AB Productions, une saga télé ». Du « Club Dorothée » à « Hélène et les garçons », le producteur fantasque et prolifique a régné pendant quinze ans sur les programmes jeunesse.

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Dans son grand bureau de la rue des Bretons, à Saint-Denis, Jean-Luc Azoulay, cofondateur d’AB Productions, nous présente les photos souvenirs accrochées aux murs. « D’abord, vous remarquerez qu’il n’y a que des femmes ! » Ah, Jean-Luc Azoulay et les femmes ! Dorothée, Hélène, Emmanuelle (chanteuse regrettée du générique de Premiers Baisers)… Elles ornent son bureau comme elles ont jalonné sa vie. Mais il y en a une qui a compté plus que les autres, par qui tout a commencé et qu’il continue de regarder avec les mêmes yeux d’adorateur que quand il était jeune homme : Sylvie Vartan.

Lorsqu’il la découvre à la radio, Jean-Luc Azoulay est un étudiant en médecine d’à peine 18 ans, arrivé en France trois ans auparavant, en 1962, de son Algérie natale. Le coup de foudre est tel qu’écouter ses chansons ne suffit pas, il faut qu’il l’approche. L’ancienne idole yéyé se souvient très bien de leur première rencontre : « C’était en bas de l’appartement où nous vivions, Johnny et moi. Il y avait une bande qui était toujours là à nous attendre, ils se relayaient, certains allaient et venaient et Jean-Luc était un régulier. Il m’intriguait parce qu’il était un peu différent des autres, portait cravate, chemise, parfois une sorte de cartable. Il était très discret, poli. » Ce qui ne l’empêche pas de prendre l’ascendant sur la bande, de monter le fan-club de la chanteuse puis de devenir l’assistant de son secrétaire – qui n’était autre que Carlos –, avant de le remplacer quand celui-ci se lance dans sa propre carrière.

Fini la médecine, bonjour les paillettes et les tournées mondiales. Les dix ans qu’il passe à ses côtés seront fondamentaux : « Avec Sylvie, j’ai fait le tour du monde, j’ai tout vu. Les sitcoms, je les ai vues aux Etats-Unis, les mangas, je les ai vus au Japon. J’ai trouvé ça bien et je me suis demandé pourquoi on ne le faisait pas en France », rembobine-t-il un demi-siècle plus tard.

La messe de Jean Paul II en 33-tours

C’est grâce à elle qu’il rencontre celui qui sera son complice et le cofondateur de la maison qui régnera sur le divertissement jeunesse à la fin du XXe siècle, Claude Berda, le « B » de AB. De sept mois son aîné, il est d’origine tunisienne par son père, qui a cofondé l’entreprise de prêt-à-porter des Créations Sylvie Vartan, en 1965. Lui n’est encore qu’étudiant mais s’est déjà fait remarquer en privatisant sans autorisation une salle de l’université Paris-Dauphine pour y vendre des jeans.

En 1976, Sylvie Vartan émigre aux Etats-Unis, Jean-Luc Azoulay reste en France et se reconnecte avec Claude Berda. Les deux hommes, qui partagent une passion pour la musique populaire, décident de se lancer : le premier titre qu’ils produisent est une version disco de la chanson Mustapha (« Chérie je t’aime, chérie je t’adore… ») qui rencontre un succès modeste. Ils ont fondé AB Productions mais leur affaire ne décolle pas.

Un soir, alors qu’ils phosphorent dans l’appartement parisien de Claude Berda, ce dernier se demande à haute voix qui est la personne la plus connue qu’ils pourraient produire. Jean-Luc Azoulay répond par une boutade : « Et pourquoi pas le pape ? » Ni une ni deux, Berda appelle le Vatican le lendemain et décroche un rendez-vous avec un cardinal, alors que Jean Paul II vient juste d’être intronisé. Le 33-tours à la pochette rouge qui sort en 1979 avec une photo du pape et intitulé « La Messe en français » est bien sûr encadré en bonne place dans le bureau actuel de Jean-Luc Azoulay.

