréhension, de la défiance et d’un zèle convertisseur qui n’est jamais rassasié : comment y instaurer un minimum de paix entre toutes ces communautés ? Même les juifs, pourtant citoyens légitimes de cette ville où leurs racines sont profondément enfouies , sont divisés… Le cœur de paix veut apporter le calme et la concorde, au moins partiellement.
On l’oublie souvent, mais les conflits entre les hommes sont plus difficiles à pardonner que ceux commis contre le divin. L’auteur cite un long passage (p 81) du Mishné Tora de Maimonide qui donne la démarche à suivre afin d’éradiquer les haines recuites transmises de génération en génération. L’amour devra l’emporter sur la haine gratuite…
Un vers de Baudelaire : le cœur des villes change plus vite que le cœur des hommes… Ce n’est pas peu dire
Comment conclure ? Nous sommes tous conscients du travail à faire pour faire tomber les murs, amorcer le dialogue, mais comment y parvenir ? Nous faisons tous preuve de bonne volonté mais quand il s’agit des convictions ou des vérités religieuses, nous marquons le pas. Comment être convaincu, en son âme et conscience, sans porter atteinte aux convictions de l’Autre ?
Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à l’université de Genève.
par Jforum.fr
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