Photographié dans le quartier de la Madeleine à Lille (Nord, ce Français fiché S est mis en examen pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes terroristes. (Franck Crusiaux pour le JDD)
INTERVIEW – Il veut garder l’anonymat mais à la veille de son procès, demain à Paris, il témoigne : oui, il a combattu en Syrie avant de rentrer en France. Mais non, jure-t-il, il n’est pas un terroriste.

Entre juin 2013 et février 2014, vous avez combattu en Syrie. À la veille de votre procès, vous affirmez avoir tourné la page. Vous considérez-vous comme un repenti du djihad?

Oui. Je suis parti en Syrie pour réaliser un rêve, aider les Syriens persécutés par Bachar El-Assad, participer à la création d’un royaume en terre d’Islam… À la poursuite d’un idéal. C’était une terrible erreur. J’en paie le prix aujourd’hui. Mais je n’ai jamais voulu tuer d’innocents ou me faire sauter avec une ceinture d’explosifs.

« Je suis parti pour affronter Bachar et son armée, je me suis retrouvé à devoir combattre des musulmans »

La justice doute encore de votre sincérité… Lundi, vous comparaîtrez à Paris devant la 16e chambre correctionnelle pour participation à une entreprise terroriste.

Récemment, une juge a ironisé car j’ai entamé une formation de trois ans dans l’univers du cheval [Il ne veut pas préciser où pour ne pas être reconnu par ses collègues.] Elle m’a trouvé optimiste. En 2015, j’ai été placé sous contrôle judiciaire mais aujourd’hui, pour des gens comme moi, il n’y a plus que la prison. En Syrie, J’ai croisé des centaines d’étrangers, des Européens, des Maghrébins, des Arabes, et même des Canadiens… La plupart étaient des pauvres types dépassés par ce qu’ils vivaient. S’ils ne sont pas morts, ils vont revenir. Ils ne méritent pas tous la prison. Je suis en train de m’en sortir. Si on m’y envoie, je ne sais pas ce que je vais devenir.

«La plupart des étrangers en Syrie, des pauvres types dépassés par ce qu’ils vivaient»

Comment expliquez-vous ce revirement?

Je me suis rendu compte que j’avais eu tout faux en me rendant en Syrie. Avant de partir, un ami qui s’était dégonflé m’avait dit « si ça se trouve la Syrie ça va finir comme la Bosnie ». Il avait tellement raison. J’avais 23 ans, je n’y connaissais rien. Ce conflit était trop compliqué pour moi, pour nous. Je suis parti pour affronter Bachar et son armée, je me suis retrouvé à devoir combattre des musulmans, des groupes rivaux pour des luttes de territoires.

Pourquoi la justice croirait-elle en votre sincérité?

Je me suis « déradicalisé » tout seul. Lorsque je suis rentré, je me suis terré chez moi plusieurs mois. J’étais malade, fatigué tout le temps. J’ai fait une dépression. J’aurais dû me faire soigner, parler à quelqu’un… Puis j’ai refait surface. Je reste profondément musulman mais j’ai repris une vie normale. J’ai renoué avec mes parents. Depuis mon retour, j’ai scolarisé mes enfants dans des écoles publiques. Ce qui aurait été impensable pour moi avant. Ce n’est pas évident car je suis contre certains enseignements sur le genre. Je lutte contre moi-même car j’ai de vieux réflexes.

Avant de partir vous étiez devenu salafiste…

Je ne sais pas ce que cela veut dire pour vous salafiste… Aujourd’hui, il y a beaucoup d’amalgames. Disons que je pratiquais un islam des origines, très strict. J’étais très pieux et comme coupé du monde. Je portais une longue barbe et un qamis [tenue islamique]. Pendant dix ans, je n’ai pas écouté de musique, ni regardé la télévision. Je me suis marié avec une femme qui correspondait à ma pratique de la religion. Avant la loi de 2012, elle portait la burka. C’était une convertie qui contrairement à moi avait fait des études en langues étrangères appliquées à la Sorbonne. Je ne la connaissais pas. Elle m’a été présentée. Je n’ai pas cherché à savoir comment elle était ou si nous avions des points communs…

« En 2013, tout le monde voulait faire le djihad » 

Quand vous êtes-vous converti?

