L’expression « Allah akbar », qui est à la fois un appel à la prière pour les musulmans et un cri de guerre utilisé par les terroristes, a été scandée lors d’une récente manifestation à Paris en soutien à la Palestine.

Atlantico : Allah Akbar » est une formule très utilisée par les musulmans. Quelles sont ses origines théologiques ? Que signifie-t-elle et dans quels cas est-elle utilisée ?

Malik Bezouh : L’expression « Allahu Akbar » signifie littéralement en arabe « Dieu est le plus grand ». Dès l’avènement de l’islam, cette formule fut utilisée par le Prophète Mohamed et ses premiers disciples, minoritaires au sein de la péninsule arabique, pour signifier aux polythéistes de la Mecque, majoritaires à cette époque, que ces derniers se trompaient en rendant un culte aux idoles, car seul Dieu est digne de vénération et qu’il n’y a rien de plus « grand » que Dieu. Cette formule est la quintessence de l’idée de Transcendance et du monothéisme. Rien dans l’univers n’est semblable ou comparable à Dieu. Il est au-dessus de toute chose  : Il est le plus « Grand ». Tel est le sens fondamental de la formule « Allahu Akbar ».

Cette formule, très massivement utilisée en terre d’islam, s’emploie tout d’abord lors de l’accomplissement des cinq prières quotidiennes. Elle est aussi prononcée durant l’appel à la prière du haut des minarets des mosquées. C’est donc dire à quel point elle baigne l’imaginaire collectif des sociétés majoritairement musulmanes. Cela étant dit, cette formule est aussi utilisée lors de l’annonce d’une très mauvaise nouvelle, un décès par exemple. Dans ce contexte-là, l’expression « Allahu Akbar » signifie que nous ne sommes rien devant Dieu qui détient dans ses mains nos destinées et que, somme toute, c’est vers Lui que se trouve notre destination finale. Cette formule peut aussi être utilisée dans un contexte guerrier. Ainsi, des organisations islamistes radicales et des groupes terroristes l’utilisent pour dire qu’ils sont prêts à mourir pour la cause la plus grande, la plus juste et la plus noble qu’il soit : Dieu. Rien d’étonnant, dans ces conditions, d’entendre des adeptes de groupes terroristes l’utiliser avant de commettre un attentat visant, dans leur vision, des « ennemis » de l’islam et du monde musulman. C’est aussi une façon de se donner du courage avant d’actionner une ceinture d’explosif.

Faut-il voir dans cette formule une profession de foi ? Quel est son rôle exact ?

La formule « Allahu Akbar » n’est pas à proprement parler une profession de foi qui, dans la religion musulmane, consiste à affirmer qu’il n’est de Dieu que Dieu et que Mohamed est son ultime messager. Comme nous venons de le préciser précédemment, le sens de cette formule dépend fortement du contexte dans laquelle elle est utilisée. Si, et de façon très majoritaire, son sens fondamental est purement spirituel et tout orienté vers la célébration de la grandeur de la Transcendance, elle peut, néanmoins, contenir un caractère agressif, voire guerrier dans un contexte de confrontation. Mais un tel sens, cependant, reste extrêmement minoritaire au sein du monde musulman.

Force est de constater que « Allah Akbar » est aussi scandé par des terroristes et que ce cri provoque l’effroi chez de nombreuses personnes qui craignent un attentat quand ils l’entendent. Dans quelle mesure peut-on parler de cri de rassemblement guerrier, de cri de guerre ?

Nous avons dit, plus haut, que la formule « Allahu Akbar » incarne l’idée éminemment religieuse que Dieu est au-dessus de tout ce qui existe dans l’univers dans la mesure où Dieu est le Créateur de l’univers, dans la croyance musulmane évidemment. Historiquement, les premiers adeptes de l’islam, au VIIème siècle, ont été persécutés par les dignitaires polythéistes de la Mecque. Des conflits s’en suivirent durant lesquels ces primo-musulmans utilisèrent cette formule, non pas de façon agressive, mais pour rappeler aux polythéistes que leur croyance sont erronées et qu’ils devraient eux-aussi célébrer la grandeur de Dieu car Lui-seul mérite d’être vénéré. Aujourd’hui, les groupes fondamentalistes et extrémistes d’obédience islamique scandent « Allahu Akbar » pour signifier à l’Autre qu’il est tantôt un idolâtre se prosternant devant de faux-dieux, tantôt un individu hostile aux musulmans et à l’islam. Pour ces exaltés, la formule « Allahu Akbar » peut être, en effet, considérée comme un cri de guerre que nous qualifierons de sainte. Car dans l’esprit de ces sectaires ultra-violents, le slogan « Allahu Akbar » est comme une sorte de permis de tuer. C’est donc une façon de régler la question morale de la mise-à mort de l’altérité qui est tuée selon la volonté de Dieu. Notons que cette formule est aussi employée lors d’attentats suicides visant des courants musulmans jugés hérétiques par les organisations terroristes telles que DAECH, BOKO-HARAM et consorts.