Au mur, photo de groupe des équipes AB réalisée en 1994 ; sur l’étagère, « Club d’or » 1991, dans le bureau de Jean-Luc Azoulay, à La Plaine-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), le 3 juin 2024.

La légende dit que ce fut leur premier gros succès, qui a rendu la suite possible. Ce n’est pas tout à fait exact : selon un témoin de cette période, le disque s’est mal vendu en France et la fortune vient en réalité de la revente de la licence aux Etats-Unis. C’est comme ça avec AB, la légende prend parfois un peu le pas sur la vérité, surtout avec ce hâbleur sans pareil qu’était Claude Berda.

Quel duo que ce A et ce B ! Des inséparables qui passaient leur temps à se disputer mais jamais pour de vrai, qui ne cessaient jamais leur ping-pong d’idées aussi loufoques que géniales, pour le plus grand plaisir de ceux qui les ont côtoyés. D’un côté, le créatif introverti, capable d’écrire des kilomètres de programmes farfelus ; de l’autre, le businessman exubérant qui passait ses journées à négocier au téléphone. « Ils étaient complémentaires, le yin et le yang, les opposés. Ils s’adoraient et ils se chamaillaient, aussi complices que productifs », résume aujourd’hui Dorothée.

Contrôle total

Dorothée, justement : après Sylvie Vartan, l’animatrice d’émissions pour enfants devient la nouvelle muse de Jean-Luc Azoulay quand il la découvre par hasard à la télévision, début 1979, sur Antenne 2. Il veut la faire chanter, elle n’est pas emballée. Mais quand Azoulay a une idée en tête… En 1981, la version française du générique du dessin animé Rox et Rouky, dont il a lui-même écrit les paroles, est le premier vrai succès d’AB Productions, avec plus d’un million de disques vendus. L’année suivante, Hou ! La menteuse, toujours écrite par lui, transforme l’essai avec 1,3 million de ventes. Le TGV d’AB Productions est cette fois bien lancé, entraîné par la locomotive infatigable qu’est Dorothée. Les concerts et spectacles s’enchaînent, les gamins hurlent les chansons, qu’ils connaissent par cœur. Des paroles à la mise en scène, tout est conçu par un certain Jean-François Porry, l’un des pseudos de Jean-Luc Azoulay, qui contrôle tout en coulisses.

En 1987, TF1 à peine privatisée débauche Dorothée et offre à AB la responsabilité des émissions jeunesse. Le 2 septembre, le « Club Dorothée » démarre en direct et avec un problème technique, qui n’augure en rien du succès de l’émission pendant dix ans.

En quelques mois, Dorothée fait basculer l’audience vers TF1 et « Récré A2 » ne survit qu’une saison après son départ. Les parts de marché du « Club Do’ » oscillent entre 40 % et 60 % et les productions AB s’étalent de plus en plus dans la grille des programmes, jusqu’à 22 heures par semaine. « C’était la folie ! », se souvient Dorothée. « Dans tous les sens du terme : les horaires, la quantité d’émissions, les concerts, les disques, tout en même temps… », et toujours orchestré par Azoulay.

Parti d’un noyau de cinq salariés en 1985, AB Productions atteint un pic en 1993-1994 avec 1 500 fiches de paie, un bilan financier estimé à un milliard de francs avec les filiales, 50 000 mètres carrés de locaux à Saint-Denis et une dizaine de plateaux de tournage. C’est l’effervescence de l’aube jusqu’à la nuit et il n’est pas rare que les salariés dorment sur place. Idem pour Jean-Luc Azoulay, qui se fait construire en 1993 un véritable chalet canadien de 200 mètres carrés sur le toit de l’immeuble AB, avec porche en bois, jardin et piscine.

