Que se cache t-il derrière l’interdiction des ordinateurs en cabine?

Les sceptiques s’en moquent. Mais Al Qaïda a mis au point des moyens ingénieux pour faire exploser des avions en vol depuis des années.

Shabaab, la branche d’al Qaïda en Somalie, a fait exploser un ordinateur portable à bord d’un avion de Daallo Airlines en février 2016.

[Cet article a d’abord été publié sur Politico.]

Plus de 15 ans après les détournements et attentats-suicide du 11 septembre 2001, le gouvernement des Etats-Unis a diffusé un nouvelle alerte, concernant la sécurité à bord des avions de ligne. Mardi, le Département le Sécurité Intérieure (DHS) a annonde nouvelles restrictions sur les moyens électroniques amenés à bord de certains vols en direction des Etats-Unis (et de la Grande-Bretagne). Les passagers des avions décollant de 10 aéroports du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord n’auront plus le droit d’emporter des ordinateurs portables ou des moyens électroniques similaires avec eux à l’intérieur de la cabine de l’avion. Les téléphones portables et les moyens électroniques plus petits ne sont pas affectés par les nouvelles mesures, mais les ordinateurs devront être laissées en soute à bagages.

Cette décision a aussitôt généré des controverses et des questions. Mais, précisément, pourquoi maintenant? Certains ont dénoncé l’annonce du DHS comme un geste protectionniste destiné à stimuler les ambitions des compagnies américaines de transport aériens, qui se plaignent depuis des années d’une concurrence déloyale de la part des compagnies aériennes du Golfe, depuis des années. Des agitateurs sur Twitter ont désignécette mesure comme « une interdiction des ordinateurs musulmans » dontle but secret serait de décourager les voyages à partir du Monde Arabe. Mais, à l’heure qu’il est, il devrait être clair ue les nouvelles restrictions sont gravement sérieuses, même s’il y a des questions légitimes à se poser sur la façon dont ces mesures ont été instaurées.

Des reportages de presse préalables, dont ceux du New York Times, ont cité des responsables anonymes disant que ces restrictions ne correspondaient pas à une réplique concernant un nouveau type de renseignements disponibles. Mais l’annonce du DHS a bien d’autres implications. Une des questions posées sur le site internet du DHS  demande : « Est-ce que des renseignements inédits ont conduit à la décision de modifier les procédures de sécurité? ». Et la réponse est : « Oui, les renseignements dont nous disposons sont l’un des aspects importants de toute décision relative à des questions de sécurité ». La décision rapide du gouvernement britannique d’en faire de même suggère également qu’il y a quelque chose de nouveau dans toute cette affaire.

Des reportages suivants, émanant de CNN et du Daily Beast indiquent que les renseignements recueillis au cours d’un raid des forces spéciales mené au Yémen, en janvier dernier, sont la source véritable de ces dernières restrictions. C’est possible. Ce raid a suscité bien des controverses, mais l’Administration Trump pl le fait que les coûts en valaient les bénéfices, parce que les Etats-Unis ont pu apprendre des détails importants sur les complots d’Al Qaïda dans la Péninsule Arabe (AQPA). Un Navy SEAL a péri au cours de l’opération, ainsi que des femmes et des enfants servant de boucliers humains à Al Qaïda. Dans les heures qui ont suivi, Al Qaïda a fait circuler la photo d’une adorable petite fille, qui a été tuée au cours de ces échanges de tirs. La fillette était la propre fille d’Anwar al Awlaki, un idéologue yéméno-américain tué en septembre 2011 par une frappe de drone. Al Qaïda a immédiatement appelé à la vengeance en son nom.

Savoir si des renseignements d’un genre nouveau ont débouché ou pas sur cette décision, peut-être, mais nous savons déjà avec certitude qu’Al Qaïda a continué à réfléchir à des façons de terroriser les cieux. Depuis des années, les terroristes opérationnels d’Al Qaïda, en Somalie, en Syrie, au Yémen et ailleurs, font des essais expérimentaux d’explosifs sophistiqués qu’on peut assez facilement faire entrer clandestinement à bord d’avions.

Le DHS désigne « la tentative de piégeage d’un avion de transport de passager en Somalie », en février 2016, comme l’une des raisons des inquiétudes en cours. Cet attentat à la bombe était mené par al Shabaab, la branche officielle d’Al Qaïda en Somalie. Al Shabaab avait tenté de justifier cet attentat raté en prétendant qu’il y avait des « représentants des renseignements occidentaux » à bord de l’appareil, mais cette excuse pouvait n’être qu’une simple couverture masquant quelque chose de bien plus sinistre.

Certains responsables américains soupçonnent que l’élite des fabricants de bombes d’Al Qaïda voulaient tester l’une de leurs nouvelles inventions, un explosif ultra-léger présenté sous la forme d’un ordinateur portable difficile à détecter par des procédures normales de sécurité. A tout le moins, l’attentat des Shabaab démontrait qu’Al Qaïda était très proche de mettre en service un explosif de la taille d’un ordinateur portable capable de faire exploser en vol des avions de ligne. Alors que personne d’autre que le terroriste déclenchant la bombe n’avait été tué, l’avion avait subi un énorme trou sur le côté de sa carlingue.

