People walk by a poster of Egypt's President Abdel Fattah al-Sisi for the upcoming presidential election, in Cairo, Egypt March 1, 2018. REUTERS/Amr Abdallah Dalsh

Comme un air de déjà-vu… Ce lundi 26 mars, alors que les bureaux de vote égyptiens ouvrent à peine pour le premier tour de l’élection présidentielle qui doit durer jusqu’à mercredi, le résultat est déjà connu.

Abdel Fattah Al-Sissi, président sortant, devrait selon toute vraisemblance être réélu, dès le premier tour, et qui plus est avec un score ridiculement élevé. Un tableau qui rappelle forcément les années Moubarak, il y a 30 ans de cela.

En Égypte, le Printemps arabe de 2011 avait eu la couleur de la démocratie: destitution d’Hosni Moubarak, suivie de la première élection démocratique du pays qui voyait Mohammed Morsi arriver au pouvoir.

Un début (presque) prometteur qui n’aboutira pas: deux ans après son élection, la tête de Mohammed Morsi est mise à prix et il finit par être destitué puis arrêté après un ultimatum donné par… Abdel Fattah Al-Sissi, alors commandant en chef des armées et ministre de la Défense.

À partir de cet instant, le chef des armées égyptiennes devient omniprésent. Suffisamment en tout cas pour lui permettre de se présenter en mars 2014 à l’élection présidentielle prévue la même année. Et depuis, ceux qui avaient cru en l’avènement d’une démocratie à la fin de Moubarak ont dû tirer un trait sur leurs espérances.

Du candidat unique…

Entre 1981 et 2011, l’Égypte n’a connu qu’un seul homme: Hosni Moubarak, élu président en octobre 1981, puis réélu sans interruption en 1987, 93, 99 et 2005.

Sur l’ensemble de ces élections, une constante: des scores particulièrement élevés, oscillant entre 79% et 97%. De là à en déduire que Hosni Moubarak a bénéficié d’une ferveur sans borne de la population égyptienne? Pas vraiment. Mais le système électoral local lui a sans doute été favorable, au moins sur ses quatre premiers mandats.

Jusqu’en 2005, la constitution égyptienne n’autorisait en effet qu’un seul candidat à la présidentielle. Il était désigné par le Parlement avant que le choix ne soit soumis au vote populaire. Sans adversaire en face de lui, les scores obtenus par Hosni Moubarak étaient donc peu surprenants. Mais en mai 2005, critiqué pour son image de monarque absolu, Hosni Moubarak est contraint de lâcher du lest: il consent à mener une réforme de la constitution qui autorise les candidatures multiples à la présidentielle. Un geste fort sur le papier mais qui l’est beaucoup moins dans la pratique: pour se présenter, les candidats doivent être parrainés par 205 élus nationaux ou locaux… qui sont pour la plupart des partisans de Moubarak.

« L’enjeu de la réforme constitutionnelle introduisant une élection directe et nominalement pluraliste est de faire barrage à tout candidat non agréé par le régime, en l’empêchant de recueillir le nombre de signatures d’élus nécessaire pour se présenter », notait dans « Les Coptes à la marge » Alain Roussillon, politologue spécialiste du monde arabe.

« La question n’est pas tant ‘qui’ se présente contre le Président mais ‘contre qui’ celui-ci est amené à se re-présenter, pour que sa victoire prévisible ait un sens », souligne de son côté la sociologue Iman Farag dans « De Moubarak à Moubarak: l’élection présidentielle de 2005 en Égypte ». Sur les neuf opposants à Moubarak, seuls deux noms ont d’ailleurs véritablement émergés. Et sans aucune surprise, le président sortant a été élu avec 88,6% des voix, contre 7,3% pour le candidat arrivé en seconde position.

… aux candidats de papier

Dix ans et deux élections plus tard, Abdel Fattah al-Sissi semble suivre la même stratégie: éliminer les candidats susceptibles d’engranger des voix tout en conservant la pluralité de candidatures pour sauver les apparences. Lors de l’élection de 2014, le seul adversaire du chef des armées mettait déjà en garde: « La jeunesse ne peut plus supporter le sentiment que cette élection ne se résumerait qu’à un seul candidat, Al-Sissi, et que ce serait en fait plus proche d’un référendum », alertait à lépoque Hamdeen Sabbah. Et le scrutin qui débute ce lundi n’est en rien différent.

Ces derniers mois, pas moins de cinq personnalités égyptiennes ont annoncé leur candidature, ou ont fait part de leur intention de se présenter. Tous ont été écarté.

