Depuis l’annonce de la mort de Simone Veil, ce vendredi, les hommages pleuvent, de manière quasi unanime.
Du Président Emmanuel Macron à Jean d’Ormesson, en passant par Nicolas Sarkozy.

Simone Veil est morte à l’âge de 89 ans, a fait savoir sa famille vendredi 30 juin. L’ancienne déportée incarne – à sa manière – les trois grands moments de l’histoire du XXe siècle : la Shoah, l’émancipation des femmes et l’espérance européenne.

Au cours de sa vie, Simone Veil a en effet épousé, parfois bien malgré elle, les tourments d’un siècle fait de grandes désespérances mais aussi de beaux espoirs : elle fait partie des rares juifs français ayant survécu à la déportation à Auschwitz, elle symbolise la conquête du droit à l’avortement et elle est l’une des figures de la construction européenne

Connue pour son fort caractère, celle qui a été l’une des personnalités préférées des Français était affaiblie depuis plusieurs années. L’été dernier, elle avait été brièvement hospitalisée pour des problèmes respiratoires. Présidente du Parlement européen et membre du Conseil constitutionnel puis de l’Académie française, Simone Veil a inspiré le respect de la classe politique, jusque chez ses adversaires.

Née le 13 juillet 1927 à Nice (Alpes-Maritimes) au sein d’une famille juive et laïque, fille d’un architecte, Simone Jacob est déportée en 1944 à Auschwitz avec sa famille. Rescapée de la barbarie nazie avec ses sœurs, elle rencontre à Sciences-Po son futur mari Antoine Veil. Le couple, marié en 1946, aura trois enfants. Antoine Veil est décédé en avril 2013.

Emmanuel Macron a réagi sur Twitter quelques minutes après l’annonce du décès de Simone Veil : « Très vives condoléances à la famille de Simone Veil. Puisse son exemple inspirer nos compatriotes, qui y trouveront le meilleur de la France. » L’ancien président François Hollande a, lui, salué la mémoire d’une femme qui « a incarné la dignité, le courage et la droiture » . 

Lire la suite sur : France TV INFO

Un matricule tatoué sur le bras gauche

Pour Simone Veil, née Jacob le 13 juillet 1927 à Nice, la question juive aurait pourtant pu rester un simple enjeu culturel. Installés depuis plusieurs siècles sur le territoire français, les Jacob vivent loin, très loin des synagogues. « L’appartenance à la communauté juive était hautement revendiquée par mon père, non pour des raisons religieuses, mais culturelle, écrit Simone Veil dans son autobiographie. A ses yeux, si le peuple juif demeurait le peuple élu, c’était parce qu’il était celui du Livre, le peuple de la pensée et de l’écriture. » André Jacob est un architecte qui a remporté le second Grand Prix de Rome. Sa femme a abandonné à regret ses études de chimie pour se consacrer à ses quatre enfants : Denise, Milou (Madeleine), Jean et Simone, sa préférée.

Pendant la guerre, la France rappelle aux Jacob qu’une famille juive n’est pas une famille comme les autres. En 1940, le « statut des juifs » signe brutalement la fin de la carrière du père de Simone Veil : cet ancien combattant de la Grande Guerre se voit retirer du jour au lendemain le droit d’exercer son métier. Trois ans plus tard, les Jacob, qui se sont réfugiés à Nice, sont arrêtés par les Allemands. A l’aube du 13 avril 1944, Simone, sa mère et sa sœur sont embarquées dans des wagons à bestiaux qui s’immobilisent deux jours et demi plus tard, en pleine nuit, le long de la rampe d’Auschwitz-Birkenau (Pologne). Sur le quai, au milieu des chiens, un déporté conseille à Simone, qui a 16 ans et demi, de dire qu’elle en a 18, ce qui lui vaut d’éviter les chambres à gaz.

Le 23 février 1975 à Caen. Simone Veil, alors ministre de la santé, lors de sa visite d’un centre anti-cancer.

