La francophonie universitaire en Israël : colloque à l’Université de Tel-Aviv
A l’occasion de la Journée internationale de la francophonie, un colloque organisé par le Programme de culture française de l’Université de Tel-Aviv et sa directrice, le Prof. Nadine Kuperty-Tsur, en collaboration avec l’Institut français, a réuni les principaux acteurs de la francophonie universitaire en Israël, le mardi 29 mars, sur le campus de l’UTA. Au cours de la journée, qui s’est déroulée en présence de l’Ambassadeur de France en Israël, Eric Danon, ont été abordés les divers aspects de la diffusion de la francophonie en Israël et les défis importants auxquels elle doit faire face, aussi bien dans le domaine de l’enseignement de la langue, la culture et la littérature que dans celui de la promotion du livre francophone, en passant par les rapports avec la communauté.
Roselyne Ester Ilay: « La langue française ‘pense’ différemment de la langue anglaise et elle constitue aujourd’hui un contrepoint indispensable pour éviter la monoculture. Elle possède quelque chose d’universel, une richesse qui permet la nuance, quelque chose qui, à la fois nous distingue et nous réunit », a déclaré l’Ambassadeur de France, qui note malheureusement une perte lente mais réelle du nombre d’enfants apprenant le français en Israël. « La demande est très forte, mais l’infrastructure est insuffisante », explique-t-il. Concernant l’intégration dans les institutions internationales de la francophonie, il remarque qu’Israël est bloqué pour entrer dans l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie), mais que l’Agence Universitaire de la francophonie (AUF) représente néanmoins une piste importante « étant donné la qualité exceptionnelle du monde universitaire francophone en Israël ». Il souligne enfin que le covid, qui a poussé à mettre en ligne des cours et des films en français, a eu un effet étonnamment positif sur la demande culturelle de français en Israël, élargissant considérablement son public sur le plan de l’âge et de la localisation géographique, et aboutissant à une augmentation dans un rapport de 1 à 8.
L’excellence de la francophonie universitaire en Israël
Le Prof. Serge Borg, correspondant de l’Institut français pour la francophonie, a également mis l’accent sur le potentiel francophone représenté par Israël, sur l’excellence de la francophonie universitaire du pays, et sur les avantages financiers et institutionnels qu’il y aurait pour les universités israéliennes à réintégrer l’AUF. Il relève que les contacts en vue de l’accord de coopération signés entre Israël et le Maroc en décembre dernier, faisant suite aux Accords d’Abraham, se sont déroulés en français, annonçant un changement de politique envers Israël à l’intérieur de l’espace francophone dans le monde.
Les enseignants des différents cadres d’enseignement du français dans les universités israéliennes, ont tous fait part à la fois du défi représenté par le déclin de la langue et de la culture française dans le monde, et de leur attachement et leur enthousiasme pour développer des cadres qui lui permettent de continuer de briller.
Le Dr. Yona Hanhart-Mamor, Directrice du Département d’Etudes romanes de l’Université hébraïque de Jérusalem, a partagé son expérience personnelle des enjeux et défis quotidiens de l’enseignement de la littérature francophone dans une université israélienne : « Tous nos étudiants sont hébréophones ou arabophones », a-t-elle expliqué. « La littérature française, du moins à l’Université de Tel-Aviv et à l’Université hébraïque de Jérusalem, est enseignée en hébreu. Aussi, nous ne pouvons utiliser que des textes traduits dans cette langue. De plus, une grande partie des étudiants israéliens ont une ignorance totale de la culture française de base. Il existe un fossé culturel entre les mentalités française et israélienne, notamment au niveau de l’humour, difficile à faire partager. De plus, l’influence du modèle anglo-saxon est très prégnante, notamment dans le domaine de la recherche. Cependant, j’éprouve un grand plaisir, voir une jubilation à faire découvrir à des étudiants un univers inconnu. Enseigner la littérature française devient une activité d’éducation merveilleuse et je mesure chaque jour la chance que j’ai de faire le métier dont j’ai toujours rêvé et d’œuvrer pour sa diffusion de cette culture ».