En 2003, j’avais 13 ans. Avant, j’avais été scout pendant deux ans. J’ai toujours cherché Dieu. J’étais souvent seul, livré à moi-même. Mon père était toujours en déplacement. Dans le quartier, j’avais des copains musulmans. Puis il y a des gens qui m’ont dirigé, qui m’ont appris… [Il ne veut donner aucun détail, concède qu’il fréquentait des lieux de cultes très radicaux.] J’ai aimé cette religion car elle est très logique. Elle apporte une réponse à toute chose. J’étais impressionné par l’assiduité des croyants. À 16 ans, j’ai arrêté l’école pour me consacrer presque entièrement à la religion.

Comment avez-vous eu l’idée de partir en Syrie?

Par Internet. Tout seul, en regardant des vidéos… [Il refuse de parler des gens qu’il fréquentait à l’époque.] Je voulais vivre en terre musulmane pour pouvoir pratiquer ma religion. Pendant deux ans, je suis allé en Égypte pour apprendre l’arabe, en Algérie, puis au Maroc. Mais j’ai été déçu à chaque fois. Ce n’était pas le pays musulman dont je rêvais. Partir en Syrie, c’était participer à la fondation d’un vrai État islamique, pur. 

Le parcours de ce djihadiste français. (JDD)

En mars 2012, il y avait eu les attentats de Merah à Toulouse. Cela ne vous a pas détourné de votre projet?

Le meurtre des enfants dans l’école juive m’a écœuré. Dans mon esprit, cela n’avait rien à voir, je voyais des vidéos de propagande, d’enfants, de femmes, de musulmans tués et martyrisés par le régime. Dans ces vidéos, on voyait Laurent Fabius qui déclarait que Bachar El-Assad était un boucher. C’était de la manipulation. Je voulais aider le peuple syrien… 

Vous vouliez vous battre? Vous cherchiez le martyre?

Je suis parti dans un but humanitaire. Mais j’étais prêt au combat. Je ne cherchais pas à mourir en martyr mais, à l’époque, si Dieu me l’avait offert je l’aurais pris. 

«Je culpabilisais d’être moins courageux que les autres»

Vous êtes parti avec des gens de votre quartier, des connaissances… Vous avez bénéficié d’un réseau à Roubaix…

Je suis parti le 14 juin 2013. Ça s’est décidé en une semaine. À l’époque, tout le monde voulait faire le djihad. Autour de moi, plusieurs personnes étaient déjà en Syrie. Je culpabilisais d’être moins courageux que les autres. Ce n’était pas la filière structurée que l’on imagine. C’était simple. Je me suis renseigné sur Internet. J’en avais parlé à une connaissance qui avait un contact en Syrie. Nous sommes partis ensemble un soir… Je n’ai rien dit à ma femme ni à ma famille, même si mon épouse connaissait mon projet et l’approuvait. 

Comment avez-vous trouvé l’argent?

Ça ne coûtait rien. Je suis parti avec 300 euros. À l’aéroport de Bruxelles, nous avons acheté notre billet directement au comptoir pour 180 euros. À Istanbul, nous avons passé quatre heures dans un quartier proche de la gare routière. On a pris un bus et on a roulé pendant plus de quinze heures avant d’arriver à Antakya, une ville à la frontière syrienne. Là, nous avons attendu plusieurs heures dans un café qu’un Turc vienne nous récupérer. Nous avons payé 100 dollars chacun à un chauffeur qui nous a conduits dans une maison. Il y avait d’autres étrangers, dont deux Égyptiens qui sont arrivés par le même bus que nous, des Saoudiens, des gens des Émirats… Le soir, nous avons traversé la frontière à pied. Après avoir franchi des barbelés, nous nous sommes mis à courir. 