La dimension violente de ce cri s’inscrit-elle aussi dans une certaine théologie ? A-t-il été scandé à des fins militaires ou terroristes par le passé, par exemple ou cet usage là est-il « nouveau » ? Auquel cas, entre-t-il en conflit avec la tradition musulmane ?

Fondamentalement, comme nous l’avions dit, d’un point de vue théologique, l’expression « Allahu Akbar » est avant tout spirituelle et célèbre la transcendance de Dieu et ce depuis l’avènement de l’islam. Elle n’a pas, dans son essence première, un caractère militaire ou guerrier mais comme cela a été précité, celle-ci, dans un contexte de conflictualité, peut s’employer pour se donner du courage ou pour rappeler que le combat qui est mené est celui du triomphe d’une cause considérée comme juste. Rappelons que durant les croisades, la formule « Deus lo vult », signifiant « Dieu le veut », était le cri de ralliement des armées croisées faisant face à l’ennemi Sarrasin. Ainsi donc, dans l’histoire des religions, on trouvera des utilisations guerrières de telle ou telle formule spirituelles. Concernant la formule « Allahu Akbar », son emploi violent est dénoncé par les grandes institutions de l’islam sunnite qui condamnent le terrorisme. Ce qui est fâcheux, cependant, c’est que ces grandes institutions font le lit de l’extrémisme musulman en condamnant l’athéisme ou l’apostasie. Or nombres de terroristes musulmans, en scandant « Allahu Akbar », tuent aujourd’hui en Occident dans l’optique de frapper l’hydre de la mécréance. Les choses sont donc plus complexes qu’il n’y parait. Un travail profond de relecture et de remise en cause doit être mené chez les détenteurs de l’orthodoxie religieuse afin de souffler un plus grand esprit de tolérance. Rappelons, qu’en 2017, une mère de famille égyptienne s’est vue retirée la garde de ses enfants par la Cour de justice de son pays pour cause d’athéisme. L’Égypte, officiellement, combat l’intégrisme islamique et l’islamisme… tout en l’alimentant… Un bien étrange paradoxe.

Que dit la loi, au sujet de celles et ceux qui seraient tentés de scander Allah Akbar ? S’exposent-ils à des sanctions ?

La formule « Allahu Akbar » étant de nature religieuse, aucun texte de loi n’interdit de la formuler dans un contexte religieux, lieux de culte, mosquée, salle de prières, etc. Et c’est heureux dans une démocratie libérale telle que la nôtre. Dans un espace public, et sachant le contexte de terrorisme d’Al-Qaïda et de DAECH qui a maintes fois ensanglanté et endeuillé notre pays, scander une telle formule est problématique pour le moins. Après avoir crié publiquement « Allahu Akbar », plusieurs individus, on le sait, ont été interpellés par la police. Ce fut le cas de cet homme d’une trentaine d’années qui en avril 2023, au Puy en Velay, a hurlé « Allahu Akbar » dans la rue.

En résumé, prononcer « Allahu Akbar » dans un contexte adapté, c’est-à-dire celui d’un espace clos, relève de la liberté de culte garantie par notre pays. Prononcer et surtout crier « Allahu Akbar » publiquement peut, on le comprend aisément, susciter un mouvement de panique et cela est, pour le moins, un trouble avéré à l’ordre public avec tout ce que cela implique en termes de sanctions allant de l’amende à l’emprisonnement.

Le Coran est-il un texte violent ?

Exhortations au combat, châtiments divins, descriptions apocalyptiques… Mis par écrit plusieurs années après la mort de Mohammed, le prophète de l’islam, en 632, le Coran contient une violence qui peut paraître difficilement compréhensible aujourd’hui. « Elle n’est toutefois pas majoritaire dans le texte coranique, qui insiste sur l’unicité de Dieu et l’imminence de la fin des temps », nuance Francesco Chiabotti, qui enseigne l’islamologie et l’histoire médiévale à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Aux côtés de versets belliqueux coexistent en effet des versets pacifistes, comme celui-ci : « Quiconque fait périr une vie humaine non convaincue de meurtre ni de corruption sur la terre, c’est comme s’il a tué l’humanité tout entière » (Coran 5, 32).