Le lendemain matin, un matricule est tatoué sur le bras gauche de Simone, qui est affectée aux travaux de prolongation de la rampe de débarquement. Simone, sa mère et sa sœur sont ensuite transférées à quelques kilomètres d’Auschwitz-Birkenau afin d’effectuer d’épuisants travaux de terrassement. Neuf mois après leur arrivée, le 18 janvier 1945, les Allemands, inquiets de l’avancée des troupes soviétiques, rassemblent les 40 000 déportés dans l’enceinte du camp : c’est le début de la « marche de la mort ». Simone, sa mère et sa sœur marchent pendant 70 kilomètres dans la neige par un froid polaire avant d’être entassées avec d’autres déportés sur des plates-formes de wagons jusqu’au camp de Mauthausen, puis, de Bergen-Belsen.

La mémoire du génocide

La fin de la guerre est proche mais elle a broyé les Jacob : la mère de Simone Veil meurt du typhus à Bergen-Belsen, son père et son frère Jean sont déportés. Pendant des décennies, Simone Veil ignorera dans quelles conditions les deux hommes de la famille sont morts – jusqu’à un jour de 1978 où la ministre de la santé rencontre Serge Klarsfeld. « Je venais de publier le Mémorial de la déportation des juifs de France, un livre qui recense, convoi par convoi, les nom, prénom, date et lieu de naissance de chacun des 76 000 déportés juifs de France. Ce jour-là, au ministère de la santé, je lui ai appris que son père et son frère avaient quitté la France par le convoi 73. Il s’est scindé à Kaunas, en Lituanie, et une partie des déportés sont partis vers Tallinn, en Estonie. Sur ce convoi qui comptait 878 hommes, il n’y eut que 23 survivants. Nul ne sait où et quand sont morts le père et le frère de Simone Veil. »

Simone Veil, alors ministre de la santé. Photographie non datée.
Simone Veil, alors ministre de la santé. Photographie non datée. AFP
Comme beaucoup de rescapés, Simone Veil n’a jamais caché que l’essentiel de sa vie s’était joué pendant ces longs mois passés à Auschwitz-Birkenau. « J’ai le sentiment que le jour où je mourrai, c’est à la Shoah que je penserai », affirmait-elle en 2009. Contrairement à certains déportés, elle gardera toute sa vie, sur son bras gauche, le matricule 78651 d’Auschwitz. « Certains rescapés ont préféré tenter de tourner la page en effaçant le numéro que les nazis avaient tatoué sur leur bras, d’autres ont décidé d’affronter le “souvenir”, explique son fils Pierre-François. C’est le cas de maman. L’été, elle était souvent bras nus, son numéro était encore plus visible qu’aujourd’hui. »

Toute sa vie durant, Simone Veil œuvre sans relâche en faveur de la mémoire du génocide. Elle devient présidente d’honneur de la Fondation pour la mémoire de la Shoah et salue avec émotion, en 1995, le « geste de vérité » de Jacques Chirac, qui reconnaît pour la première fois la responsabilité de la France dans la déportation des juifs. (…)

Dès son retour en France, Simone Veil défie en effet le temps et les hommes avec la stupéfiante énergie d’une survivante. « Elle a toujours eu un instinct vital très fort, comme si elle voulait inscrire son nom et celui de sa lignée dans la pierre, constate l’ancienne députée (UMP) Françoise de Panafieu. Quand on a survécu au plus grand drame du XXe siècle, on ne voit évidemment pas la vie de la même manière. Les enfants, le travail, la politique : elle a tout fait comme si elle défiait la mort. Elle voulait être exemplaire aux yeux de ses enfants, de ses proches et surtout, de tous ceux qu’elle a perdus. » A peine rentrée des camps, Simone Veil s’inscrit à Sciences Po, se marie, élève trois garçons et décide d’appliquer sans délai le principal enseignement de sa mère : pour être indépendante, une femme doit travailler. Au terme d’un rude débat conjugal, Antoine Veil finit par transiger à condition que sa femme s’oriente vers la magistrature.