Les terroristes appartenant à Al Qaïda ont eu l’occasion de tester leurs engins explosifs, auparavant. En décembre 1994, une bombe a explosé à bord d’u vol d’Air Philippines, tuant l’un des passagers et endommageant gravement l’appareil. Cet engin avait été placé par Ramzi Yousef, le neveu de cerveau du 11/09, Khalid Sheikh Mohammed. Yousef avait prévu de faire exploser plusieurs avions de ligne en même temps, dans le cadre du « Projet Brojinka » et il voulait expérimenter son invention au préalable. Les services de renseignements ont, finalement, fait échouer sa conspiration, mais Al Qaïda n’a pas oublié ni abandonné l’idée de Yousef. L’organisation terroriste y est même, plutôt, revenu en 2006, quand un plan similaire prenant des avions pour cible au décollage de l’aéroport londonien d’Heathrow, a été déjoué.

Le nouvel échec d’Al Qaïda en 2006 n’a pas dissuadé le groupe terroriste de vouloir améliorer par une nouvelle version, le concept original de Yousef.

En septembre 2014, les Etats-Unis ont commencé à lancer des frappes aériennes contre un cadre d’Al Qaïda en Syrie, décirt par l’Administration Obama comme le « Groupe Khorasan ». Il y a eu quelques confusions, au départ, à propos de ce qu’était réellement le groupe Khorasan, cetains étant simplement d’avis qu’il aurait été inventé par les responsables américains pour justifier les bombardements ou une nouvelle entité terroriste distincte et totalement inconnue jusqu’alors. En réalité, c’était simplement une collection de vétérans d’Al Qaïda et de spécialistes des explosifs qui avaient reçu l’ordre de leur Guide Suprême, Ayman Al Zawahiri, de commencer à préparer le terrain en Syrie pour des séries d’opérations contre l’Occident.

Pour autant que nous le sachions, le Groupe Khorasan n’est jamais parvenu à tenter de frapper les Etats-Unis ni l’Europe. Peut-être est-ce tout simplement parce que ses dirigeants et membres, dont l’artificier breton David Drugeon, ont tous été tués lors de campagnes de drones. Mais d’autres problèmes s’ajoutent à cette histoire : Zawahiri n’aurait pas donné à ses hommes le feu vert final en vue d’une opération. Au lieu de quoi, Zawahiri voulait que sa cohorte de Khorasan soit prête qu’on on l’appellerait. Dans l’intervalle, Al Qaïda ne voulait pas qu’un attentat contre l’Occident ne mette en péril  son objectif fondamental en Syrie, qui est de renverser le régime de Bachar al Assad.

L’Etat Islamique obtient tous les gros titres, mais Al Qaïda a tranquillement bâti la plus grande armée de guérilla jamais levée en Syrie, avec plus de 10.000 hommes ou plus sous son commandement direct. Ce groupe de guérilla, d’abord connu sous le nom de Jabhat al Nusra a fussionné avec quatre autres organisations pour former l’Hayat Tahrir al Sham (« Assemblée pour la Libération du Levant »), en Janvier. Brett McGurk, l’envoyé spécial du Président auprès de la coalition anti-Daesh, avait déclaré devant la Commission des Affaires étrangères du Sénat, quelques mois plus tôt, en juin 2016, qu’al Nusra était déjà « la plus vaste composante armée de toute son histoire », qui aient des liens directs avec Al Zawahiri. La fusion a offert à Al Qaïda le contrôle sur une force encore plus vaste et considérable.

Al Qaïda pourrait facilement se servir à nouveau de ces djihadistes en vue d’un assaut en Europe,ou éventuellement aux Etats-Unis, mais il a choisi de ne pas le faire jusqu’à présent. C’est, en soi, assez éloquent. Zawahiri et ses lieutenants ont calculé que si la Syrie était transformée en rampe de lancement pour le terrorisme anti-occidental, alors ses efforts s’attireraient encore plus l’attention du monde. A un moment où les Etats-Unis et leurs alliés sont principalement focalisés contre l’Etat Islamique, le rival potentiel d’Al Qaïda, Zawahiri a déterminé que l’Occident pouvait attendre.

Mais les calculs tactiques de Zawahiri concernant la Syrie pourrait changer à n’importe quel moment. Et l’organisation maintient des cadres n’importe où, qui sont toujours à planifier des attentats contre l’Etats-Unis ou l’Europe et leurs intérêts.

Le Groupe Khorasan comprenait des djihadistes du monde entier, dont des hommes entraînés par le fabriquant de bombes le plus important de l’AQPA, un Saoudien appelé Ibrahim al Asiri. Les responsables américains ont pointé du doigt al Asiri en temps que concepteur en chef des engins explosifs particulièrement sournois. Al Asiri a survécu à de multiples tentatives pour le tuer. Mais même si les Etats-Unis parviennent à le descendre ou à l’attraper dès demain, son expertise lui survivra. Certains de ses adjoints en ont entraînés d’autres en Syrie.

