Menaces. Les services de renseignements se préparent à tous les scénarios et tentent d’anticiper la menace que fait planer l’État islamique. Ils ont une quasi-certitude : il y aura d’autres attaques. Revue de détail.
Pendant trois semaines, Valeurs actuelles a enquêté auprès de militaires, de policiers, des agents des services de renseignements intérieur (DGSI), extérieur (DGSE), de la Direction du renseignement militaire (DRM), mais aussi en rencontrant des agents de services de pays d’Afrique du Nord. Nous avons été au contact des acteurs qui mènent la lutte contre l’État islamique (EI), en première ligne. Nous sommes allés visiter des sites ultra-protégés où, dans le plus grand secret, policiers et militaires décryptent, analysent et tentent de se préparer « à l’imprévu ». Cette enquête a permis d’accéder à des informations dont François Hollande, Jean-Yves Le Drian et Bernard Cazeneuve ont connaissance.
Elle révèle des scénarios d’attaques possibles de l’État islamique pour frapper l’Europe, particulièrement l’Allemagne et la France, « cible prioritaire de l’État islamique », comme il est écrit dans le dernier numéro de son magazine Dar alislam. L’EI est en train de faire sa mue et le dit : il « effectue un “pivot stratégique” et réoriente une part de ses opérations contre les Occidentaux, les États-Unis et généralement tous les pays qui s’opposent à lui en ciblant plus particulièrement la France ». L’EI nous prévient : « Rapidement, le nombre d’opérations terroristes montées en Europe, et surtout en France, et reliées à l’État islamique va augmenter. » Pour cela, il s’organise, rationalise ses projets d’attaque et peaufine la formation de ses combattants dans un objectif : « mettre la France à genoux », comme l’affirme un haut gradé des services de renseignements. Avec un timing bien précis. « Des attentats massifs devraient probablement frapper la France avant le mois de mai », assure à Valeurs actuelles un haut fonctionnaire qui a eu accès aux interceptions réalisées par les services de renseignements.
Des attentats à tout moment
Un commissaire de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) explique l’état d’avancement de la stratégie de l’EI. « La déstabilisation de l’Occident fonctionne pour le moment. En trois étapes : tout d’abord, l’EI a favorisé l’arrivée de plus d’un million de migrants en Europe ; ensuite, il s’en est servi pour infiltrer des combattants parmi les réfugiés et mener plusieurs attaques en France ; enfin, il va chercher à installer en France une situation de terreur et d’insécurité permanente, pire que celle qu’a connue le Liban pendant plusieurs années, en recrutant des terroristes français qui ne seront jamais allés combattre en Syrie, qui seront au-dessus de tout soupçon. » « C’est imparable pour les services de renseignements », conclut-il. En clair, le pire est à venir.
Manuel Valls l’a confirmé, le 9 février, devant des députés : « La menace est sans doute encore plus importante qu’avant le 13 novembre », citant « les signes d’activité, les réseaux terroristes, des menaces, des revendications par Internet ». En deuxième position derrière la France, l’Allemagne « risque de connaître aussi des attentats de très grande ampleur », commente un acteur clé du renseignement français.
500 djihadistes seraient prêts à passer à l’action
Les éléments que nous avons recueillis font froid dans le dos. Le témoin qui avait permis à la police de localiser Abdelhamid Abaaoud, tué dans l’assaut du Raid contre l’appartement de Saint-Denis, le 18 novembre, a assuré lors de son audition que le commando était composé en réalité de 90 personnes qui se sont dissimulées parmi les migrants arrivés en Europe ces derniers mois pour s’infiltrer en France. Où sont-ils aujourd’hui ? Les services assurent que l’information « est vraie » et « qu’ils sont en France pour la plupart d’entre eux ».
Plus inquiétant encore, selon ces derniers, « plus de 500 djihadistes » sont passés par la Grèce munis de faux passeports avec une seule mission : commettre des attentats en France. « La majorité d’entre eux “dort” encore », assure un policier, qui dresse la liste des prochaines cibles : « Une école, une église, un centre commercial, un bateau de croisière en Méditerranée, un avion qui vient de décoller ou encore Disneyland, où les “terros”[terroristes, NDLR] pourraient compter sur la complicité de membres du personnel fichés S ». Il y en aurait… une vingtaine.
