Jean-Pierre Faye, Terreur, tolérance, violence.
Dictionnaire politique portatif. Folio, Gallimard.
Il s’agit d’un volume qui commémore un anniversaire, le centième de l’auteur, présenté pour un couple de chercheurs, qui actualisent les résultats des travaux de Jean-Pierre Faye dont même le rédacteur de ce modeste compte-rendu a tiré profit du temps où il était étudiant. Nous avions étudié des migrations du récit portant sur le peuple juif..
L’auteur veut démontrer que tout part du langage et permet le développement des discours politiques les plus inattendus . Il cite nommément le cas de Hitler qui a su utiliser à son avantage certains aspects linguistiques afin de masquer ses véritables intentions..
Dans un tout autre horizon, on peut s’en référer à une école de théologiens mystiques, les kabbalistes, qui pensaient que tout création est langage. Un langage qui sui l’habillage conceptuel des mots selon les principes sur lesquels il assoit sa légitimité
Mais bien avant l’époque nazie, on relève que de véritables oxymores peuplent notre paysage politique faisant cohabiter des idées qui s’excluent mutuellement : comment avoir fait de la France la patrie des droits de l’homme, alors que la guillotine était postée en permanence, prête à entrer en cation pour couper des têtes ? Vu le niveau d’intelligence des révolutionnaires, on a bien dû se rendre compte de cette contradiction : mettre la violence extrême au service de la vertu ou de la justice…
La pensée philosophique a dû composer avec toutes ces contradictions pour pouvoir avancer et fonctionner, sans être paralysée par des contradictions internes
Autre exemple d’oxymore, la révolution conservatrice de Carl Schmitt.. On peut citer une définition supplémentaire de la révolution, donnée en 19 81 lors d’un congrès du mouvement syndical polonais : révolution signifie en son sens le plus fort, la critique de la violence…
Le plus intéressant dans cet ouvrage est qu’il se livre à une analyse serrée de concepts proches les uns des autres et qu’il en évalue le développement. Ce sont des notions telles la démagogie, la démocratie, les tyrans, la violence, l’intolérance. L’exercice de la démocratie ne se limite pas à glisser un bulletin dans l’urne à intervalles réguliers. Il y a tant de modifications sous nos yeux ou à notre insu. Des régimes initialement vertueux se muent parfois en systèmes totalitaires au gré des alliances qui s’imposent ou, au contraire, sont contre nature. L’auteur examine principalement les idées politiques de Platon et d’Aristote.. C’est toute la ppolitea qui est passée en revue.
Les régimes politiques de la Grèce ancienne sont examinés de manière détaillée. Ainsi que leur rapport avec l’exercice de la violence, Notamment lorsqu’il s’agit de< protéger, voire d’imposer les pratiques politiques les plus recommandables. Dans tous les cas de filgure l’adéquation entre la réalité et les idéaux laisse à désirer. On peut distinguer aisément entre le sens de la responsabilité vis-à-vis du corps social et el désintérêt le plus total. Lorsque le gouvernement de la cité doit partir, prendre sa retraite, il ne quitte ses fonctions qu’après avoir installé une nouvelle équipe apte à diriger la cité.
Platon parle des sages qui patent en direction des îles des bienheureux afin d’y v passer les dernières années de leur existence. Mais ils ne se désintéressent jamais de la cité qu’ils ont dirigée. En adoptant une telle attitude, en prenant soin d’éviter la violence et le désordre, ils font preuve d’un certain respect pour la raison et la nature humaine. Une cité abandonnée à son triste sort ne manquera pas de sombrer dans toutes sortes de drames, y compris la guerre civile et fratricide.
L’organisation politique est le seul moyen de faire régner une certaine paix entre les citoyens d’un même pays. La promulgation de lois, la protection des éléments les plus faibles et les plus exposés font partie de l’organisation étatique. Mais tout ceci n’est concevable que si la liberté des citoyens existe et est défendue. C’est le préalable le plus indispensable pour constituer un groupe uni, libre dans son action et dans sa réflexion. Sans liberté point de démocratie, mais c’est plutôt le déferlement de l’arbitraire et de la violence. Le corollaire de la liberté n’est autre que la paix, je veux dire la paix sociale. Elle est garantie par l’existence d’un régime vertueux mais qui doit pouvoir s’appuyer sur la force, donc sur la violence dont il a le monopole. Faute de quoi, aucune survie n’est possible.
On ne fait pas assez souvent un rapprochement entre les philosophies politiques des Grecs et les efforts déployés par saint Augustin dans sa Cité de Dieu… L’évêque d’Hippone voulait fonder sur terre une cité capable de se comparer à la cité, œuvre de Dieu. Il a fini par comprendre qu’on peut se rapprocher du dessin divin sans jamais l’investir en totalité. C’est un thème qui poursuit la politique et la métaphysique de l’Occident depuis les origines. La loi civile, la loi humaine n’aura jamais le caractère absolu de la loi divine.
Maurice-Ruben Hayoun
Philosophe, germaniste, hébraïsant et arabisant, Maurice-Ruben Hayoun est l’auteur d’une oeuvre abondante sur la philosophie juive qui a bénéficié de son accès direct aux sources. Il a enseigné dans plusieurs universités dont Strasbourg, Heidelberg, Berlin et Genève. Son Histoire de la philosophie juive, parue au Cerf en 2023, a reçu le meilleur accueil de la critique en France et à étranger.
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