Azoulay est aussi présent que Berda est dans l’ombre. Il surveille tout, se mêle de tout, sans jamais s’énerver. A tel point qu’il finit par gagner un surnom, qu’il ne désapprouve pas : « Dieu ». Dans son bureau, il fait installer un mur de quarante écrans qui lui permet de contrôler tout ce qu’il se passe sur les plateaux d’AB. Quand un comédien de sitcom devient trop capricieux, il le fait disparaître du scénario en envoyant son personnage en Finlande, qu’il voit comme le « pays de la fin ».« La différence entre Dieu et Jean-Luc, c’est que Dieu ne se prend pas pour Jean-Luc », raillent certains dans les couloirs.

Producteur démiurge

Il veut tout connaître de la vie sentimentale de ses comédiens et n’hésite pas à injecter certaines de leurs anecdotes dans ses sitcoms, qu’il écrit à la chaîne. On le dit manipulateur, gourou… Avec le temps, les adjectifs se sont adoucis et ceux qui travaillent encore avec lui le décrivent maintenant comme un « mentor », un « protecteur ». Le producteur démiurge s’immisce même de manière subliminale dans le générique du Club Dorothée : on l’entend dans les chœurs en écho et il fait la voix de Sahara, le (vrai) dromadaire extraterrestre qui envoyait les animateurs en mission.

Tandis que le « Club Dorothée » décline doucement, AB Productions continue de grossir en avalant Hamster, qui produit Navarro, Julie Lescaut et L’Instit. TF1 commence à froncer les sourcils et se fâche pour de bon quand les producteurs deviennent des concurrents en lançant leur propre bouquet de chaînes avec AB Sat. C’en est trop, le « Club Dorothée » est débranché le 30 août 1997, signant la fin de l’âge d’or d’AB. Ses fondateurs se séparent en 1999 : Berda prend la tête d’AB Groupe et continue le développement de chaînes avant d’aller faire de l’immobilier en Suisse, où il réside toujours ; Azoulay reste dans la production audiovisuelle et fonde JLA Productions. Discrètement, mais sûrement, il se reconstitue un empire dans un style plus varié : il produit Josée Dayan, qui adapte à la télé Les Liaisons dangereuses (2003) et Les Rois maudits (2005), avant de lancer Camping paradis, qui fête ses 18 ans cette année. Son groupe comprend également les sociétés qui produisent les séries Munch, avec Isabelle Nanty, ou Le Remplaçant, avec Joey Starr. Aujourd’hui, il reconnaît sans détour être « riche » mais sans plus, car il assure que « l’argent n’est pas [sa] motivation primaire ».

A bientôt 77 ans, celui qui « aime [se] raconter des histoires » depuis tout petit a gardé un côté excentrique qu’il canalise dans Les Mystères de l’amour, dernière série de sa plume encore à l’antenne. Il ne compte pas ses heures de travail et n’a pas non plus ralenti sa consommation de tabac, fumant facilement son paquet de cigarettes menthol par jour, celles avec la bille dans le filtre qu’il faut casser avec les dents et qui ont été interdites en Europe. Sur son bureau, elles côtoient un pot avec des stylos en forme de pistolet et un autre, cadeau de sa secrétaire, en forme de pénis. « Je signe mes contrats avec, ça m’amuse », nous dit-il tout sourire devant notre air circonspect. Il a aussi un buzzer qui fait non – « pour quand on me demande une augmentation » – et, dans une vitrine, la collection de la vingtaine de téléphones portables qu’il a possédés, en tant que geek avant l’heure.

« Il est resté le même, il a un côté gamin qui est très sympathique, il ne se prend pas au sérieux, c’est un homme de cœur », dit de lui Sylvie Vartan, qui le considère comme un « ami de la première heure ». « Un mot pour le décrire ? “Fou” ! », s’exclame Dorothée. « Un génie fou, dans la démesure du drôle, du sérieux, du nombre d’heures de travail… Un gentil bon fou qui ne s’arrête jamais. » Un peu fou, un peu « Dieu », un producteur comme on n’en fait plus qui a créé de toutes pièces un univers fictionnel qui a marqué une génération, celui des sitcoms AB.

