Netanya est-elle la base des escrocs franco-israéliens ?
Cyberfraude ciblant la Suisse romande
Un réseau de cyberfraude jugé après avoir siphonné des millions à des PME romandes
C’est un procès peu commun qui s’ouvre ce lundi devant le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone : un homme de 37 ans, binational franco-israélien, y comparaît pour sa participation présumée à une vaste escroquerie informatique. Entre 2016 et 2018, plus de 5,3 millions de francs ont été dérobés à sept entreprises basées en Suisse romande, victimes d’un stratagème numérique aussi habile qu’invisible.
L’affaire illustre la montée en puissance de la cybercriminalité organisée à l’échelle internationale, où les frontières géographiques ne représentent plus d’obstacle. L’accusé, connu sous le prénom de Raphaël*, opérait depuis Netanya, une ville israélienne au nord de Tel-Aviv, à l’aide de techniques relevant du « social engineering », consistant à manipuler psychologiquement des employés d’entreprises pour obtenir des accès informatiques sensibles.
Une arnaque bien rodée
Se faisant passer pour un technicien de banque – souvent sous les noms d’Eric Müller, Eric Lopez ou Monsieur Morel – Raphaël contactait des employés chargés des paiements dans des PME romandes. Prétextant une mise à jour de sécurité ou une migration du système e-banking, il les incitait à se connecter à des plateformes frauduleuses et à laisser leurs sessions ouvertes. L’étape suivante consistait à les diriger vers des sites permettant l’installation de logiciels de prise de contrôle à distance, comme TeamViewer ou NTR Cloud. Une fois l’accès sécurisé, ses complices prenaient le relais pour ordonner des virements massifs vers des comptes bancaires répartis dans une dizaine de pays, allant de la Chine à la Bulgarie, en passant par les Pays-Bas, la République tchèque ou encore la Suisse.
Une organisation internationale et opaque
Bien que l’affaire ait affecté de nombreuses sociétés, Raphaël est, à ce jour, le seul individu à avoir été identifié par les autorités. Vingt-neuf entreprises ont été ciblées au total, et dix-neuf ont porté plainte. Si certaines tentatives ont échoué, sept d’entre elles ont subi des pertes financières considérables, allant de 80’000 à près de deux millions de francs.
Parmi les victimes figurent des sociétés issues de secteurs aussi variés que l’horlogerie, l’immobilier, l’enseignement privé, l’automobile, la métallurgie ou encore l’import-export. L’ampleur et la diversité des entreprises touchées démontrent que la menace cybercriminelle pèse sur toutes les branches économiques, y compris sur des structures de taille moyenne.
D’Israël à la Suisse via les États-Unis
L’homme jugé aujourd’hui aurait débuté sa collaboration avec le réseau après une rencontre fortuite à Tel-Aviv, en 2016, avec un certain « Gino », se présentant comme un acteur de la « décaisse » — terme argotique désignant la sortie de fonds via des circuits bancaires détournés. Raphaël aurait alors accepté de rejoindre l’organisation en toute connaissance de cause, contre une rémunération fixe de 6000 euros mensuels, plus un pourcentage sur les sommes détournées.
Il a poursuivi son activité jusqu’en août 2018, avant d’être arrêté plus de trois ans plus tard, en janvier 2022, à l’aéroport de Newark (États-Unis). Extradé vers la Suisse en avril suivant, il a passé dix mois en détention provisoire, puis a été libéré sous caution.
Une défense partielle, une attente forte
Selon ses avocates, Me Miriam Mazou et Me Marie Besse, Raphaël reconnaît certains faits mais conteste l’ampleur de sa participation. Il aurait exprimé ses regrets au cours de l’enquête. La justice devra trancher si ses actes relèvent d’une implication active et consciente dans un mécanisme d’escroquerie internationale.
Me Sébastien Fanti, avocat de l’une des entreprises lésées, souligne que ce dossier représente une rare occasion de confronter un acteur majeur de la cybercriminalité aux tribunaux helvétiques. Il espère une sanction exemplaire, propre à dissuader d’éventuels imitateurs. L’entreprise qu’il représente, une horlogerie basée à La Chaux-de-Fonds, a perdu plus de 1,5 million de francs. Un groupe immobilier genevois figure également parmi les plus lourdement touchés, avec près de 2 millions envolés.
Un signal d’alerte pour les PME
Cette affaire met en lumière l’extrême vulnérabilité des PME face aux attaques numériques sophistiquées. Le mode opératoire, fondé sur la confiance et la méconnaissance technique de certains employés, prouve que la cybersécurité ne se limite pas aux firewalls et antivirus. La formation, la vigilance et la vérification systématique des procédures restent des éléments essentiels pour éviter de tomber dans le piège.
Alors que le procès s’ouvre à Bellinzone, le monde entrepreneurial suit avec attention cette affaire, qui pourrait bien marquer un tournant dans la manière dont la Suisse traite les délits numériques à portée transnationale.
Ce n’est pas la première fois que des escrocs ayant opéré depuis Netanya sont arrêtés puis traduits en justice. La récurrence de ces affaires soulève inévitablement des interrogations : pourquoi cette ville israélienne semble-t-elle attirer autant d’individus impliqués dans des activités frauduleuses, notamment d’origine française ? Doit-on y voir la présence de structures ou de réseaux favorisant ces opérations illicites ? Il est difficile de trancher, mais le constat s’impose : le nombre croissant de cybercriminels liés à cette localité interroge, au point que l’on ne sait plus s’il s’agit d’une simple coïncidence… ou d’un terrain particulièrement fertile pour les escroqueries internationales.
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