50 carnets de Monsieur Chouchani sont désormais accessibles au grand public à la Bibliothèque Nationale d’Israël à Jérusalem.
Mais qui était-il ? Un personnage mystérieux, cultivant l’énigme, figure majeure de la vie culturelle et intellectuelle juive du 20ème siècle, rabbin, maître à penser, philosophe talmudiste et enseignant influent et charismatique, capable de citer par cœur l’intégralité du Talmud qui disait-il n’appartient non pas au seul peuple juif mais est l’apport juif à l’universel. Sur ces cahiers, entre autres, ses pensées, ses réflexions et ses idées en matière de pensée juive.
On l’appelait Monsieur Chouchani car son identité reste mystérieuse, il l’a jalousement gardée. Les recherches récentes estiment qu’il s’agit d’Hillel Perlman né en 1895 à Brest en Biélorussie. Il aurait étudié de 1910 à 1914 dans une yeshiva à Jaffa en Palestine ottomane auprès du Rav Abraham Isaac Kook, père du mouvement religieux-sioniste. Peu après le début de la 1ère Guerre mondiale, il émigre aux États-Unis avant de s’installer à Berlin où il fréquente les cercles de Menahem Mendel Schneerson, futur Rabbi de Loubavitch et à Strasbourg.
Pendant la Seconde Guerre, on le dit en Suisse et en 1945 à Paris où il commence à enseigner les mathématiques, la physique, et surtout le Talmud. On dit de lui qu’il tirait du texte ce qui n’était pas dans le texte, lui insufflant un nouveau sens. Parmi ses élèves, Emmanuel Levinas, qui, dans L’au-delà du verset, raconte que Monsieur Chouchani à côté duquel il n’est rien a éveillé son profond intérêt pour le Talmud, et a su lui redonner confiance dans le savoir après l’épisode traumatisant de la guerre et de la Shoah.
Léon Askénazi dit Manitou qui devient son élève en 1947, et qui, en tant qu’éducateur, lui ouvre les portes de l’école d’Orsay afin qu’il y donne des cours. Élie Wiesel qui dans ses mémoires Tous les fleuves vont à la mer le cite comme étant le maître qui l’a le plus influencé : « Je sais en tout cas que je ne serais pas l’homme que je suis, le Juif que je suis, si un clochard étonnant, déroutant et inquiétant, ne m’avait pas interpellé un jour pour me dire que je ne comprenais rien » Clochard faisant référence au fait que Monsieur Chouchani donnait, certainement délibérément, l’image d’un vagabond sale et mal habillé.
En 1952 il quitte la France pour Israël où il enseigne dans des kibboutzim religieux, avant de partir en 1955 pour l’Uruguay invité par l’un de ses étudiants. C’est là qu’il décèdera d’une crise cardiaque.

Elie Wiesel dans son bureau à New York, le 12 septembre 2012 (AP Photo/Bebeto Matthews)
Élie Wiesel aurait pris en charge son inhumation à Montevideo et rédigé en hébreu l’épitaphe: Le Sage Rabbin Chouchani, de mémoire bénie, dont la naissance et la vie sont scellées dans l’énigme.
Par sa personnalité si mystérieuse, Monsieur Chouchani a souvent été comparé au Juif errant, au prophète Eli. « J’attendais le prophète Élie et je dois avouer que lorsque j’ai vu Chouchani pour la première fois, je me suis dit : c’est peut-être lui !, confiait Wiesel.
Laissons le mot de la fin au professeur Shalom Rosenberg, un des derniers élèves de Monsieur Chouchani, ancien président de l’unité de pensée juive à l’Université hébraïque de Jérusalem, qui illustre l’admiration que lui portaient ses disciples, « Le monde se divise entre ceux qui ont connu Chouchani et ceux qui ne l’ont pas connu ».
On en parle dans mon Journal de la Culture israélienne sur Radio-J.
Nathalie Sosna-Ofir
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