Simone Veil évolue dans les milieux du Mouvement républicain populaire (MRP) dont son mari est proche, mais son cœur penche parfois à gauche : elle s’enthousiasme pour Pierre Mendès France, glisse à plusieurs reprises un bulletin de vote socialiste dans l’urne et s’inscrit brièvement au Syndicat de la magistrature. En mai 1968, elle observe avec bienveillance la rébellion des étudiants du Quartier latin. « Contrairement à d’autres, je n’estimais pas que les jeunes se trompaient : nous vivions bel et bien dans une société figée », écrit-elle.

Lors de la présidentielle de 1969, elle vote pour Georges Pompidou… sans se douter qu’elle intégrera bientôt le cabinet du garde des sceaux. Elle devient ensuite la première femme secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature, puis, la première femme à siéger au conseil d’administration de l’ORTF. (…)

« Nous ne pouvons plus fermer les yeux »

Car Simone Veil a la passion de l’action, pour ses enfants comme pour elle-même. Elle est bien vite servie. Un jour de 1974, le couple Veil dîne chez des amis lorsque la maîtresse de maison demande discrètement à Simone Veil de sortir de table : le premier ministre Jacques Chirac souhaite lui parler au téléphone. « Il m’a demandé si je voulais entrer au gouvernement pour être ministre de la santé, racontait-elle en 2009. J’étais magistrat, la santé, ce n’était pas la chose principale de mon existence mais après de longues hésitations, j’ai fini par accepter tout en me disant : “mon Dieu, dans quoi vais-je me fourrer ?” Pendant plusieurs semaines, je me suis dit que j’allais faire des bêtises. Au pire, on me renverrait dans mes fonctions ! »

Lire l’intégralité sur Le Monde

Pour l’académicien Jean d’Ormesson,

«Simone Veil était au-dessus de la médiocrité et de la méchanceté du monde»

Dans un entretien accordé à Eugénie Bastié du Figaro, il déclare :

« Ma première réaction fut bien évidemment la tristesse et le chagrin. J’étais liée à elle avant même son entrée à l’Académie. Ces derniers temps, hélas, je la voyais beaucoup moins, car elle était gravement malade. C’était une femme que des millions de Français ont aimée et respectée. Je crois, qu’avec l’abbé Pierre – et peut-être Jean-Paul II pour l’étranger – elle a été une des personnalités qui a le plus marqué les Français.

Pourquoi cet unanimisme autour de sa personne?

Je crois que cela tient à son histoire extraordinaire. Sa déportation, à l’âge de 16 ans, avec toute sa famille, le 30 mars 1944, quelques mois avant la fin de la guerre, est une histoire bouleversante. Elle en est revenue avec une fermeté d’âme trempée au malheur. Les Français aiment le courage. Je crois aussi que c’est parce qu’elle était très belle. Elle frappait par sa beauté et son courage tous ceux qui l’ont approchée. Elle représente à la fois la tradition française et le renouvellement de cette époque. Elle était au-dessus. Elle avait une morale très forte et une ouverture au monde merveilleuse. C’était une personnalité franche.

En l’accueillant à l’Académie j’avais dit que la clé de sa popularité résidait, en fin de compte, dans sa capacité à emporter l’adhésion des Français. Cette adhésion ne reposait pas pour elle sur je ne sais quel consensus médiocre et boiteux entre les innombrables opinions qui ne cessent de diviser notre vieux pays. Elle reposait sur des principes qu’elle affirmait, envers et contre tous, sans jamais hausser le ton, et qui finissaient par convaincre. Disons-le sans affectation: au cœur de la vie politique, elle offrait une image républicaine et morale.

«Elle frappait par sa beauté et son courage tous ceux qui l’ont approchée. Elle représente à la fois la tradition française et le renouvellement de cette époque»

Jean d’Ormesson

Était-elle de droite ou de gauche?

Son attachement à la tradition, à ce qui est convenable, sa droiture morale la rattachait à la famille de droite. Son audace sociale la reliait à la famille de gauche. Elle était plus encore que Macron au-dessus de la distinction droite-gauche. Elle a fait de la politique, mais sans jamais s’abaisser à des combinaisons.

Quelle femme politique était-elle justement?