S’intégrer à la communauté : un modèle de coopération originale avec des retraités francophones
Les Dr. Isabelle Dotan et Karina Masasa, de l’Université de Bar Ilan ont fait part du défi que constitue l’adaptation de l’enseignement du français langue étrangère (FLE) en contexte universitaire, et celle des directives du Cadre européen de référence pour les langues (CECRL) à un niveau local. « Le statut des sciences humaines dans le monde est en déclin, et c’est également le cas de l’enseignement de la culture française », expliquent-elles. « La pénétration de la culture française en Israël a connu des fluctuations. Très recherchée à l’époque, elle l’est beaucoup moins aujourd’hui. Les effectifs des classes sont en baisse constante et l’enseignement du français dans les lycées n’est plus un tremplin vers l’Université ». Les chercheuses ont également mis l’accent sur le caractère hétérogène des classes, mais aussi sur l’espoir que représente le public africain très attaché à sa culture française et friand de rapprochement avec Israël ; elles ont également présenté le nouveau programme de FLE de l’Université Bar Ilan.
Le Dr. Sylvie Housiel, enseignante au programme de Culture française de l’Université de Tel-Aviv, a exposé comment elle concilie cours de langue et cours de civilisation, notamment à travers son cours sur la correspondance des poilus de la guerre de 14, en misant pour sa part sur la convergence culturelle: « Le rapprochement entre la langue et la culture française et le peuple d’Israël remonte à Napoléon. La langue française est porteuse des valeurs de la République, et c’est cela que j’essaie d’insuffler à travers mes cours ».
L’omniprésence de l’anglais et du système américain
Les Prof. Silvia Adler et Galia Yanoshevsky du Département de culture française de l’Université Bar Ilan, ont présenté une étude qu’elles ont effectué sur les motifs qui poussent les étudiants israéliens à s’inscrire à des études de français, ainsi qu’un modèle de coopération original et réussi entre des retraités francophones et le Département de culture française de l’Université Bar Ilan, témoin de ce que la communauté peut apporter à l’enseignement du français.
Coralie Delaire, chargée de coopération pédagogique à l’Institut français et lectrice à l’Université de Tel-Aviv a apporté ses réflexions sur l’apprentissage et l’enseignement du français dans les universités israéliennes, comparant notamment son expérience avec celle de son précédent poste en Jordanie : « En arrivant en Israël, je n’avais que peu d’idées sur ce que j’allais y trouver », raconte-t-elle. « Israël est l’Europe du Moyen-Orient, la Californie de la Méditerranée ». Elle souligne également l’omniprésence de l’anglais et du système américain mettant l’accent sur la performance au détriment de l’acquisition des connaissances et propose une série de mesures pour permettre aux étudiants israéliens de renouer avec le français.
Le Dr. Dorit Shilo de l’Université de Tel-Aviv, qui est également la traductrice attitrée de l’Ambassade de France, a présenté son expérience personnelle de traductrice, et l’apport de la traduction comme outil de perfectionnement de la langue et de la culture.
La troisième et dernière session du colloque a été consacrée à la diffusion de la pensée et de la littérature françaises en Israël à travers les livres et les revues. Roselyne Dery, attachée pour le livre auprès de l’Ambassade de France, a souligné le rôle du livre dans la culture française : « Le livre est encore en France la première industrie culturelle, avant le jeu vidéo. La France possède le plus beau dispositif de soutien à l’industrie du livre dans le monde. Cependant, on note une baisse de la vente du livre français ou en langue française à l’étranger, car il n’est pas assez bien diffusé sur le plan international. Aussi est-il important de promouvoir le livre français en Israël et dans le monde ».
Ont encore pris la parole Marlena Braester, rédactrice en chef de la revue Continuum, revue des écrivains israéliens de langue française, et Esther Orner, auteure et fondatrice de cette revue, qui a présenté l’impact de son œuvre en Israël.
Jforum avec www.ami-universite-telaviv.com
Photos:
1. de gauche à droite: Roselyne Déry, Esther Orner et le Dr. Ilai Rowner
2. L’Ambassadeur de France Eric Danon,
3. Le Dr. Sylvie Housiel
4. La lectrice coralie Delaire
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