« En 1945, le gouvernement a nié la spécificité du sort des Juifs »
INTERVIEW. L’historienne revient sur la difficile réinsertion, en France, des rescapés juifs des camps nazis.
Propos recueillis par François-Guillaume Lorrain
Si l’on commémore dans quelques jours la libération du camp d’Auschwitz, et avec celle-ci, la libération en général de tous les camps, il ne faut pas assimiler cette libération à la Libération du territoire et à ses scènes de liesse et de soulagement. Ce fut la stupeur, le désarroi, l’effroi, ce fut aussi, avec la vision des déportés de retour, la découverte concrète d’une réalité concentrationnaire qu’on ne soupçonnait pas en France, ce fut enfin un immense problème de logistique et d’organisation. Comme le souligne l’historienne Laure Fourtage, en plus des 50 000 déportés qui reviennent, dont 4 à 5 000 déportés juifs, c’est près d’un million et demi de Français qui réapparaissent sur le territoire libéré et qu’il faut prendre en charge, réinsérer dans la vie quotidienne. Un million et demi, entre les prisonniers de guerre (plus de 900 000) et les requis du STO (plus de 500 000).
La preuve de cette souffrance qui perdure est apportée par les images de Dachau et Bergen-Belsen où les déportés continuent à vivre plusieurs mois, isolés par le typhus, dans des baraques aux conditions hygiéniques lamentables. C’est aussi le chiffre de la mortalité qui touche ces déportés après leur libération: sur les 90 000 déportés présents dans les camps en Europe, près d’un tiers va mourir dans les semaines qui suivent.
Le rapatriement, pour lequel est créé un ministère, ne se limite pas au lieu emblématique de l’hôtel Lutetia à Paris, qui a aimanté la mémoire collective, à la suite des souvenirs plus tardifs qui le mentionnent souvent. Le Lutetia n’était pas prévu dans cette boucle du retour, nous apprend Laure Fourtage, qui précise que seule la moitié des déportés rentrants va passer par l’hôtel parisien, où l’on reste entre quelques heures et cinq jours. Les plus faibles n’y séjournent pas, rapatriés en avion, ils sont acheminés directement vers les hôpitaux parisiens. Le rapatriement, sujet méconnu auquel Laure Fourtage a consacré sa thèse, ne se borne pas seulement à cet accueil: on ouvre des maisons de repos, de convalescence, les habitants sont même incités à accueillir des déportés en pension, compte tenu aussi de la pénurie du logement. C’est une France qui panse ses plaies, qui les panse très vite, car il faut reconstruire un pays miné.
Le Point : Combien de déportés juifs et non juifs reviennent en France ?
Laure Fourtage* : Ils sont un peu moins de 50 000 à rentrer : 44 000 déportés de répression (non juifs), près de 50 % n’ayant pas survécu ; à peine 4 000 déportés juifs, moins de 5 % ayant survécu (sur 76 000). En Europe, environ 90 000 déportés juifs se trouvent dans les camps lors de leur libération, sur un total de 300 000 détenus. Près d’un tiers de ces déportés juifs (20 000 à 30 000) vont mourir (de maladie, d’épuisement) dans les semaines qui suivent cette libération. Des dizaines de milliers de Juifs étrangers arrivent aussi en France, pour la plupart illégalement, ils ne veulent pas retourner dans leurs pays d’origine (Pologne, Hongrie…). Dans le cadre d’une immigration sélective, la France accueille des jeunes qu’on pense pouvoir former et assimiler, alors que le dispositif d’aide va de préférence aux Juifs français ou aux Juifs étrangers présents sur le territoire français avant la guerre. C’est ainsi que 535 adolescents juifs venus de Buchenwald, dont Elie Wiesel, sont accueillis légalement en juin 1945 par l’entremise de l’OSE, l’Œuvre de secours aux enfants.
D’autres rentrent en France en 1945…
900 000 prisonniers de guerre et 500 000 requis du STO, bien plus nombreux que les déportés. Dès novembre 1943 a été créé à Alger un commissariat aux Prisonniers, Déportés et Réfugiés, érigé en ministère en juin 1944 à la création du Gouvernement provisoire. Sa mission est de rapatrier et de réinsérer ces populations pour lancer la reconstruction du pays. Mais la politique du secret des Allemands sur les camps est telle que les autorités françaises ne savent pas trop où sont les déportés.