Elle a eu une carrière politique hors norme. Elle a été mise en pleine lumière lors de la deuxième grande aventure de sa vie que fut la dépénalisation de l’avortement. On ne s’en souvient pas, mais cela a été d’une violence incroyable. Elle a été insultée, attaquée. Je l’ai vu pleurer sur les bancs de l’Assemblée. Elle a alors montré calme, courage et énergie. Rappelons qu’elle était hostile à l’avortement, mais qu’elle considérait qu’il s’agissait d’une affaire sociale. Des femmes pauvres mouraient en France d’avortements clandestins tandis que des riches bourgeoises allaient à l’étranger. Cela lui semblait d’une injustice intolérable. Attachée à la cause des femmes, elle n’adhérait pas à un féminisme idéologue, qui, à l’instar de Simone de Beauvoir, voudrait nier la différence des sexes.

Le troisième pilier de sa vie fut l’attachement à l’Europe. Elle qui avait souffert de l’Allemagne nazie n’entretenait aucun sentiment de revanche et militait pour une Europe aujourd’hui moribonde. À noter qu’elle avait évolué d’un fédéralisme monolithique à une Europe des nations.

Comment était-elle à l’Académie?

Ce fut pour moi un immense honneur que de prononcer son discours de réception à l’Académie française en 2010, où elle occupait le fauteuil de Racine. Elle venait à l’Académie mais malheureusement elle a été assez vite rattrapée par la maladie. Tout le monde est égal à l’Académie mais il y a des gens qu’on écoutait avec plus de respect que d’autres: Claude Lévi-Strauss, Jacqueline de Romilly et Simone Veil étaient entourés d’une admiration particulière.

Quelle image vous a le plus marqué?

Quand je pense à elle, l’image qui me revient est celle de la fatalité de son arrestation à Nice en 1944. L’image d’un destin épouvantable qui frappe une jeune fille en fleurs. Elle est revenue. Cette épreuve lui a donné je crois une élévation au-dessus de la médiocrité et la méchanceté du monde. (Source : Le Figaro)

Pour l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy,

«Simone Veil reste immortelle»

Dans le Figaro, il lui rend un vibrant hommage :

« Simone Veil est morte. La France se désole et s’étonne qu’elle ait pu mourir tant son image, malgré le temps qui passe, était restée inaltérable. Pourtant Simone Veil aurait pu mourir beaucoup plus tôt car elle avait été condamnée à mort, il y a soixante-douze ans, par le nazisme. Elle était juive, elle avait seize ans, elle n’avait donc pas le droit de vivre aux yeux de ceux qui avaient planifié la solution finale pour pouvoir exterminer tout un peuple à une échelle industrielle.

Simone Veil aurait dû mourir, elle aurait pu mourir comme elle avait vu mourir ces femmes et ces enfants que l’on envoyait prendre des douches dont on ne revenait jamais.

Simone Veil aurait dû mourir, elle aurait pu mourir comme elle avait vu mourir ces femmes et ces enfants que l’on envoyait prendre des douches dont on ne revenait jamais. Elle aurait pu mourir, comme son père, comme son frère ou encore comme sa mère, de fatigue, de froid et d’épuisement sur le bord des chemins empruntés par des millions de déportés dans les marches de la mort.

Simone Veil n’est pas morte, elle a survécu, puis elle a fait mieux, elle a vécu et elle a choisi de consacrer au bien commun cette vie qu’elle avait gagnée contre le mal absolu à force de courage, de volonté, de ténacité et d’intelligence. Simone Veil n’est pas morte, elle s’est mariée, elle a fondé une famille, elle a travaillé, elle s’est engagée.

À une époque où les gouvernements français étaient encore des clubs politiques réservés aux hommes, elle est devenue ministre de Valéry Giscard d’Estaing et s’est imposée dans un combat qui a marqué l’Histoire de notre société. Elle ne s’est pas élevée contre un dogme ou des convictions religieuses qu’elle respectait profondément mais elle s’est levée pour combattre la souffrance et une souffrance qui lui était particulièrement insupportable, la souffrance silencieuse des femmes.

Simone Veil n’était pas une idéologue car elle avait payé du prix le plus élevé la folie des idéologues.

