Matthieu Béra, Durkheim, fondateur de la sociologie. Que sais-je ?, 2024.
Emil Durkheim et Max Weber sont généralement considérés comme les fondateurs de l’école sociologique française.. L’auteur se livre à l’intéressants développements sur la notion de père-fondateur qui peut parfois paraître un peu contestable. Et dans ce domaine de création ou de découverte d’une science nouvelle, cette expression gagne à être précisée. Mais nous croyons que Durkheim a bien été le fondateur de l’école sociologique française. Et Durkheim lui-même avait surtout reçu u une formation de philosophe à l’École Normale Supérieure. Et pendant longtemps, on a confondu les deux disciplines, ce qui explique les efforts déployés pour libérer la sociologie naissante de pesante tutelle de la philosophie.
Un mot sur les origines de ce juif de l’est de la France, né en 1858 et mort en 1917, deux avant la mort de son fils au champ d’honneur. Tant du côté paternel que maternel, il fut le descendant de lignées rabbiniques. Le salaire de son père qui était rabbin de la communauté ne suffisait pas à couvrir les frais de la famille, la mère ouvrit une modeste boutique de broderie afin d’alléger la charge du foyer.. La précocité de l’éveil culturel de cet enfant s’explique par la nature de cette famille où l’étude des textes anciens, notamment l’exégèse biblique, était monnaie courante. Il réussit son baccalauréat à 16 ans et est candidat à l’ENS qu’il quittera après avoir obtenu l’agrégation de philosophie. Il enseignera cette discipline pendant quelques années à Bordeaux. Mais ce qui retiendra toute son attention pendant ses années de maturité, c’est le fait social. Il en donnera des définitions qui sont reprises dans ce petit volume. : en définissant la sociologie comme la science des faits qui nous contraignent, il démarquait le domaine de la sociologie de la philosophie… La sociologie est la science des faits qui nous contraignent… Mais la sociologie est avant tout la science des sanctions. La question se pose dès les premiers pas ; pourquoi devons nous obéir aux lois, par exemple…. On peut citer l’exemple des adultes qui imposent aux enfants d’agir de telle façon ou de telle autre.
Le propre de la sociologie est de voir dans les évidences convenues des problèmes à résoudre. Durkheim dit même qu’il faut concevoir les faits sociaux comme des choses que les spécialistes tenteront de résoudre. Dans tous les domaines, on découvre que l’argument de< l’autorité et surtout de sa légitimité prime : et ce, dans l’éducation laïque ou religieuse, comme dans d’autres domaines qui requièrent une rapproche raisonnée. Dans quel but ? créer une sorte de science de ces choses (sic). Cette objectivation, cette méthode consistant à réifier les faits sociaux, continue de faire problème. Car on peut toujours contester les fondements j juridiques de ces fameux faits sociaux. Est-ce que le droit ou les statistiques peut nous aider à y parvenir ? La question continue de se poser… Une réalité aussi mouvante peut-elle devenir un fait scientifique alors que l’observateur de ce qui se passe comporte l’inclusion de l’observateur lui-même : que devient la séparation entre le scientifique et son objet d’étude.
L’un des désirs le plus fondamental pour Durkheim était de construire son objet et de faire de la sociologie une discipline scientifique enseignée dans toutes universités. En faisait partie la distinction entre le normal et pathologique, un point crucial puisqu’il s’agit de fonder une approche en droit.
Cet ouvrage discute sur des pages et des pages la critique des thèses de Durkheim par des collègues de son temps. Les passages portant sur la division du travail au sein des groupes sociaux différents sont bien écrits et d’accès presque facile… Mais ce qui m’a le plus intrigués, ce sont les développements de Durkheim sur le suicide, ses motivations et, dans une certaine mesure, son caractère presque normal… Le suicide serait l’échec de la socialisation d’un groupe d’individus. Ce serait donc un mal nécessaire, voire incontournable, presque un marqueur, comme on dit aujourd’hui.
En parcourant certains passages de ce livre, on se rend compte de la complexité de toutes ces questions qui ont trait au fait social. Mais on aurait eu mois de difficulté à tirer profit de ce Que saisn-je ? si on avait plus mis l’accent sur l’homme Durkheim. Quel homme était-il ? Pourquoi ses origines juives (bien plus encore, rabbiniques) n’sont-elles pas exercé une plus grande influence, comme chez Freud, par exemple ?
L’auteur souligne la révélation (sic) de l’année 1895 au cours de laquelle Durkheim voit la sociologie religieuse s’imposer à lui. C’est lui-même qui utilise le terme de révélation, sans en dire plus sur le contenu de cet événement. On ne peut pas faire l l’économie de ce phénomène qui intervient presque dans les dernières années de sa vie… Les règles juridiques sont d’origine religieuse : famille, éducation, droit, héritage, éducation, etc… Quelques années plus tard, Carl Schmitt défendra ra la même thèse sur l’origine religieuse des grands p principes de la vie sociale. Les valeurs sociales sont des principes religieux sécularisés.
Pour Durkheim, au fondement de toute religion gît le principe du culte. Mais qu’entend il par là ? On peut raisonnablement penser que le terme recouvre la pratique religieuse en soi. Il y a aussi une autre notion qui joue un rôle à part, c’est la notion d’association ou de regroupement. Ce qui fait de la religion un phénomène social, doté de rites et de pratiques obligatoires.
ON l’aura compris par ce simple compte rendu que le présent ouvrage est très riche et répond de manière approfondie à bien des questions sur la sociologie. On se souvient de l’intérêt grandiose des militants de mai 68 pour tout ce qui est en rapport avec la sociologie… On disait alors que tout est politique dans le sens que tout relève de la sociologie…
Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à l’université de Genève.
par Jforum.fr
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1er guerre mondiale. tombé au champs d’honneur ou d’horreur ?
envoyé à la mort certaine comme des centaines de milliers de jeunes par des « grands généraux maréchaux » qui ont aujourd’hui encore leur noms sur toutes les grandes rues … pourquoi ? pour rien, 25 ans plus tard ça recommence …