13 ans déjà que je vis à Jérusalem. Plus d’un bail plein, 3/6/9. Les années défilent à une vitesse qui commence à m’angoisser un peu, même s’il faut bien se faire une raison, l’immortalité n’est pas encore pour tout de suite.

Qu’ai-je appris de ces années? Israël est-il vraiment un pays à part? Pourquoi 10% des gens ratent leur Alyah, depuis peu on parle de 20% voire plus, et repartent si aigris; et pourquoi les 90% autres ne repartiraient pas pour tout l’or du monde en dehors d’Israël? Et tant d’autres interrogations essentielles sur notre rapport à notre terre.

De ces treize années, au fond, je n’ai appris qu’un tout petit « truc »: Israël est bien un pays à part; c’est le seul pays où je suis chez moi. Et cette notion de « chez moi » est, lorsqu’on la vit, d’une importance considérable.

13 ans en Tunisie qui s’achevèrent par plus de 100 000 excités dans les rues qui hurlaient « égorgez les juifs », après tant de querelles, de frustrations mineures mais lancinantes à notre égard.

Puis 36 ans en France, qui débutèrent par un sale type faisant une queue de poisson à mon père et, sortant de sa voiture, le frappe sous les cris de « sale juif ». 36 années égrenées de belles, magnifiques rencontres, découvertes de la vraie humanité de certains non-juifs.

Mais aussi de toutes ces mesquineries, ces ignominies à l’égard de ma génétique inférieure, de mon supposé nez crochu, ou de ma radinerie légendaire décriée par celui qui n’offrait pas un café à ses copains une seule fois dans toute l’année.

« T’es pas un peu parano? »

A vivre tout ça, on ne se fait pas une carapace. Au contraire, on devient de plus en plus vulnérable. Le moindre mot ambigu et vous êtes tout de suite aux aguets, pour deviner si le voisin de table au restaurant est, lui aussi, un affreux Maurassien, ou neo-nazi. Puis, les gens vous disent « t’es pas un peu parano? ».

Mais bien sûr que je le suis! Que croyez-vous donc? Qu’après toutes ces années où j’ai épié le plus petit geste d’un seul français avec qui j’avais des rapports professionnels ou amicaux pour savoir si, au tréfonds de son âme, il n’y avait pas une trace de saleté, de pourriture, de crachat de ce venin des vieux missels.

Mais je n’ai aucune honte à le dire: je suis totalement parano, je le revendique, et c’est vous mes amis qui avez fait développer en moi cette insupportable pathologie. Vous avec vos « fais pas le juif! » « tu sais bien que tes ancêtres ont tué le christ! » « ouais, on sait bien que vous vous aidez tous entre vous ! »

Puis un jour, alors qu’on a construit toute sa vie en se disant « je ne suis pas chez moi », et ce malgré les vraies amitiés qu’on vit, la richesse de certaines rencontres, malgré la beauté inouïes des objets, des rues, des sites, des mers. Et Hachem décide d’ouvrir pour vous seul la Mer Rouge. De vous faire traverser cette portion d’eau salée qui sépare votre passé de votre futur. Ce passé si riche de souvenirs faits de couleurs violentes, de mélange de mon Orient de bord de mer, avec son jasmin et son thé aux pignons; puis saut dans l’espace, le temps, et la culture.

Creuset aussi tonique voire fou entre mon Lycée-château Jean Baptiste Corot, cerné de douves, le Musée du Louvre , et les retrouvailles tunisiennes entre le volley au bois de Boulogne, et les beignets de la rue ramponneau. On se sait plus où l’on est, mais on n’est en aucun cas chez soi.

« Ça se passe bien? »

Voilà donc ces premiers pas sur cette terre promise. Hésitants, comme ceux d’un enfant. Des erreurs, quelques pièges, beaucoup d’énervements, de temps perdu. Mais au fil du temps, on ne sait pas ce qui se passe mais on se sent bien, de mieux en mieux. On ne sait pas bien pourquoi.

Alors, lorsqu’on voyage pour retourner voir les siens à Paris, on hésite à répondre. « Ça se passe bien? » « Oui, très bien » « qu’y a-t-il qui justifiait ce départ? » et là on répond ce qui passe par la tête: « il fait toujours beau. Et puis, vous savez, c’est un pays où l’on se baigne presque toute l’année. Ou bien, voir nos petits-enfants grandir en parlant la langue de nos ancêtres, celle de la Thora, ça fait quelque chose! «Pauvre benêt, va! Sérieusement, tu te sens bien en Israël parce que tu peux te baigner plus souvent?

Le bonheur ne peut pas se réduire à des simples plaisirs matériels, sauf pour ceux dont la vie intellectuelle et spirituelle se limite à lire certains feuillets hebdomadaires, à regarder la télé, et à découvrir quand son fils a 20 ans qu’il ne peut faire mieux que vendeur de pizza à moto!

« Je suis chez moi »

A mon sens, et je ne suis pas sûr que tous partageront cet avis, ce sentiment incroyable de plénitude vient avant tout de ce « je suis chez moi ». J’avance, j’erre dans les rues de Jérusalem ou de Tel Aviv, et je ressens au fond de moi que je n’ai rien à craindre de personne. Rien à craindre dans tous les domaines. Ma kippa est vissée sur ma tête, et je ne la sens même plus. Et si je décide de l’enlever, personne ne m’en fera la remarque non plus. Mes enfants épouseront des juifs, car ils ne pourront pas rencontrer des filles ou des garçons magnifiques, intelligents et sympathiques qui soient non-juifs en Israël. Personne ne me dira sale-juif, ni ne m’agressera pour ma barbe, ou mon profil trop « feuj ».

L’air que je respire me convient parfaitement. Sa température. Sa densité. Ses odeurs. Pour la première fois de ma vie siroter un simple café peut prendre des allures de nirvana. Comme lorsque je suis seul en fin de journée, qu’il fait bon et que j’entre me faire servir mon expresso à l’American Colony, ou sur la terrasse du King David.

En fait, c’est tout simple, lorsqu’on vient de cette galout parisienne, on n’est pas chez soi mais on ne s’en rend jamais compte.

Juste quelques signes, auxquels on s’habitue avec le temps, et notre couardise. Mais ce sentiment, tant de millions de juifs l’ont vécu à travers les âges sans se rendre compte que leurs cellules se décomposaient sans le savoir.

Aujourd’hui , presque 2500 après que mes ancêtres aient pu débarquer en Tunisie, je suis enfin revenu chez moi. Et je me sens enfin en accord parfait entre ce que je suis et d’où vient mon âme juive!

Par José Boublil.

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