Il est indéniable que le Dieu du Coran présente souvent un visage rigoureux : il est dit « dominateur » (al-jabbâr), « redoutable » (shadîd)… Par ses châtiments, il punit ceux qui s’opposent à lui ou perturbent l’ordre du monde. « Il s’agit donc d’abord d’une violence restauratrice censée rétablir la paix entre les hommes et entre les hommes et Dieu », écrit Paul Ballanfat dans un article sur la violence dans le Dictionnaire du Coran (Robert Laffont, 2007). « La violence divine est toujours reliée aux idées de préservation, de justice et de paix », ajoute ce philosophe avant de préciser que le Dieu des musulmans, qui présente aussi un visage miséricordieux, est « celui en qui se nouent les contraires ».

Mais la violence qui s’exprime dans le Coran n’est pas uniquement le fait de Dieu. Les croyants ne sont-ils pas encouragés à « combattre dans le chemin de Dieu » et à « tuer les associateurs » (c’est ainsi que le Coran nomme les polythéistes, car ils « associent » à Dieu d’autres divinités) ? Chargés de défendre et propager la foi au Dieu unique, ils peuvent faire usage de la violence mais, précise le Coran, celle-ci n’est qu’un moyen : seule la paix (salam) est un but souhaitable. Il est en tout cas manifeste que, pour le locuteur du Coran, la violence fait partie de l’existence. De la même manière que la violence relatée dans l’Ancien Testament était le reflet des conflits sanglants qui opposèrent Babyloniens, Assyriens ou encore pharaons.

Mohammed était-il un chef de guerre ?

L’alliance comme la guerre entre tribus sont centrales dans l’Arabie du VIIe siècle, et le prophète de l’islam ne rompt pas avec ces pratiques. Sa prédication se fait en deux temps, selon la tradition musulmane : d’abord à La Mecque, où il n’est pas reconnu comme prophète, puis à l’oasis de Médine, où il se réfugie avec ses compagnons. C’est là que Mohammed, en butte à l’échec de sa prédication, opte pour la lutte armée.

L’islamologue Francesco Chiabotti voit là une « dimension épique » des récits sur le prophète, la sîra (biographie de Mohammed) valorisant ses faits d’armes et sa supériorité militaire. Or, toute la question est celle de la valeur historique de ces textes, transmis oralement pendant plus d’un siècle avant d’être mis par écrit à partir de la fin du VIIIe siècle, sous la dynastie des Abbassides. « Le calife abbasside avait besoin d’un prophète au visage belliqueux, pour en faire un miroir de sa propre capacité à remporter des guerres », explique Francesco Chiabotti. « Les textes rédigés à cette époque se sont appuyés sur des récits épiques que le Coran livrait déjà, mais de manière décousue et sans contextualisation. »

Comment les djihadistes justifient-ils leur violence ?

C’est sur cette biographie de Mohammed et sur l’abondante littérature composée par des juristes musulmans depuis l’époque médiévale que s’appuient aujourd’hui les mouvements djihadistes pour justifier leurs actes. « Tout ce que fait Daech est en théorie permis par le fiqh (la jurisprudence musulmane, NDLR) », affirme ainsi le théologien Mohamed Bajrafil. « Brûler, démembrer des combattants, réduire des femmes yézidies en esclavage, précipiter des homosexuels du haut d’un immeuble… » Les théoriciens musulmans, regroupés en différentes écoles, ont en effet disserté sur ces questions dans d’interminables traités.

Ils ont notamment cherché à régler les nombreuses contradictions internes au texte coranique. « L’une des règles qui s’appliquait était celle dite de ‘‘l’abrogeant et l’abrogé’’, selon laquelle les versets les plus tardifs abrogent les plus anciens », explique Hicham Abdel Gawad, doctorant en science des religions à l’Université catholique de Louvain (Belgique). « Or certains théoriciens ont considéré que le fameux verset de l’épée (Coran 9, 5 : « Tuez les associateurs où vous les trouverez », NDLR) était parmi les derniers à avoir été révélés. Il abrogeait donc d’autres versets plus pacifiques et considérés comme antérieurs. »

Les attentats et persécutions commis au nom de l’islam sont également les conséquences d’une lecture qui se revendique comme littéraliste du Coran, encouragée par l’essor du salafisme saoudien à partir des années 1970. D’autres lectures ont pourtant existé dès les premiers siècles de l’islam, laissant plus de place à l’interprétation.

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