Marie-France Moneger-Guyomarc'h est la patronne de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), la "police des polices", le service chargé d'enquêter sur les bavures policières. Parmi ses dossiers, l'affaire Théo à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). AFP Photo / Dominique Fage
A la tête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), Marie-France Monéger-Guyomarc’h dirige les enquêteurs chargés de faire la lumière sur l’interpellation du jeune Théo. Dans un entretien accordé à L’Express, elle critique les « imprécisions » relayées par certains médias.

Ils n’ont pas la réputation d’être tendres avec leur collègues et pourtant, depuis les événements d’Aulnay-sous-Bois, leur travail suscite l’incompréhension d’une partie des citoyens. Les policiers de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) ont été saisis par la justice pour enquêter sur la violente interpellation du jeune Théo le 2 février par quatre fonctionnaires de la Brigade spécialisée de terrain (BST).

Une vingtaine d’enquêteurs ont été mobilisés sur ce dossier sensible. Dans leurs premières conclusions, ils écartent la piste d’un viol délibéré par l’auteur du coup de matraque, ce qui leur a valu plusieurs critiques. Un procès injuste selon Marie-France Monéger-Guyomarc’h, patronne de cette redoutable « police des polices ». Dans un contexte tendu et alors que des violences urbaines ont éclaté en région parisienne, elle a accepté de répondre aux questions de L’Express.

A la suite des événements d’Aulnay-sous-Bois, la question revient une nouvelle fois sur la table: le comportement des policiers est-il suffisamment contrôlé?

Marie-France Monéger-Guyomarc’h. La profession de policier est l’une des plus surveillées de France. Les fonctionnaires portent des armes, ont le droit de faire usage de la force, de placer des individus en garde à vue, de les fouiller à corps, d’effectuer des perquisitions. Ces droits s’accompagnent logiquement de devoirs et d’un contrôle exigeant. Il est indispensable que l’action des policiers et que les policiers eux-mêmes soient irréprochables.

Il faut bien comprendre que les fonctionnaires de police, à la différence de tous les autres justiciables, peuvent pour les mêmes faits être l’objet à la fois d’une enquête administrative et d’une enquête judiciaire. Dans de nombreux cas, alors même que la justice pénale décide de ne pas poursuivre l’agent, il peut être sanctionné disciplinairement en raison de manquements déontologiques. Ainsi, un policier consommateur de cannabis peut ne pas être condamné pénalement mais, si les faits sont matérialisés, il sera obligatoirement sévèrement sanctionné par l’institution.

L’affaire Théo a entraîné des manifestations et l’incompréhension d’une partie de la population. Comment l’IGPN prend-elle en compte cette situation?

Je comprends l’émoi de la population. Ce qui est gênant, ce sont toutes ces imprécisions proférées à longueur de journée dans les médias ou lors de certaines interventions. Elles donnent l’impression que l’IGPN ne fait pas son travail, se montre partiale et enquête à l’avantage de ses collègues. Quand j’entends dire, à tort, que notre rapport mentionne « un accident » ou un « viol involontaire », les bras m’en tombent. Cela n’existe pas en droit.

Nous n’avons évidemment pas utilisé ces termes inadéquats, mais une qualification du code pénal qui s’appuie sur ce que nous avons constaté, vu et entendu. Je signale à ce propos que le code de procédure pénale impose au service de police enquêteur de qualifier juridiquement les faits, ce que l’on nous a injustement reproché et qui a pourtant été largement diffusé.

Personne ne nie les faits et les graves blessures subies par Théo. Personne ne nie que c’est une affaire épouvantable, qui a d’ailleurs mobilisé une vingtaine d’enquêteurs de l’IGPN. Et l’enquête se poursuit sous l’autorité du juge d’instruction. Mais notre approche se doit d’être juridique, légale, objective, factuelle et professionnelle.

Comment expliquer l’accumulation d’affaires de violences policières enregistrées ces derniers temps?

Je n’ai pas le sentiment que les affaires se multiplient, mais je constate qu’elles sont davantage médiatisées. Le nombre d’enquêtes judiciaires ouvertes à l’IGPN pour des violences alléguées est stable. Elles représentaient 40% de nos saisines en 2015, soit à peine 1% de plus que l’année précédente. Au total, nous avons diligenté 411 enquêtes pour de tels faits. Il en est de même sur notre plateforme de signalement internet, ouverte en 2013.