L’observation des modes d’action au Levant donne aussi des indications aux services de renseignements quant aux formes que prendraient les futurs attentats en France : attaque suicide, chimique, prise d’otages dans une école, tueries en nombre.
Une menace à l’intérieur des armées et de la police ?
Le danger est partout et vient même de l’intérieur. La Direction de la protection et de la sécurité de la Défense (DPSD), qui dépend du ministère de la Défense, a pu le constater. Lorsque le Charles-de-Gaulle a appareillé pour bombarder l’État islamique en Syrie, « deux hommes ont été débarqués car ils avaient une fiche S pour radicalisation », révèle un militaire qui s’intéresse à la question de la radicalisation dans les armées. Il ajoute que, « sur le Mistral aussi, plusieurs fichés S n’ont pas pu embarquer ». « En réalité, il y en a très peu », nous assure-t-on.
Néanmoins, la DPSD se mobilise aujourd’hui pour identifier au sein des armées ceux qui pourraient passer à l’acte. Elle s’intéresse aussi de près aux anciens militaires, qui ont fait partie d’unités spécialisées, qui combattent aujourd’hui dans les rangs de l’EI. Sa crainte : que ces combattants, qui connaissent les failles des sites militaires auxquels ils étaient affectés avant leur départ de l’armée, reviennent sur les lieux pour faire un carnage. Combien sont-ils ? « Plusieurs dizaines », nous a-t-on répondu.
Dans la police, la DGSI s’intéresse aussi à la possibilité d’infiltration dans ses rangs. Un commandant de police explique : « Nous n’écartons pas la possibilité que des fonctionnaires puissent basculer dans le radicalisme et nous suivons de près le profil des nouvelles recrues. »
Les sept modes opératoires les plus redoutés
1 – La fusillade dans un lieu public à forte affluence
C’est le scénario que craignent le plus les services. « Presque imparable, peu compliqué à mettre en place, le résultat est spectaculaire », s’inquiète un préfet. Pas nécessairement coordonné depuis l’Irak ou la Syrie, « ce type d’attentat va croître en France », poursuit-il. L’EI, qui, dans sa mue, cherche à « autonomiser » ses combattants, les encourage — surtout ceux qui n’ont pas pu combattre en Syrie — à commettre un tel attentat à proximité de chez eux.
Les autorités s’attendent à de telles attaques, perpétrées par une ou deux personnes lourdement armées, qui se rendent dans une église, une école ou un centre commercial, avec plusieurs objectifs : « Faire le maximum de morts, créer une panique collective et, une fois de plus, s’en prendre à un symbole. Tuer 300 personnes dans une église le dimanche s’inscrit dans la logique de la croisade contre les infidèles. Les combattants de l’EI en parlent de plus en plus », conclut le haut fonctionnaire.
Dans sa dernière revue de propagande, l’EI a aussi évoqué, pour la première fois, une menace contre les militants du FN qui se rassembleront, le 1er mai, pour la fête de Jeanne d’Arc, avec cette légende : « Rassemblement d’idolâtres du FN. Des cibles de choix. »
Voulant inscrire ses actions dans une dimension historique, l’EI vise des symboles illustres. En France, Poitiers fait l’objet de toutes les attentions des services. Dans des interceptions téléphoniques récentes, des commandos de l’EI considèrent comme un devoir moral de frapper la ville, où, en 732, Charles Martel battit l’émir de Cordoue, Abd al-Rahman.
2 – Les cibles multiples
Autre projet : des attaques simultanées dans plusieurs villes. C’est un scénario auquel se préparent, depuis 2008, le Raid et le GIGN, après les attentats de Bombay. « L’objectif est de créer un sentiment de terreur au sein de la population française et de montrer qu’en aucun endroit du territoire, nos concitoyens ne sont à l’abri de l’EI », affirme un policier de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), qui ajoute : « Une telle attaque montrerait les limites de nos moyens : appelés à intervenir dans plusieurs endroits au même moment, le Raid et le GIGN auraient beaucoup de mal à tenir dans la durée. Si, en plus, une traque est organisée, comme celle des frères Kouachi, nous ne pourrions pas rester mobilisés plus d’une semaine. »
3 – Le convoi de véhicules
En utilisant des outils numériques dernier cri, l’EI est prêt à envoyer des convois de véhicules en opération suicide contre une école, une église ou un lieu public : une première voiture, au blindage renforcé, conduite à distance et chargée d’explosifs dans le but de faire un maximum de dégâts, suivie d’un deuxième véhicule transportant des djihadistes chargés de tuer le plus grand nombre de civils. Enfin, un troisième véhicule dont la mission est de “terminer le travail” et de récupérer le commando. Jugé « trop compliqué à mettre en place »par certains experts, ce scénario a toutefois été évoqué de manière sérieuse à plusieurs reprises dans des interceptions des services de renseignements d’un pays d’Afrique du Nord.
