Cinq semaines après le coup d’État raté et les demandes incessantes d’Ankara pour que les États-Unis extradent l’ex-imam Fethullah Gülen, l’intervention armée dans le nord de la Syrie risque d’envenimer des relations américano-turques déjà fort tendues, préviennent des experts.

Car sur le théâtre de guerre syrien, qui s’est complexifié et internationalisé, Washington soutient la principale milice kurde de Syrie, le Parti de l’union démocratique (PYD) et son aile militaire YPG. Or la Turquie se bat contre les Kurdes sur son sol et ne veut pas voir les Kurdes syriens étendre leur territoire le long de sa frontière.

Pour Ankara, les PYD/YPG sont des groupes « terroristes », comme le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), mouvement armé actif depuis 1984 en Turquie. Aux yeux de Washington, le PKK est également « terroriste », mais pas les PYD/YPG. Déterminée à arrêter leur progression en Syrie, la Turquie a donc tiré des obus jeudi soir sur les combattants kurdes, au lendemain de la reprise à l’EI, par des rebelles syriens, de la ville de Jarablous.

Ankara avait lancé ses blindés mercredi, jour de la visite de réconciliation en Turquie du vice-président américain Joe Biden. Malgré le coup de froid des derniers mois, Washington ne cesse de vanter l’« alliance » et « l’amitié » entre les deux membres de l’Otan, en principe main dans la main au sein de la coalition internationale antijihadiste.

« Jeu d’équilibriste »
L’émissaire du président Barack Obama pour cette coalition, Brett McGurk, a résumé jeudi en deux tweets le jeu d’équilibriste de Washington face à Ankara. « Nous soutenons notre allié turc au sein de l’Otan pour protéger sa frontière des terroristes de l’EI », a écrit le diplomate américain, ajoutant que les États-Unis « soutenaient également les Forces démocratiques syriennes (NDLR : une alliance de Kurdes et d’Arabes) qui ont prouvé qu’on pouvait compter sur elles contre l’EI ».

Depuis des mois, la diplomatie américaine réussit donc le grand écart entre son alliance avec Ankara et son appui militaire aux Kurdes syriens contre les jihadistes. « Cette coopération entre les États-Unis et les Kurdes syriens est depuis longtemps un gros contentieux avec la Turquie, même si elle l’a tolérée », explique Mervé Tahiroglu, chercheuse au centre d’analyse Foundation for the Defence of Democracies (FDD). Mais lorsque cette semaine « les Kurdes (syriens) ont traversé l’Euphrate, cela a été une ligne rouge pour la Turquie », décrypte la spécialiste.

De fait, comme Ankara le réclamait, M. Biden a fermement demandé mercredi aux forces kurdes syriennes de ne pas franchir l’Euphrate vers l’ouest et de se retirer à l’est de cette rivière. Pour Mme Tahiroglu, le régime du président Recep Tayyip Erdogan « a décidé de montrer aux États-Unis qu’il pouvait mener également ses propres opérations » militaires, hors de la coalition. Pour autant, la Turquie n’est « pas prête à abandonner son partenariat avec les États-Unis et l’Otan », estime l’analyste.

« Excuses » de Biden
Reste que le coup d’État avorté du 15 juillet a laissé des traces : Ankara reproche à Washington son manque d’empathie et exige l’extradition de M. Gülen, exilé aux États-Unis et accusé d’avoir ourdi le putsch. M. Biden a dû présenter ses « excuses » pour ne pas être venu « plus tôt » et a réaffirmé que son administration n’avait « jamais eu une connaissance préalable » du coup d’État « ou une quelconque complicité », comme l’avaient laissé entendre des responsables turcs.

Pour l’ancien député turc Aykan Erdemir, analyste à la FDD, c’est un signe de la vague « antiaméricaine et antioccidentale » qui s’est soulevée ces dernières semaines dans les médias gouvernementaux turcs. « La Turquie évolue vers ce que j’appellerais un modus operandi moyen-oriental », dénonce-t-il.
Alors la venue du vice-président américain à Ankara permettra-t-elle de réconcilier les alliés ? « La Turquie doit reconnaître les bénéfices de son alliance avec l’Occident et cesser de courir après les fantômes de théories du complot », répond Kemal Kirisci. Et « les États-Unis doivent se rappeler que la Turquie est une alliée de longue date de l’Occident, même si elle est difficile », écrit l’expert dans un article de son centre de recherche Brookings Institution.

Nicolas revise

OLJ

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