« Hélène et les garçons », une histoire sans fin : « On finira par faire “L’Ehpad de l’amour” ! »

Intérieur jour, bureau de Nicolas. Christian, soucieux, se confie à son ami : « Tu en penses quoi de mon histoire ?

– C’est à toi de décider, qu’est-ce que tu ressens ?

– Je n’en sais rien, je l’ai revue hier et dans ma tête, ce n’est plus clair…

– Tu l’aimes, elle t’aime, on s’en fout de la différence d’âge !

– Oui tu as raison, je suis un imbécile, mais je le comprends trop tard. »

La scène pourrait trouver sa place dans un épisode d’Hélène et les garçons, la sitcom culte d’AB Productions qui a fait connaître ces personnages de Nicolas, l’ami sage et raisonnable, et « Cri-Cri », le rockeur au cœur tendre. Sauf que le premier n’arbore plus ses cheveux longs bien peignés et le second n’a plus vraiment une gueule de jeune premier, et pour cause : nous sommes devant le 871e épisode des Mystères de l’amour, la suite de la suite de la suite d’Hélène et les garçons, diffusé le 10 mars 2024 sur TMC.

Depuis le 11 mai 1992

Ils sont arrivés le 11 mai 1992 sur la première chaîne et ne sont pratiquement jamais sortis du petit écran depuis, réfugiés aujourd’hui sur la chaîne TNT du groupe TF1 qui diffuse leurs nouvelles aventures le dimanche soir. A part Johanna (Rochelle Rodfield) et José (Philippe Vasseur), parti fin 2023, le casting des débuts est fidèle au poste : Nicolas, Christian, mais aussi Etienne, Cathy, Laly, Bénédicte… et l’indétrônable Hélène.

Hélène Rollès, qui, à 57 ans, a gardé son regard doux et ses longs cheveux blonds, est restée le pilier, même si son nom a disparu de l’intitulé du programme en 1995. Cette année-là, Hélène… est devenu Le Miracle de l’amour : même casting, mêmes lignes de dialogues irréalistes ponctuées de rires enregistrés, transposés dans une colocation au cœur d’une grande maison. En parallèle, France 2 a lancé Seconde B, autre série (non produite par AB) sur les jeunes qui se veut plus ancrée dans la réalité, mais ne connaîtra jamais le même succès – et qui a aussi mal vieilli, si ce n’est plus.

Héléne Rollès et Patrick Puydebat lors du tournage de la série « Les Mystères de l’amour », en septembre 2021, à Cergy (Val-d’Oise).Héléne Rollès et Patrick Puydebat lors du tournage de la série « Les Mystères de l’amour », en septembre 2021, à Cergy (Val-d’Oise).

En 1996, nouvelle mutation : la sitcom de TF1 sort enfin des décors en studio quand la troupe s’envole aux Antilles pour continuer ses aventures avec Les Vacances de l’amour, sur une tonalité plus adulte et plus dramatique. Après plus de dix ans de vie commune sous les tropiques, les acteurs se retrouvent sur le carreau, en 2007, quand TF1 stoppe la diffusion.

Leur retour quatre ans plus tard dans Les Mystères de l’amour est à mettre au crédit de Patrick Puydebat. Après avoir vécu un temps à Bali, l’acteur qui prête ses traits à Nicolas revient en France en 2010 et tourne en rond : il pense qu’il y a encore un fil à tirer de la pelote, mais Jean-Luc Azoulay, le producteur, n’y croit pas. « J’étais très insistant, je l’ai tanné pendant trois mois, je lui ai dit qu’on serait les premiers à tenter un tel retour et comme c’est un homme de challenge, il a fini par me dire “O.K., mais tu t’en occupes” », se remémore le comédien. Il rappelle ses anciens camarades : « Tout le monde était enthousiaste. »

