La cour d’appel de Paris va décider si les conversations entre Nicolas Sarkozy, alias Paul Bismuth, et son avocat pourront être exploitées…
L’horizon judiciaire de Nicolas Sarkozy s’éclaircira-t-il le 7 mai? La cour d’appel de Paris doit annoncer jeudi si elle annule ou non les écoutes téléphoniques qui ont conduit à la mise en examen de l’ancien chef de l’Etat pour corruption. Si ces éléments sont invalidés, le dossier pourrait être enterré.
Ecoutes de Sarkozy: Lumière sur l’affaire qui embarrasse l’ancien président
Vous n’avez toujours rien compris? Explication de texte d’une tragédie en cinq actes, digne des pièces dignes de Racine.
- Acte I: Sarkozy est placé sur écoute
Le cadre. Depuis avril 2013, Nicolas Sarkozy est soupçonné d’avoir fait financer une partie de sa campagne présidentielle de 2007 par l’ex-dictateur libyen, Mouammar Kadhafi. Les juges Serge Tournaire et René Grouman enquêtent. Et décident alors de le mettre sur écoute en septembre de la même année.
- Acte II: Ce que révèlent les écoutes
En février 2014, une information judiciaire est ouverte pour violation du secret de l’instruction et trafic d’influence. Les juges s’aperçoivent – l’élément modificateur -, en interceptant des discussions téléphoniques entre l’ancien président et son avocat, qu’il a eu recours à Gilbert Azibert, premier avocat général à la Cour de cassation, pour obtenir des informations sur une procédure en cours dans l’affaire Bettencourt où il est également cité.
En échange, Azibert aurait demandé à Nicolas Sarkozy d’activer ses relations pour lui obtenir un poste à Monaco. En vain.
- Acte III: Où l’on croit que Nicolas Sarkozy va s’en sortir
Dans ce troisième acte, les protagonistes cherchent une solution au drame. Tout paraît encore possible. Très rapidement, Me Thierry Herzog dément les accusations du Monde qui révèle l’affaire. Il dénonce alors une «affaire politique». De son côté, Nicolas Sarkozy reste silencieux. Les avocats s’indignent d’une «dérive procédurale» et posent la question: peut-on écouter un ancien président alors qu’il converse avec son avocat? Les robes noires signent une pétition et s’inquiètent d’un affaiblissement des droits de la défense et du secret professionnel.
Les rebondissements sont nombreux. Les principaux protagonistes sont aidés par les couacs du gouvernement, notamment ceux de Christiane Taubira qui s’embourbe le 10 mars dans une explication hasardeuse, déclarant qu’elle n’a pas eu d’information sur les écoutes avant la parution des révélations dans Le Monde. Personne n’y croit. «L’affaire Sarkozy» devient «l’affaire Taubira». La gauche, elle, dénonce «l’affaire dans l’affaire».
- Acte IV: La preuve rendue publique
Le quatrième acte est celui où se noue définitivement l’action. Petit à petit, le sort des protagonistes se scelle. En tout cas, dans l’esprit de l’opinion publique… Les extraits d’écoutes accablent Nicolas Sarkozy. Le site Mediapart publie les extraits de sept écoutes judiciaires des conversations entre l’ancien président et son avocat. Ce dernier qualifie notamment de «bâtards de Bordeaux» les juges qui avaient mis en examen son client dans le cadre de l’affaire Bettencourt avant qu’il bénéficie d’un non-lieu.
Ce quatrième acte s’achève avec l’ultime rebondissement survenu ce lundi matin. Me Herzog et deux hauts magistrats, dont Gilbert Azibert, viennent d’être placés en garde à vue. L’entracte se tient dans les locaux de la direction centrale de la police judiciaire, à Nanterre. Les policiers veulent savoir si oui ou non les juges ont été approchés directement ou indirectement par l’ancien président.
