Une enquête du New York Times révèle le fonctionnement de l’organisation chargée de planifier les attentats de Daesh. De la composition de commandos de terroristes au déclenchement de l’action de faux « loups solitaires », cette structure porte un nom: l’Emni, qui s’occupe de tout.
Cette organisation est responsable de la plupart des attentats qui frappent le monde depuis près de deux ans et pourtant personne, ou presque, ne la connaît. Le New York Times a publié mercredi une enquête très fouillée du journaliste Rukmini Callimachi, qui révèle le fonctionnement de ce qu’on pourrait appeler le « ministère des attentats » de l’Etat islamique: l’Emni (translittération occidentale de l’arabe).
L’enquête s’appuie sur les documents de services secrets occidentaux, des entretiens avec des officiels américains et surtout le témoignage d’un ancien jihadiste, Harry Sarfo, qui purge aujourd’hui une peine de trois ans pour des charges de terrorisme dans une prison de sa ville de Brême, en Allemagne. L’homme s’est fait arrêter il y a un an, de retour de Syrie après avoir déserté Daesh, déçu par la réalité sur place.
Entre la police politique et le jihadisme international
L’Emni est un empire dans un empire. Au départ, il s’agit de la police politique de l’Etat islamique, doublée d’une tâche de contre-espionnage. Mais ses attributions dépassent bientôt le territoire du « califat » en Syrie et en Irak, et l’Emni se charge de l’organisation d’attentats en Occident, de la sélection des cibles où porter l’attaque et des hommes pour la conduire.
L’Emni est tout-puissant dans ce domaine et dans les rangs de l’armée de Daesh. Le service peut mobiliser n’importe quel soldat, de la nouvelle recrue au vétéran, et ses chefs peuvent à tout moment valider ou invalider une opération déterminée.
« T’en fais pas pour la France »
Le jihadiste repenti et emprisonné Harry Sarfo a intégré l’Emni lorsqu’il était en Syrie en 2015. Il se souvient de ce que lui disaient ses officiers: « Ils veulent perpétuer de nombreuses attaques simultanées au Royaume-Uni, en Allemagne, en France ». Pour terroriser le monde, l’Emni a établi un maillage territorial universel. Il existe en son sein un « service secret pour les affaires européennes », un « service secret pour les affaires asiatiques », un « service secret pour les affaires arabes ».
L’Emni veut pouvoir agir partout sur le globe mais certaines régions sont plus vulnérables que d’autres. Alors qu’il vient d’arriver d’Allemagne avec un ami, Harry Sarfo est à l’époque approché par des membres de l’Emni qui souhaitent le renvoyer dans son pays d’origine pour qu’il y sème la mort. On leur explique alors que les volontaires ne se bousculent pas pour frapper sur le sol germanique. Les deux recrues hésitent et demandent ce qu’il en est pour la France: « Là, ils se sont mis à rire. Mais un vrai rire, avec des larmes dans les yeux. Ils ont dit: ‘T’en fais pas pour la France, là on a ce qu’il faut' ». C’était en avril 2015.
Et si les « loups » n’étaient pas si solitaires?
C’est ainsi l’Emni qui aurait piloté les attentats du 13 novembre, de Bruxelles mais aussi du musée Bardo de Tunis. A chaque fois, le service prend en charge la sélection des jihadistes à envoyer à l’étranger, la logistique du voyage jusqu’au paiement de passeurs pour fouler le sol européen.
Le schéma préférentiel de l’organisation est la constitution de petites unités réduites, composées par nationalités et langues maternelles. Mais des déclarations d’Harry Sarfo, éclairant potentiellement les derniers attentats commis en Europe, montrent que les commandos ne sont pas la seule voie empruntée par cette hiérarchie jihadiste.
Selon lui, l’Emni a disposé en Europe des agents clandestins. Ceux-ci contactent indirectement des personnes radicalisées et prêtes à passer à l’action. Des convertis discrets, sans aucun passé islamiste, servent des messages convoyant les consignes des premiers aux derniers. En cas d’allégeance enregistrée en vidéo par l’assaillant avant son attaque, l’intermédiaire doit après l’attentat transmettre le fichier à l’opérateur de l’Emni qui le met alors en ligne sur les canaux de Daesh.
L’incontournable Abou Mohamed Al Adnani
A la tête de l’Emni? L’ennemi public numéro un ou plutôt numéro deux, le syrien Abou Mohamed Al Adnani, porte-parole de Daesh, qui lie attentats et propagande comme les deux composantes indissociables du terrorisme.
Il est l’autorité suprême – après le « calife » – de cette administration mais délègue certains de ses pouvoirs à quelques lieutenants. L’un d’entre eux porte le nom d’Abou Souleymane, et il est français.
BFMTV avec le New-York Times
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