C’est à leur retour, à partir d’avril 1945, que le gouvernement prend conscience, à la vue des corps décharnés, de la nécessité de leur donner la priorité. L’autre difficulté pour le ministère d’Henri Frenay vient de sa dépendance aux autorités militaires alliées pour le rapatriement depuis l’étranger. Contrairement au plan prévu, Paris devient le point de passage des rapatriés, des centres d’accueil doivent être créés, comme le Lutetia pour les déportés et la gare d’Orsay pour les prisonniers de guerre et requis du STO.
Le 27 janvier 1945, il restait à Auschwitz environ 7 000 survivants, malades pour la majorité, pris en charge par les autorités soviétiques, qui installent un hôpital à Auschwitz I.
D’où reviennent surtout les déportés ?
Des camps de l’ouest du Reich. Sur le sol polonais, il restait peu de rescapés, la majorité des Juifs déportés à Auschwitz ou à Sobibor ayant été tués à leur arrivée. Et les survivants à l’Est furent évacués vers l’intérieur du Reich lors des marches de la mort. Les retours en France ne se feront pas au même rythme. Il faudra seulement huit jours pour les libérés de Buchenwald. Ce n’est pas le cas à Dachau ni à Bergen- Belsen, où les conditions sanitaires – en raison du typhus – retardent le départ, les déportés restant parqués dans des baraques.
Qu’en est-il d’Auschwitz ?
Le 27 janvier 1945, il y restait environ 7 000 survivants, malades pour la majorité, pris en charge par les autorités soviétiques, qui installent un hôpital à Auschwitz I. Pour ceux qui peuvent prendre la route débute un périple jalonné d’étapes dans des villes d’Europe orientale. Beaucoup, partis du port d’Odessa, débarquent à Marseille après plusieurs jours en mer.
À quel point le gouvernement a-t-il conscience de la spécificité de l’extermination juive ?
Noyés dans un flot d’allocutions prétendant que tous les déportés auraient connu le même destin, on trouve deux discours d’Henri Frenay, en mai et en décembre 1944, où il relève la singularité du sort des Juifs. Au retour des rescapés, son ministère dispose même de plus en plus de témoignages qui l’attestent. Pour autant, le gouvernement, en général, et Frenay, en particulier, ne cessent de nier cette spécificité.
* Autrice de la thèse « Et après ? Une histoire du secours et de l’aide à la réinsertion des rescapés juifs des camps nazis (France, 1943-1948) ».
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Laure Fourtage, historienne.
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Dès 1940, et même avant, les Juifs raflés en France avaient un statut de déporté, et non d’interné comme les autres français. Ils n’étaient donc pas considérés comme prisonniers de guerre, et tout est déjà dit ici. Ensuite, peu après la décision de Wannsee de janvier 1942, Pétain, et donc le gouvernement vichyste, furent tenus informés de la solution finale. Après le débarquement de novembre 1942 en Afn, les américains ont découvert les camps français de la mort au Sahara, et ils ont officiellement refusé de les cautionner. Dès 1943, les allemands, envahissant la Tunisie, y ont déporté les Juifs pour les exterminer, quand ils ne les ont pas gazés sur place. Aux procès d’Alger de janvier 1944, concernant les Juifs exterminés dans les camps français du Sahara, très peu d’assassins français ont été condamnés à mort et exécutés. Conclusion, prétendre qu’en 1945, en France, on ignorait totalement l’extermination des Juifs par les allemands et les français collaborateurs, est le sommet de l!hypocrisie catholique. De Gaulle a mis le couvercle sur la marmite en ébullition, et cherché à faire redémarrer la France sur de l’histoire mensongère, ce qui a créé le syndrome de Vichy. Pendant 50 ans, les français criminels et pervers ont toujours cherché à se dédouaner des crimes antijuifs de Vichy, ce qui, sur le long terme, était forcément perdant.
Tout montre clairement qu’en décembre 1961, soit seulement 16 ans après la Libération donc même pas une génération, il fallait que Ben Gourion ait des motifs très sérieux pour donner 120.000 youpins d’Algérie à De Gaulle qui gouvernait la France avec de l’histoire mensongère.
Paroles à Marseille lorsque mon ex-mari, un Israélien de 1948 en provenance du Maroc :
Ils n’ont pas voulu les juifs ils ont aujourd’hui l’Islam. Et voilà – retour de Torah on dit.
« En 1945, le gouvernement a nié la spécificité du sort des Juifs »
Beaucoup ont dû faire le lien entre les rafles du vel d’hiv et le spectacle désolant de ces corps décharnés de retour des camps.