« Nous avions le sentiment de participer à la fondation d’un monde musulman parfait »

Quel groupe avez vous rejoint sur place?

Un pick-up nous attendait pour nous conduire dans une grande usine à une trentaine de kilomètres de la frontière. Là, il y avait entre 50 et 100 étrangers qui venaient de rentrer en Syrie, des Canadiens, des Libyens, des Tunisiens, des Égyptiens… Pendant une semaine, je me suis entraîné au maniement des armes. Les différents groupes armés venaient faire leur marché dans l’usine pour recruter des combattants. C’était un véritable marché du recrutement. Il y avait des gens de Dawla [Daech ou Etat islamique], de l’Armée syrienne libre (ASL), des émirs non affiliés à un groupe… Au bout d’une semaine, j’ai suivi l’un d’eux qui était venu à plusieurs reprises apporter des vivres et avec qui j’avais discuté. Il m’avait pris sous sa protection et prévenu contre Dawla. Il était basé à Dar El Izza. Il travaillait un peu avec Jabhat Al-Nosra et l’ASL. On aidait à tenir des check-points, à transporter de la marchandise, de la nourriture.

Que faisiez-vous?

À Dar El Izza, au début, j’avais surtout une activité spirituelle. Je lisais le Coran et je priais toute la journée. J’avais aussi des missions de garde. Je surveillais le QG de l’émir, je recevais les visiteurs. Je réceptionnais de la nourriture, j’allais chercher des étrangers à la frontière syrienne. J’étais armé d’une kalachnikov mais je ne sortais jamais seul. Les étrangers comme moi risquaient d’être enlevés par d’autres groupes comme Dawla pour être envoyés au combat. 

«Le rêve a viré au cauchemar»

Pourquoi avoir fait venir votre famille?

Au début, j’étais euphorique. La zone était calme. Je suis même allé visiter des ruines romaines. J’ai décidé de faire venir ma femme et mes enfants âgés de 3 ans, 1 an et demi et 1 mois et demi. L’émir a organisé leur venue. Ils ont suivi la même route que moi mais ils ont traversé la frontière en voiture. Mon statut a alors changé. Ces groupes veulent implanter des familles. On m’a alloué une belle maison avec un jardin dans une résidence assez calme. Je n’avais jamais eu un tel luxe en France. C’était le paradis pour les enfants. Il y avait des moutons et toute sorte d’animaux. Les lieux avaient été abandonnés par les propriétaires qui avaient fui. Il ne restait rien qui leur ait appartenu. Je pense que la maison avait déjà servi à accueillir une autre famille d’immigrés. Avec ma femme, nous avions le sentiment de participer à la fondation d’un monde musulman parfait. On était comme des pionniers… On me versait un petit salaire. 

Pourquoi être parti alors?

Le rêve a viré au cauchemar. Je me suis rapidement aperçu que les « groupes » se combattaient pour la conquête de territoires plus que pour abattre Bachar. C’était une lutte de pouvoir. Des musulmans se battaient entre eux! Dawla faisait régner la terreur en tentant de mettre la main sur des villages et les villes conquis par d’autres. Ils voulaient installer partout leurs propres émirs et imposer la charia. Leurs hommes frappaient ceux qu’ils apercevaient en train de fumer, ils rouaient de coups des pauvres types qui avaient enfreint une loi religieuse… Une fois, ils ont abattu de sang-froid un handicapé mental car il avait soi-disant insulté le prophète. Pour un musulman, ces personnes sont normalement intouchables. 

Puis vous avez été blessé…

En janvier 2014, les heurts entre groupes s’intensifiaient. Un jour, avec ma famille et d’autres immigrés nous avons été pris au milieu d’un combat entre l’ASL et Dawla. Les femmes ont pu s’échapper et les hommes sont restés combattre. J’ai été blessé une première fois dans le dos par l’éclat d’une balle. Cette fois, c’était des villageois qui nous avaient tiré dessus. Le peuple syrien que je voulais sauver détestait les immigrés, en particulier les convertis. Plus de 80% des étrangers, surtout les Européens, s’engageant dans les rangs de Dawla… C’est à ce moment-là que j’ai voulu rentrer. 