4 – L’infiltration de camps de migrants
Autre crainte des services : des opérations de type “cheval de Troie”, de migrants présents dans des camps en France s’organisant et passant à l’acte en un temps record. Le 26 janvier, de manière inédite, le Raid est intervenu dans le camp de Grande-Synthe, dans le Nord, où une fusillade avait éclaté entre des migrants. « C’est la preuve que des migrants arrivent armés ou alors qu’ils se fournissent en armes sur place », commente un policier de l’unité, qui s’interroge : « Il est curieux que des migrants, qui ont fait un long périple pour fuir la guerre, aient avec eux des armes à feu. Ou alors, ce ne sont pas des migrants… » « C’est évident, confirme une autre source policière du Nord. Des agents du Service central du renseignement territorial (SCRT) ont été chargés de les infiltrer. »
5 – La prise de contrôle d’un bateau de croisière
Jugé, par un officier supérieur, « extrêmement complexe à monter », ce scénario a pourtant été évoqué par plusieurs détenus fichés S pour radicalisation de retour de Syrie. Cela consisterait à introduire une dizaine de combattants à bord d’un paquebot. « En s’attaquant à la Méditerranée, ils frapperaient un symbole et montreraient que la vulnérabilité de l’Europe s’illustre dans cette mer commune », décrypte un policier de la DGSI qui a participé à des interrogatoires d’anciens combattants en Syrie.
D’après certaines sources, l’opération pourrait être le fait de djihadistes faisant partie du personnel de bord. « C’est plus facile de déjouer les contrôles quand on connaît le bateau, qu’on y travaille et qu’on est, de fait, au-dessus de tout soupçon », confie un militaire spécialiste de la piraterie maritime, ajoutant que « les touristes ont peu de réflexes de défense ». Depuis dix ans, les unités d’élite de la police, de la gendarmerie et de l’armée s’entraînent régulièrement à faire face à une attaque de cette nature.
6 – Le raid contre un village isolé
Un militaire qui revient du Levant, où il a pu approcher des combattants de l’EI, révèle que certains groupes s’entraînent « sur un scénario de type Oradour-sur-Glane », consistant à massacrer un village français entier et à tout brûler, comme l’avait fait un détachement de la Waffen-SS, le 10 juin 1944, dans ce village du Limousin. L’opération avait fait… 642 victimes.
7 – L’attaque de sites stratégiques
Après l’intrusion dans une entreprise classée Seveso par Yassin Salhi (ancien fiché S) qui venait de décapiter son patron, le 26 juin dernier, la protection de 1 171 sites industriels à risques a été renforcée. Les services de renseignements craignent toutefois des attentats. « Dans des échanges que nous avons interceptés, on sait que, pour l’EI, une catastrophe industrielle est dans le top 10 de leurs souhaits à venir. Ils ne l’ont encore jamais fait. Ils innovent à chaque fois, on redoute beaucoup une telle attaque », reconnaît un gendarme qui connaît bien le sujet.
Les contrôles d’accès des sites militaires font aussi l’objet d’une attention scrupuleuse des autorités. L’EI a plusieurs fois évoqué son intention de s’en prendre à des soldats ou des sites appartenant à l’armée. Le projet d’attentat contre la base de la Marine nationale à Toulon, déjoué le 29 octobre dernier, reste gravé dans l’esprit de la DPSD. « Même si le risque zéro n’existe pas, on fait très attention », explique un officier de l’armée de terre. « Depuis plusieurs mois, mes hommes ont l’obligation de laisser leur tenue au quartier, pour éviter d’être identifiés dans la rue », poursuit-il. « Quant à la sécurité des lieux, figurez-vous que des chiens réussissent sans mal à se faufiler au travers de nos clôtures sur lesquelles nous avons l’impression de mettre des Rustines en permanence. Quel qu’un qui connaît les lieux peut aussi s’introduire », conclut-il.
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