Certains se sont retirés en évoquant des « pressions », un autre a été accusé dans la foulée de falsification de documents, un autre encore a été condamné à une peine de prison ferme dans le cadre d’un jugement rendu (coïncidence?) après qu’il a annoncé son intention de concourir. Le cas le plus révélateur est sans doute celui de Ahmed Chafiq, retenu aux Émirats Arabes Unis jusqu’à ce qu’il annonce qu’il se retirait de la course.

Désormais, un seul candidat fait face à Abdel Fattah Al-Sissi. Son nom? Mostafa Moussa, chef du parti libéral Al-Ghad et proche de l’actuel président, qui a déposé sa candidature quelques instants seulement avant l’heure limite. Le jour même de ce dépôt, une page Facebook au nom de Moussa Mostafa Moussa arborait d’ailleurs encore une photo du président Sissi, qui a disparu ensuite. Un vrai « candidat de papier », qui ne s’en cache d’ailleurs pas du tout.

L’intéressé explique ainsi à l’AFP qu’il fallait « équilibrer » le scrutin. Avec sa participation, l’élection devient « bien claire, bien démocratique », car le président sortant n’est « plus le seul candidat », plaide-t-il. Et malgré son statut de concurrent, il reste loyal à Al-Sissi: « ce n’est pas nouveau, nous avons la même conception de la politique », reconnaît-il.

Le pouvoir… sans légitimité

Comme en Russie pour Vladimir Poutine, la victoire de Abdel Fattah Al-Sissi ne laisse aucun doute. Mais pour ces deux présidents, l’enjeu du scrutin est ailleurs et concerne en réalité le taux de participation au vote.

« Le deuxième objectif des élections est de réaffirmer que les Égyptiens veulent qu’Al-Sissi reste au pouvoir, et si possible en renforçant sa position vis-a-vis des militaires, qui sont les vrais arbitres du pouvoir », souligne Marina Ottaway, spécialiste du Moyen-Orient, pour l’Institut italien d’études politiques internationales.

« Al-Sissi n’est pas arrivé au pouvoir par ses qualités de leader, sa popularité ou son charisme. Il a été placé à ce poste par l’armée après le coup d’état de juillet 2013 qui a évincé Mohammed Morsi du pouvoir. On peut supposer que les militaires pourraient le remplacer aussi. Un vote, et plus encore un plébiscite qui confirmerait sa popularité, ferait office de message dissuasif. »

Or pour l’instant, les précédents n’ont pas vraiment de quoi rassurer le président. Depuis l’arrivée au pouvoir de Abdel Fattah Al-Sissi, le taux de participation n’a jamais dépassé les 50%… comme sous l’ère Moubarak. En 2005, la participation à l’élection présidentielle était même inférieure à 23%.

En 2012, pour la première élection officielle d’Al-Sissi, seuls 47% des électeurs se sont déplacés…après une prolongation surprise du scrutin de 24h « pour permettre au plus grand nombre de voter » selon la commission électorale rattachée au gouvernement. À titre de comparaison, l’élection de Mohammed Morsi après la Révolution de juillet avait mobilisé 46,5% des Égyptiens au premier tour, et 52% au second.

L’issue de l’élection qui s’ouvre ce lundi (et dont le premier tour doit durer jusqu’au 28 mars) semble donc évidente. Abdel Fattah Al-Sissi est assuré de rester au pouvoir, même si sa légitimité est remise en doute par ses opposants, qui s’appuient principalement sur les taux très faibles de participation.

Ce scrutin devrait toutefois être le dernier pour le président égyptien, la constitution n’autorisant que deux mandats présidentiels. Encore que, là aussi, Al-Sissi pourrait décider de changer les règles à son avantage.

« Les Égyptiens ont toujours respecté à la lettre la constitution, même s’ils en ignorent l’esprit. Quand des clauses constitutionnelles deviennent gênantes pour le régime, elles sont amendées -et le processus d’amendement est très simple en Égypte. L’actuelle constitution prévoit des élections tout les quatre ans, avec un maximum de deux mandats. Si Al-Sissi décide de se représenter dans quatre ans, il abrogera cette limite par la voix légale », avance Marina Ottaway. Ou comment marcher un peu plus dans les pas d’Hosni Moubarak.

Par Jade Toussay

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Marc A

Dans les pays arabes en general (à de rares exceptions pres) et en Egypte en particulier, il faut choisir entre la démocratie mettant au pouvoir des islamistes ou des laics qui se doivent d’agir en tant que dictateurs.
Perso, je prefere le second, c’est autrement moins dangereux pour Israel. Mais ca n’a pas l’air d’être l’avis de la journaliste qui semble preferer les Islamistes. Drole de gout…