« Je ne suis pas un terroriste. J’ai été aveuglé, manipulé… »

Avez-vous eu peur?

Oui. On m’a emmené dans un hôpital qui appartenait à l’ASL pour me soigner. J’étais sous surveillance constante. Des gens de l’ASL, du mouvement Noureddine Al-Zenki, venaient me voir et me crachaient dessus. Dès que j’ai été rétabli on m’a mis en prison. Là, je me suis retrouvé avec une dizaine de combattants de Dawla. J’ai cru devenir fou. On était sous-alimentés. On devait se partager un poulet par semaine. Je leur ai dit que j’étais des leurs car j’avais peur qu’ils me tuent. Pendant les interrogatoires, je devais prouver le contraire car sinon je savais que je serais exécuté. J’ai fini par les convaincre grâce à des témoignages de gens que j’avais croisés sur des check-points. J’ai dit que je voulais rentrer en France. Avant de me libérer, ils m’ont demandé d’enregistrer une vidéo de propagande pour décourager les immigrés à s’enrôler dans les rangs de Dawla. Ils m’ont remis une sorte de laissez-passer et 100 dollars. J’ai alors été envoyé dans une maison à la frontière. J’ai fini par retrouver ma femme, qui me croyait mort [Il pleure. Puis se tait de longues minutes comme s’il revivait la scène.] On a compris qu’on avait fait une énorme bêtise et nous n’avions plus qu’une idée : rentrer en France. 

Comment avez-vous fait pour quitter la Syrie?

Dans ces zones, il y a beaucoup de gens venus d’Arabie saoudite qui ont de l’argent. L’un d’eux a payé pour que je puisse me faire soigner. Ma femme est partie en Turquie dans une maison où il y avait d’autres femmes. J’ai passé la frontière quelques jours plus tard, avec mes béquilles. On a dû marcher de nuit sur plus de 500 m, éclairés par des jumelles nocturnes. Là je me suis retrouvé dans une maison de convalescence, en Turquie, tenue par des gens de l’ASL. Ils m’ont payé un billet d’avion pour la Belgique et m’ont donné un billet de 200 euros. Le 20 février 2014, je suis rentré en France. 

«J’ai repris ma vie d’avant sans qu’il ne se passe quoi que ce soit»

Est-ce en arrivant que vous avez été arrêté par la police?

Non. J’ai repris ma vie d’avant sans qu’il ne se passe quoi que ce soit. C’est lorsque j’ai demandé un nouveau passeport que j’ai compris que j’étais sous surveillance. Le préfet a motivé son refus en retraçant mon parcours, ma conversion, les mosquées que je fréquentais, les dates de mon séjour en Syrie, de mes blessures. Je voulais passer des vacances en Algérie chez mon ami d’enfance… Ensuite, les entretiens avec les services du renseignement ont commencé. 

Depuis, vous avez été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire. Lundi et mardi, vous serez jugé pour participation à un groupe en vue de la préparation d’actes de terrorisme. Vous risquez de vous retrouver en prison…

Je ne suis pas un terroriste. J’ai été aveuglé, manipulé… Mon casier judiciaire est vierge. Désormais, mon seul objectif est la réussite de mes enfants. Il y a une différence entre les gens comme moi et les meurtriers du Bataclan, entre l’islam et le terrorisme. Aujourd’hui, la justice met tout le monde dans le même sac. Je me suis trompé sur toute la ligne. J’espère ne pas le payer toute ma vie. 

Après les récents attentats comprenez-vous que la justice puisse avoir des doutes?

Oui, je comprends.

Marie-Christine Tabet – Le Journal du Dimanche

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