Pierre Albertini: «La démographie française à l’horizon 2070, vers une double rupture anthropologique»

Par Pierre Albertini

TRIBUNE – Alors qu’une nouvelle loi immigration sera prochainement débattue au Parlement, les travaux de l’Insee devraient alerter le gouvernement sur l’ampleur des bouleversements démographiques qui attendent la France, explique le professeur émérite à l’université de Rouen Normandie.

Pierre Albertini est ancien député et ancien maire.

Depuis 1980, vingt-neuf lois de portée variable ont traité de l’immigration. Dans l’attente de la prochaine, ce bricolage restera sans effet tant qu’il ne sera pas précédé d’un débat, prenant appui sur des chiffres et sur des projections démographiques, condition indispensable pour que la raison l’emporte sur la passion et l’esprit de responsabilité sur la posture médiatique. Or rien n’a été fait pour combler les lacunes de notre appareil statistique. On n’enregistre ni les entrées ni les sorties du territoire, contrairement à ce que font les pays nordiques qui tiennent un registre de leur population, et l’on se refuse à collecter des données qui permettraient d’agir sur l’origine, la répartition et l’intégration des migrants.

Personne ne peut avancer de chiffre précis sur l’immigration clandestine que l’on approche par un biais assez grossier, les bénéficiaires de l’aide médicale de l’État (380.000 en 2021). Au sein de l’Union européenne, la liberté de circulation étant la règle, les mouvements de population qui se produisent ne sont pas comptabilisés. Faut-il alors s’étonner que fleurissent, dans un sens ou dans l’autre, des jugements aussi excessifs qu’invérifiables? L’ignorance est la première source des fantasmes. Quand proposera-t-on aux citoyens une réflexion sans tabous ni préjugés, quand les traitera-t-on en adultes et non en assistés?

Une projection démographique sur la longue durée est indispensable. C’est ce travail éclairant qu’a réalisé l’Insee («Population et sociétés», février 2022). Il aboutit à l’horizon 2070 à une prévision de 68 millions d’habitants, soit un niveau identique à l’actuel. Les paramètres sur lesquels il se fonde sont les suivants: une fécondité maintenue à 1,8 enfant par femme, une augmentation des décès due au vieillissement continu de la population, un solde migratoire positif du même ordre qu’aujourd’hui.

Provenance africaine

Entre une hypothèse basse (64 millions) et une hypothèse haute (72 millions), la conclusion la plus évidente est bien le vieillissement de notre population: la tranche des plus de 65 ans sera nettement plus nombreuse (29%) que celle des moins de 20 ans (20%). Le solde naturel qui mesure la différence entre naissances et décès, déjà au plus bas aujourd’hui (56.000 en 2022), deviendra négatif à compter de 2035, dans un peu plus de dix ans. Seul l’excédent migratoire permettra, dans un demi-siècle, le maintien de sa population. C’est cette double rupture anthropologique que subira le pays. Outre la modification de la pyramide des âges que montre la projection de l’Insee, l’origine géographique des entrants fera également subir à la société de fortes corrections.

Faute de statistiques ethniques, réservées à de rares chercheurs, comment évaluer la structure de la population actuelle et les effets du flux migratoire à venir? Certains démographes se contentent d’observer que la proportion d’étrangers résidant en France demeure stable mais leur présentation sous-estime délibérément l’ampleur et la perception de l’immigration. Comme les récentes émeutes l’ont montré douloureusement, une carte d’identité française ne suffit pas à faire de son détenteur un citoyen attaché à notre pays.

Un calcul mathématique simple confirme la baisse inexorable des Français de souche et la hausse corrélative des immigrés qui se retrouveront peu ou prou à égalité en 2070
Les enquêtes «Trajectoire et origines» conduites par l’Insee et l’Ined en 2008-2009 puis en 2019-2020 fournissent cependant une base d’analyse assez complète. Portant sur de vastes échantillons, elles nous apprennent ainsi que 32 % de la population de moins de 60 ans, soit 16 millions sur 50 millions, ont une origine immigrée, totale ou partielle, sur trois générations, et que la provenance géographique des migrants a beaucoup changé: majoritairement européenne au départ, elle est aujourd’hui principalement africaine. Cette inversion est encore plus sensible chez les plus jeunes.

Diminution du noyau intégrateur

Si l’on s’accorde sur ces données objectives, la population «native» ou «de souche», ne comptant aucun ascendant immigré du fils au grand-père, représente environ 46 millions, celle ayant une origine immigrée, totale ou partielle, environ 22 millions, dont 60 % de provenance extra-européenne, selon l’Insee. C’est cette répartition que l’excédent migratoire, source essentielle puis exclusive de croissance démographique à partir de 2035, va sensiblement affecter.

Les recensements partiels récents le situent autour de 160.000 à 180.000 personnes par an. Mais la prise en compte des entrées clandestines, dont les mineurs isolés, des déboutés du droit d’asile demeurant en France et des Français quittant le territoire national, conduit à un apport annuel d’étrangers plus élevé, de l’ordre de 250.000, dont l’origine géographique n’est pas indifférente.

Les principales sources de l’immigration sont désormais le Maghreb, les pays subsahariens, la Turquie et le Moyen-Orient (60 %), la provenance européenne est nettement minoritaire (30 %) et celle du reste du monde (Amérique, Asie) demeure marginale (10 %). Dès lors, un calcul mathématique simple confirme la baisse inexorable des Français de souche et la hausse corrélative des immigrés qui se retrouveront peu ou prou à égalité en 2070. De cet apport extérieur, les migrants du Sud constitueront de loin la part la plus importante au point d’approcher un tiers de la population totale et même de devenir majoritaires dans quelques départements, tels la Seine-Saint-Denis.

Le mérite de cette projection est de nous faire comprendre que notre avenir démographique se joue maintenant. En 2070, dans une France où la proportion d’actifs sera moindre, le financement de la protection sociale et des investissements sera problématique. La diminution du noyau intégrateur rendra plus difficiles encore l’insertion des nouveaux migrants et l’édification d’une communauté de citoyens. Quel gouvernement aura le courage de relever ces défis majeurs?

JForum avec Pierre Albertini www.lefigaro.fr

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