« J’ai dit oui de suite, c’était une évidence, c’est la famille ! », relate Tom Schacht, alias Jimmy depuis Le Miracle. Sébastien Roch (Christian), qui avait quitté Hélène et les garçons en plein succès avant de revenir pour la dernière saison des Vacances, n’a pas hésité non plus : « Je me suis dit : O.K., c’est mon karma, on est destinés à ce truc et ça ne s’arrêtera jamais. »

Même Hélène, qui n’a jamais caché son peu de passion pour ce métier, s’est laissé convaincre. Entre deux prises expédiées rapidement dans la grande maison de Cergy (Val-d’Oise) qui sert de décor principal aux Mystères, elle confie venir sur le tournage comme en « vacances » : « Maintenant, on profite, j’adore être là avec mes amis, c’est surtout pour ça que je suis ici, plus que pour tourner. » Elle aussi s’est résolue à embrasser son destin : « On finira par faire “L’Ehpad de l’amour”, comme dit Patrick ! »

« On se connaît par cœur, cette aventure humaine est folle, jamais une distribution n’a tenu aussi longtemps, c’est rigolo », s’étonne encore Patrick Puydebat, qui passe chaque été un bout de vacances avec Laure Guibert (Bénédicte) et considère Hélène Rollès comme sa « sœur ».

Le n’importe quoi le plus total

On pourrait trouver ça pathétique, cette bande de quinquagénaires qui semblent n’avoir guère évolué, jouant le même disque depuis trente ans. Mais la longévité force le respect. Au casting historique – « préhistorique ! », dixit Laure Guibert – se sont ajoutés des repêchés d’autres productions AB (Mallaury Nataf du Miel et les abeilles, Bradley Cole des Filles d’à côté, Carole Dechantre de La Philo selon Philippe…).

Depuis le temps, Hélène et ses amis ont digéré la folie des débuts qui les a fait passer du jour au lendemain au statut d’idoles aussi adorées (de 4 à 6 millions de téléspectateurs quotidiens et des émeutes à chaque apparition publique) que vilipendées par une partie de la presse. Si, à l’époque, les acteurs eux-mêmes méprisaient un peu cette sitcom, ils sont aujourd’hui beaucoup plus apaisés et lucides sur ce qu’ils représentent, à l’instar de Sébastien Roch. « Pendant longtemps, ça m’emmerdait et, avec le temps, j’ai compris que les gens ont besoin de ce romantisme, même premier degré », concède l’interprète de Christian, âgé de 51 ans. « J’ai évolué, je suis père de famille, je vois que les programmes que consomme ma fille sont très purs et cette pureté est importante. Il y a des gens qui gardent ça en eux, comme les fans de Disney qui ont 40 ans, on peut trouver ça ridicule, mais ça existe. »

Laure Guibert, qui travaillait à l’origine sur les décors après avoir fait les Beaux-Arts de Rennes, se dit maintenant « complètement tranquillisée » face aux critiques et mesure sa chance : « Beaucoup de gens souffrent au travail, ont des boulots pénibles, n’ont pas de temps pour leur vie privée… Moi, c’est tout l’inverse. On m’amène un travail, je ne me décortique pas la tête dans tous les sens, et j’ai une production artistique personnelle à côté qui me laisse libre de faire ce que j’aime. »

De gauche à droite : Laure Guibert, Hélène Rollès, Patrick Puydebat, Laly Meignan, Sébastien Roch et Elsa Esnoult, les acteurs de la série « Les Mystères de l’amour », en 2021.De gauche à droite : Laure Guibert, Hélène Rollès, Patrick Puydebat, Laly Meignan, Sébastien Roch et Elsa Esnoult, les acteurs de la série « Les Mystères de l’amour », en 2021.