Al Qaïda dispose présent d’unités déployées dans plusieurs pays, qui sont impliqués dans des complots contre l’Occident. En témoignant devant la Commission des Services Armés du Sénat en février 2016, le Directeur des Renseignements Nationaux, James Clapper avait alerté du fait qu’Al Qaïda « disposait de réseaux en Syrie, au Pakistan, en Afghanistan et en Turquie », qui « consacrent des ressources à mener des attentats planifiés ».

Le Pentagone annonce régulièrement des frappes aériennes prenant pour cibles les opérateurs d’Al Qaïda, dont certains, identifié comme « des conspirateurs extérieurs » portent  leur mauvais oeil sur l’Occident. De façon incroyable, plus d’une décennie et demie après les détournements du 11 Septembre, les membres d’Al Qaïda en Afghanistan sont toujours impliqués dans des efforts visant à frapper les Etats-Unis ou l’Occident. En octobre 2016, par exemple, les Etats-Unis ont abattu  Farouq al Qahtani, dans l’Est de l’Afghanistan. Le Département de la Défense avait alors expliqué que Qahtani « était l’un des principaux conspirateurs du groupe terroriste fomentant des attentats contre les Etats-Unis ».

Pendant ce temps, Daesh a également prouvé qu’il est parfaitement capable d’abattre un avion de ligne. Jusqu’à présent, les hommes du dirigeant de Daesh Abu Bakr al Baghdadi ont utilisé des moyens techniques bon marché. En octobre 2015, le soi-disant Wilayat Sinaï du Califat a revendiqué l’explosion en vol d’un avion de ligne russe. Si le numéro de propagande de ce groupe s’a exact, alors une simple canette de Schweppes Gold remplie d’explosifs et équipée d’un détonateur a débouché sur la mort es 224 passagers et membres d’équipage à bord. Cette boisson transformée en bombe s’avère très différente des explosifs sophistiqués mis au point par les fabricants d’Al Qaïda, mais elle s’est montrée terriblement efficace, quoi qu’il en soit.

La vérité est que la menace contre les avions de ligne n’est pas près de s’évaporer de si tôt. Cependant, cela ne signifie pas que toute mesure destinée à protéger les passagers est la bonne. Certains se sont rapidement interrogés sur la politique de l’Administration Trump. Pourquoi est-ce que cela n’impact que les compagnies de certains pays seulement? Est-ce qu’on a découvert que les mesures de sécurité étaient plus laxistes à certains endroits qu’à d’autres? En quoi le risque lié à un ordinateur piégé est-il réduit s’il se trouve dans la soute à bagage, plutôt que dans la cabine passagers? Et qu’en est-il de la possibilité qu’Al Qaïda ou Daesh glisse une bombe des vols de correspondance, avant que les avions ne se dirigent vers les Etats-Unis?

Voilà quelques bonnes questions à se poser. Et l’Administration Trump ferait bien d’y répondre.

Thomas Joscelyn est chercheur principal à la Fondation pour la Défense des Démocraties et le rédacteur en chef du Long War Journal produit par la même fondation.

| 23 mars 2017 | tjoscelyn@gmail.com | @thomasjoscelyn

politico.com

Adaptation : Marc Brzustowski

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4 Commentaires
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blan

J’aime beaucoup le commentaire de Glubard.
Lire un livre, réfléchir ou encore apprendre l’orthographe pourrait être utile à une grande majorité d’entre nous…..
En étant un peu plus instruits peut-être serons-nous moins violent?
Du moins pouvons-nous l’espérer si nous voulons continuer à vivre sur cette planète

GUIBORAT

@David T. – Les mots croisés, le sudoku, la lecture, remplacent avantageusement les jeux et les films…
Le tricotage ou la broderie aussi (hi!hi!hi!) encore qu’aiguilles à tricoter et aiguilles peuvent devenir des armes.
L’usager, s’il tient à sa vie, (vous n’avez pas l’air de penser à celles de vos voisins) peut supporter quelques heures
sans tablettes ni ordi.
Il est vrai que devoir penser, réfléchir, durant quelques heures peut se révéler fatigant lorsqu’on en a perdu l’habitude…
Il y a bien des plages naturistes, pourquoi pas des vols naturistes ?
Perso. ce ne sera pas ma « tasse de thé ».l

Glubard

La conclusion de cet article présente une évidence et elle est terrifiante.

David T.

Moi ça me fait râler, j’aime regarder un film ou jouer à un jeu pendant le vol, ça passe plus vite.
Je pense que lorsque l’on voit l’inventivité des passeurs de drogue, on comprend bien que cette interdiction ne changera rien c’est l’usagé que l’on embête inutilement, ils trouveront autre chose, avec ce genre de politique, ils vont en venir à nous mettre nu et nous faire voyager en costume de bagnard sans objet personnel, et même la, ils en arriveront à avaler la bombe comme font les passeurs de drogue.