- Acte V: Le dénouement
Il va s’écrire dans les heures qui viennent. Deux destins sont en jeu. Celui, personnel, de Nicolas Sarkozy qui, selon les conclusions de son interrogatoire, celles de son avocat et des deux magistrats, pourrait être scellé.
L’autre destin, cette fois-ci collectif, est celui de la Cour de cassation. Si un magistrat a renseigné un mis en cause, serait-ce un ancien président de la République, le doute peut être porté sur l’intégrité de la plus haute juridiction française. Celle pourtant qui ne doit laisser planer aucun doute, au risque de remettre en cause l’ensemble de la hiérarchie judiciaire.
Dans quel cadre ont été effectuées ces écoutes?
Dès septembre 2013, les juges enquêtant sur le présumé financement libyen de la campagne présidentielle de 2007 décident de placer Nicolas Sarkozy sur écoute, sur sa ligne officielle et sur une ligne ouverte sous un nom d’emprunt, Paul Bismuth. Des conversations interceptées entre l’ancien chef de l’Etat et son avocat, Thierry Herzog, conduisent à l’ouverture d’une information judiciaire.
De quoi Nicolas Sarkozy est-il accusé?
La justice le soupçonne d’avoir cherché à obtenir des informations confidentielles sur le dossier Bettencourt auprès d’un magistrat, en échange d’un poste à Monaco. L’ancien chef de l’État n’a pas obtenu de renseignements et le juge n’a pas été promu mais Nicolas Sarkozy a été mis en examen en juillet 2014 pour «corruption active» (un délit passible de dix ans de prison), «trafic d’influence actif» et «recel de violation du secret professionnel».
Pourquoi la défense conteste-t-elle les écoutes téléphoniques?
L’ancien président conteste la légalité de ces écoutes. La défense repose sur la conformité de la procédure avec le droit national et international. «En droit européen, les écoutes d’avocats sont plus encadrées qu’en droit français. Avant de placer un avocat sur écoute, le juge d’instruction doit fournir des éléments permettant de le soupçonner d’être impliqué dans une infraction», souligne Didier Rebut, professeur de droit pénal à l’université Paris 2 Panthéon-Assas.
«Par ailleurs, en droit français, le bâtonnier est simplement informé de la mise sur écoute de l’un de ses pairs, sans en connaître la raison ni avoir accès au dossier», ajoute-t-il. Un régime peu exigeant qui peut parfois nuire au «secret professionnel des avocats et au droit de la défense».
Cette décision peut-elle marquer un tournant dans l’affaire?
Ces écoutes sont à l’origine du dossier. «En droit, la règle veut que si le socle de la procédure est invalidé, alors toutes les autres pièces tombent», explique Didier Rebut.
Concrètement, l’instruction repartira de zéro. Les juges devront lancer de nouvelles investigations ou bien enterrer le dossier par une ordonnance de non-lieu. La première option semble peu plausible à Didier Rebut, l’instruction du dossier étant suspendue depuis septembre 2014, après que la présidente de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris a demandé aux juges de cesser l’enquête tant que la question de la nullité des écoutes n’était pas résolue.
Si les écoutes sont validées, l’enquête pourrait reprendre, et Nicolas Sarkozy aurait la possibilité de se pourvoir en Cassation.
Pourquoi ce verdict est-il crucial pour Nicolas Sarkozy?
La ligne de défense du chef de l’opposition, avocat de formation, repose sur la contestation de la procédure. «Nicolas Sarkozy est très offensif sur les questions de technique et de légalité», observe le politologue Thomas Guénolé*.
«Sur le plan politique, sa défense repose sur la théorie du complot judiciaire, un argument qui fonctionne bien auprès du peuple de droite, qui constitue un socle électoral au premier tour», souligne-t-il. «L’invalidation des écoutes lui permettrait d’accréditer cette théorie et de renforcer cet argumentaire». Et de se débarrasser de l’une de ses casseroles judiciaires…
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