Les sauveteurs juifs pendant la Shoah
Héros juifs oubliés
Un musée inédit pour honorer les héros juifs de la Shoah
Longtemps éclipsée par les récits, pourtant essentiels, des Justes parmi les Nations, une autre forme de bravoure émerge aujourd’hui de l’ombre : celle des Juifs ayant risqué leur vie pour sauver leurs semblables durant l’Holocauste. À travers l’inauguration du centre « Lifeline » au kibboutz HaZorea, en Israël, cette histoire trop peu racontée trouve enfin un espace à sa mesure.
Installé au sein du Musée Wilfrid Israël d’art et d’études orientales, le centre s’étend modestement sur 70 m², mais son ambition est immense : faire entendre les voix des Juifs sauveteurs, ces figures oubliées dont les actions héroïques ont défié les ténèbres du génocide. Une initiative unique au monde, portée par le comité pour l’héroïsme des sauveteurs juifs, en partenariat avec l’organisation B’nai B’rith.
Des figures d’exception aux parcours variés
L’exposition permanente met en lumière dix parcours singuliers, venus de différents pays, unis par un même courage. L’un des plus emblématiques est celui de Wilfrid Israël, industriel allemand qui, à travers le projet « Kindertransport », facilita le départ de milliers d’enfants juifs vers la sécurité en Angleterre. Le musée qui l’héberge porte d’ailleurs son nom en hommage à son action.
Autre figure marquante : Marcel Marceau, mondialement connu pour son art du mime, mais dont le rôle de passeur durant la guerre est moins connu. Encore adolescent, il guida des enfants juifs à travers les forêts de France jusqu’à la frontière suisse, sauvant des vies dans le plus grand secret.
Fanny Ben-Ami, elle, n’avait que 13 ans lorsqu’elle mena un groupe d’enfants juifs vers la Suisse. Son audace et sa maturité prématurée en font un symbole poignant de la jeunesse confrontée à l’inhumanité.
En Lituanie, Wolf Galperin, 17 ans, créa un groupe de soutien au sein des camps, apportant nourriture, soins et réconfort à des dizaines d’enfants. Quarante d’entre eux ont survécu, tous convaincus qu’ils doivent leur vie à sa présence constante. À Sderot, une place porte aujourd’hui son nom.
D’autres récits émergent du Maroc, avec l’avocate Hélène Ben-Atar, qui sauva des centaines de réfugiés en falsifiant des documents et en les cachant dans des familles locales. Ou encore de Pologne, avec Naftali Beckenrot-Brunitzky, qui réussit à se faire passer pour un travailleur aryen et cacha des Juifs dans une ferme qu’il dirigeait pour le compte des nazis.
Enfin, David Gur, ingénieur de Ramat Gan âgé de 98 ans, participa à la fabrication de faux certificats ayant permis à d’innombrables Juifs hongrois d’échapper à la déportation. Il est aujourd’hui président d’une association d’étude sur les mouvements de jeunesse sionistes de Hongrie.
Un pan de l’histoire longtemps ignoré
Pourquoi ces histoires ont-elles été si peu relayées jusqu’à aujourd’hui ? Pour Aryeh Barnea, président du comité dédié à cet héroïsme méconnu, la réponse tient dans un biais historique persistant : il semblait évident que des Juifs s’entraident. Or, comme il le rappelle, « dans les conditions inhumaines de la Shoah, la priorité était souvent la survie individuelle. »
Reconnaître l’engagement de ceux qui ont choisi, malgré le danger, de sauver des inconnus, devient ainsi un acte de justice mémorielle. Depuis vingt-cinq ans, le comité a attribué la Médaille du sauveteur juif à plus de 640 femmes et hommes.
Mais plus encore qu’un lieu de mémoire, le centre se veut un levier pédagogique. Il propose des visites pour jeunes, soldats et groupes, des séminaires, ainsi que des conférences visant à faire entrer ces récits dans le récit collectif.
Une expérience vivante et immersive
Loin d’un simple alignement de noms ou de documents, le centre « Lifeline » a été pensé comme une expérience sensorielle. À travers des supports multimédias, des photos et des témoignages filmés, les visiteurs sont immergés dans ces histoires. Le musée souhaite offrir non seulement de la connaissance, mais de l’inspiration.
Nurit Asher Fenig, directrice du musée Wilfrid Israël, souligne l’importance de cette mission : « Ces récits donnent un visage à une forme d’héroïsme rarement évoquée. Ils redéfinissent le courage dans un contexte où aider l’autre pouvait coûter la vie. »
Ce lieu est une invitation à reconsidérer les définitions du courage et de la solidarité. À travers ces figures souvent jeunes, parfois anonymes, c’est une autre lumière qui est jetée sur la Shoah — celle de l’altruisme juif, discret, mais essentiel.
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