Qu’importe si Les Mystères ont dérivé vers le n’importe quoi le plus total, avec des histoires sans queue ni tête, des rebondissements invraisemblables, des enfants cachés à n’en plus finir, des amoureux en trouple, un personnage à double personnalité, un autre qui a des visions du futur… Sur le tournage, à Cergy, personne ne s’étonne que l’épisode du jour relate un énième enlèvement d’un personnage, en l’occurrence Nicolas. On ne compte plus les scènes avec des prises d’otages attachés à un radiateur dans un sous-sol (qui finissent toujours bien, évidemment). « Certaines choses nous paraissent folles, mais c’est aussi ce qui fait la magie de la série, on est dans une espèce de monde parallèle. C’est un concept qu’on a mis du temps à intégrer et aujourd’hui on en tire une certaine fierté, qu’on n’avait pas forcément au début », admet Patrick Puydebat.

Si chaque nouvel épisode réunit environ 500 000 téléspectateurs, ce n’est de toute façon pas pour la finesse des dialogues. « Si je continue de regarder c’est parce que cette série ne ressemble à aucune autre », explique Bruno Delasitco, 39 ans, qui fait partie des aficionados : « Les Mystères, c’est Jean-Luc Azoulay, ses délires et ses fantasmes, avec plein de scènes de fétichisme du pied, d’innombrables situations malaisantes, rocambolesques, voire ridicules, sortant de l’imagination fertile de l’auteur. » Comme lui, un autoproclamé « noyau dur des déglingués » se retrouve le dimanche sur X pour commenter l’inédit de la semaine avec ironie, mais assiduité.

Jean-Luc Azoulay ne s’en offusque pas, au contraire. Le créateur des Mystères et père fondateur des sitcoms AB assume cette folie qui le laisse aller toujours plus loin dans ses idées absurdes. Le personnage historique de José Da Silva s’en va ? Il le remplace par un autre, qui s’appelle aussi José Da Silva, qui lui ressemble un peu et que les autres appellent « le nouveau José ». Un des personnages, policier, porte le nom de Claude Guéant quand le précédent s’appelait… Manuel Valls. « Les Mystères, ce n’est pas du tout une série plan-plan, c’est pour moi la série la plus surréaliste, déjantée du monde. Elle est à la fois cucul, branchée, non branchée, c’est un ovni », crâne-t-il.

La force de la nostalgie

Les plus choqués par son imagination sont finalement les acteurs, comme quand Hélène Rollès a trouvé « horrible » que le personnage de son père épouse en secondes noces Anette, la meilleure amie de sa sœur Justine : « Quand j’ai vu que Jean-Luc avait écrit ça, ça m’a fait un choc, je lui ai dit qu’il était taré ! Il délire beaucoup, parfois trop. »

Si TMC a abaissé la commande de deux à un épisode hebdomadaire, la série continue de trouver son public, après treize ans d’existence, portée par une force puissante : la nostalgie. « Vous pourriez nous faire jouer n’importe quoi, ça fonctionnerait, car, de toute façon, ça joue sur l’affectif, il y a un lien indéfectible », assure Sébastien Roch. « Jamais je n’arrêterais de les suivre, je les aime trop, aucune autre série n’aura cette place particulière dans mon cœur », confirme Guillaume Leroy, 42 ans, qui suit la bande depuis 1992.

Alors, pourquoi changer une méthode qui marche ? Chez Jean-Luc Azoulay, pas d’armada de scénaristes, pas de dialoguistes, pas d’« arche » scénaristique réfléchie à l’avance : il écrit tout lui-même, en dictant à son assistante, comme ça lui vient, au fil de la plume.

« Il y a trop de passif. Personne ne connaît aussi bien que moi les personnages, tout ce qui s’est passé, leurs histoires, leur background… », justifie-t-il. La série étant diffusée quasiment sans interruption toute l’année, cela lui impose un rythme de travail très soutenu, mais il a beau aller sur ses 77 ans, il ne s’en plaint pas. Quand on lui demande jusqu’à quand ça va durer, il compte sur ses doigts et répond, taquin, qu’il compte bien arrêter un jour… « en 2084 ».
Le Monde 

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