SI SEULEMENT le Royaume savait vers quelle direction se tourner. La semaine dernière, le roi Abdallah de Jordanie s’est rendu à Moscou pour rencontrer Vladimir Poutine, le président russe, pour discuter de la façon de stabiliser la Syrie toujours sous la domination de Bashar al-Assad. Cette semaine, il s’est rendu à Washington, désireux d’expliquer comment la Jordanie pourrait aider le président Donald Trump à mettre en œuvre son idée de redessiner la Syrie en zones stables et sécurisées.

Jouer les grandes puissances les unes contre les autres est depuis longtemps une marque de fabrique hachémite. Le grand-arrière-grand-père du roi Abdallah, le Sharif de la Mecque, s’était associé aux empires ottomans et britanniques avant de se décider pour les britanniques plus offrant. Avant l’invasion de l’Irak en 2003, le roi Abdallah avait reçu des émissaires de Saddam Hussein et du président George W. Bush, puis avait vendu son soutien au plus offrant.

Alors que la source de financement de l’Arabie saoudite se tarit, le roi (via les Russes) est en contact avec les Saoudiens, l’Iran, dont les forces militaires opèrent à ses frontières avec la Syrie et l’Irak. Par le passé, il avait déjà tiré la sonnette d’alarme sur un «croissant chiite» qui étendrait l’influence de l’Iran jusqu’à la Méditerranée; Maintenant que ses craintes se matérialisent, revoilà le roi sur le devant de la scène.

Un tel réalisme va à l’encontre des conseils d’un groupe de réflexion à Washington qui, l’année dernière, l’a appelé à créer «la Grande Jordanie» en incorporant «des éléments de l’Irak et de la Syrie» dans son royaume. Les territoires sans gouvernance, auraient hérité d’un monarque pro-occidental, affirmait l’Institut de Washington pour la politique du Proche-Orient, ce qui repousserait l’Iran vers l’ouest. En contrepartie, la Jordanie gagnerait deux grands fleuves, des champs pétrolifères et de grands gisements de phosphates.

Mais le roi Abdullah connaît les dangers de la surenchère. Au cours du siècle dernier, les Hashemites se sont donné le nom de Rois des Arabes, mais ils ont perdu deux capitales importantes, Damas et Bagdad, et les trois lieux les plus saints de l’Islam, La Mecque, Médine et Jérusalem. Le grand-père du roi, Abdullah I,  pestait d’avoir été relégué en confinement dans un royaume désertique, comme «un faucon dans la cage d’un canari». Mais il a perdu la moitié de la Palestine, et son fils, le roi Hussein, a perdu ce qui en restait. En revanche, le roi actuel est le premier monarque « avec des ambitions non pas régionales, mais jordaniennes », explique Oraib Rantawi, un analyste politique.

Prenez la Syrie, par exemple. Le roi Abdallah a été le premier dirigeant arabe à exhorter M. Assad à quitter le pouvoir. Grâce à la générosité saoudienne et qatari, il a canalisé des renseignements, des armes et de l’argent pour soutenir les rebelles dans le sud de la Syrie. Mais les combats ont eu pour conséquences d’amener un million de réfugiés en Jordanie, de sorte que les priorités se sont déplacées pour ne plus être offensives contre le régime, mais consacrées à la défense des frontières du royaume, des djihadistes de tous bords dont beaucoup d’origine jordanienne. A quelques exceptions près, les rebelles du « front sud » de la Syrie ont lutté contre le régime pendant près d’un an.

Certains Jordaniens caressent toujours l’idée de se déployer sur e front sud afin de créer une zone tampon sécurisée de 10 km de large sur le flanc de la frontière syrienne, ce qui pourrait aller dans le sens des idées  de M. Trump sur la protection des frontières. Cela permettrait au Royaume de se protéger de l’entrée de davantages de réfugiées sur son sol ainsi que de l’État islamique, dont les kamikazes ont frappé sa frontière quatre fois depuis l’été, et encore la semaine dernière.

Mais des généraux jordaniens supérieurs suggèrent de coopérer avec les forces de M. Assad. Si le Front Sud se retirait de Nassib, un ancien poste frontière qui est maintenant fermé, la Jordanie pourrait rouvrir son passage au nord. Si l’autoroute du nord au sud était à nouveau dans les mains de M. Assad, le commerce pourrait reprendre entre la Turquie et le Golfe, en passant par la Jordanie. L’économie de la Jordanie pourrait alors tirer profit de la reconstruction éventuelle de la Syrie.

En Irak aussi, la Jordanie cherche à défendre ses intérêts. Des Irakiens riches qui ont décampé du pays pour se réfugier à Amman, après l’invasion américaine de 2003, ont contribué à transformer la capitale jordanienne en une des villes à la croissance la plus rapide de la région. Vivant dans des manoirs, des sheiks tribaux sunnites exilés d’Anbar, province occidentale de l’Irak, ont lancé des appels sur leurs réseaux satellites pour établir une « iqlim », ou région autonome pour les Arabes sunnites, comme les Kurdes l’ont fait. Reliés à la Jordanie, ils construiraient ensemble un rempart sunnite contre l’avancée de l’Iran vers l’ouest. Mais le commerce de la Jordanie avec Anbar pèse peu, par rapport à la rentabilité potentielle de liens avec l’Irak dans son ensemble. Un accord bilatéral pour construire un pipeline allant des champs de pétrole de Basra au port d’Aqaba en Jordanie, promet de transformer le royaume une région stratégique de premier plan en matière d’énergie.

En ce qui concerne la Palestine, le roi Abdallah est le plus prudent de toute la dynastie. Les nationalistes palestiniens ont tué son grand-père après que ce dernier ait partagé Jérusalem avec les sionistes en 1948. Son père, Hussein, a survécu à une révolte palestinienne en septembre 1970. Abdullah préfère rester à l’écart de la mêlée. La Jordanie d’abord, dit-il aux Palestiniens qui composent la majeure partie de sa population, rejetant un plus grand rôle à jouer dans les territoires disputés. Mieux vaut être un faucon en cage qu’un oiseau abattu en plein vol.

The Economist De l’édition imprimée | Moyen-Orient et Afrique
2 février 2017 | AMMAN traduction Jforum

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