Ces plaintes et ces signalements concernent essentiellement des interpellations au cours desquelles les plaignants estiment que l’usage de la force était illégitime ou disproportionné. Je note toutefois que les affaires ayant entraîné des blessures provoquant plus de 60 jours d’ITT [NDLR: ce qui est le cas de Théo] sont exceptionnelles. Celles ayant entraîné plus de 30 jours d’ITT (par exemple un bras cassé) sont traitées en priorité. Si les chiffres sont stables, nous observons en revanche que la situation dans certains quartiers s’est dégradée, que les relations entre les policiers et une petite partie de la population se tendent.

Est-ce particulièrement vrai en Seine-Saint-Denis?

Nos chiffres ne nous permettent pas de pointer telle ou telle zone, si ce n’est que nous constatons plus d’incidents dans les territoires à forte population. Rien de plus logique.

Dans ces territoires, les agents sont-ils suffisamment expérimentés?

Il est vrai que les agents en région parisienne sont souvent plus jeunes qu’en province. C’est la logique du recrutement dans la fonction publique et de l’affectation en premier poste, qui ne diffère d’aucune autre administration. Pour autant, la jeunesse n’est pas en soi un handicap dans un métier aussi actif et engagé que celui de policier. Par ailleurs, un effort considérable a été fait en termes d’encadrement et de hiérarchie intermédiaire. C’est un sujet auquel nous devons porter la plus grande attention.

Que représentent les violences à caractère sexuel parmi les procédures ouvertes à l’IGPN?

Les enquêtes relatives à des violences sexuelles sont très marginales. Elles concernent très rarement des affaires de relations sexuelles entre un policier et une personne fragilisée ou des accusations d’attouchements durant des palpations de sécurité.

Je n’ai aucun état d’âme à faire « tomber » un policier ripou, quels que soit son service ou son positionnement hiérarchique. Mais je tiens aussi à souligner la difficulté du travail des policiers et refuse qu’on en fasse des coupables d’emblée.

Comprenez-vous la défiance à l’égard des policiers qui enquêtent sur les policiers?

Le procès fait à l’IGPN de protéger les policiers est un procès que je n’accepte pas. Nous avons d’ailleurs au sein de la police la réputation inverse, que je n’accepte pas davantage. Je n’ai aucun état d’âme à faire « tomber » un policier ripou, quels que soit son service ou son positionnement hiérarchique. Mais je tiens aussi à souligner la difficulté du travail des policiers et refuse qu’on en fasse des coupables d’emblée. Quand une équipe intervient dans un lieu sensible, une dalle où prospère le trafic de stupéfiants, par exemple, et que les cris des guetteurs retentissent, elle doit intervenir. C’est à la fois sa mission et l’attente de nos concitoyens en quête de tranquillité publique.

L’IGPN se doit d’agir en droit. Elle s’attache à mener des enquêtes irréprochables pour qu’elles ne soient contestées ni en interne ni en externe. C’est notre responsabilité et notre honneur. En concertation avec tous les membres du service, nous nous sommes dotés d’une charte des valeurs applicable à l’ensemble de nos enquêtes: exemplarité, expertise, éthique de responsabilité et objectivité. Nous travaillons toujours de manière collégiale, et plus encore lorsque les affaires sont délicates. Mais je ne suis pas dupe. Par nature, une inspection ne peut pas être aimée. D’un côté, les uns nous accusent de protéger les policiers; de l’autre, les policiers nous reprochent notre exigence et notre sévérité.

Comment éviter la répétition d’incidents graves?

L’IGPN a aussi pour mission d’analyser tous les incidents et dysfonctionnements et d’en tirer des enseignements. En ce sens, elle répond à la définition d’une inspection dont l’objectif est d’améliorer, au-delà des enquêtes, les pratiques de l’institution qu’elle sert. Des enseignements seront donc tirés de l’affaire d’Aulnay-sous-Bois, surtout sur les conditions des interventions qui sont toujours, et par nature, des moments particulièrement délicats.

Dès lors que la force et la contrainte sont nécessairement employées, le risque zéro n’existe pas. Je suis favorable au développement des caméras embarquées en intervention. Tout d’abord parce que les expérimentations démontrent que, dès lors qu’une caméra fonctionne, le niveau de tension baisse de part et d’autre et parce que l’exploitation des images se révèle très utile pour parvenir à la vérité, autant dans le sens de celui qui met en cause l’action de la police que dans le sens du policier.

Source : L’Express

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