Simone Veil accueillie sous la coupole de l’Académie française par le président Nicolas Sarkozy, le 18 mars 2010. – Crédits photo : François BOUCHON/Le Figaro

Simone Veil, en effet, n’était pas une idéologue car elle avait payé du prix le plus élevé la folie des idéologues. Du haut de la tribune de l’Assemblée Nationale, Simone Veil a simplement dit que la République ne pouvait pas continuer à fermer les yeux sur 300 000 avortements qui se pratiquaient chaque année clandestinement. Elle a simplement dit que la République ne pouvait plus accepter que des femmes meurent dans des souffrances abominables parce qu’elles n’avaient pas les moyens de prendre un avion et de se payer un séjour dans une clinique privée à l’étranger. Simone Veil a fait ce qu’elle croyait juste et même si elle a essuyé des insultes qui déshonoraient ceux qui les lui lançaient en pleine face, elle a su trouver une majorité qui allait au-delà des clivages politiques. Ce jour-là, elle a fait ce qu’elle considérait être son devoir. Rien de plus et ce fut sa grandeur.

Simone Veil s’est aussi engagée dans la vie politique pour défendre une idée, une idée qui lui paraissait plus grande qu’elle-même, plus importante que son propre destin politique dont elle n’a jamais fait un objectif. Cette idée, ce combat, c’était la construction européenne. Cette femme qui aurait pu entretenir à l’égard de l’Allemagne une méfiance instinctive et même un ressentiment inextinguible a été élue Présidente du Parlement Européen par des députés français et allemands. Simone Veil avait la conviction profonde, une conviction forgée par le drame de sa vie, – cette vie qui a donné le titre de son plus beau livre -, que seule la construction européenne permettrait au continent d’échapper aux démons de la guerre et de la haine et que sans une amitié franco-allemande sans faille, il n’y aurait de place ni pour la paix, ni pour l’Europe. Dans les années 1990, le retour de la guerre dans les Balkans, au cœur même du continent européen, fut pour elle comme un coup de semonce. Il rappelait que le combat pour une Europe politique, forte, efficace et gouvernée, était le seul rempart contre le retour du passé.

Simone Veil avait la dimension d’une femme d’État car son humanité ne lui interdisait jamais d’être, lorsque la situation l’exigeait, d’une très grande fermeté.

Simone Veil n’est pas morte car après s’être retirée de la vie politique, elle a consacré son énergie au devoir de mémoire. Mémoire des siens et mémoire de l’holocauste qui les avait dévorés. J’ai été heureux, comme une immense majorité de Français, de la voir entrer à l’Académie Française pour y devenir, là encore, une des rares immortelles de sa génération comme j’ai été fier, je l’avoue, d’obtenir une modification du code de la Légion d’Honneur pour qu’elle puisse être élevée à la dignité de Grand officier sans avoir reçu les grades inférieurs. La France de Claudel, de Racine et de Napoléon rendait hommage à cette femme qui, même dans les camps de la mort, n’avait jamais abdiqué et avait toujours défendu la dignité humaine en refusant de baisser les yeux. Simone Veil avait la dimension d’une femme d’État car son humanité ne lui interdisait jamais d’être, lorsque la situation l’exigeait, d’une très grande fermeté.

J’ai connu Simone Veil, j’ai admiré Simone Veil et je veux l’écrire ici, j’ai aimé Simone Veil dont l’amitié ne m’a jamais fait défaut. Son regard bleu pouvait exprimer l’autorité et même la colère mais il y brillait toujours une grande bonté et la lueur de l’espoir.

Simone Veil est partie rejoindre son mari Antoine avec lequel elle formait un couple hors du commun mais elle n’est pas morte car son action comme son souvenir oblige tous ceux qui l’ont admirée et aimée. En effet, ce souvenir aujourd’hui nous oblige, comme il oblige l’Europe qu’elle a servie à rester à la hauteur du témoignage de courage et de volonté qu’elle nous laisse.

 

Voici la lettre qu’elle adressa à l’Académie française en 2005, appelant à l’éveil des consciences des jeunes du XXIe siècle, notamment sur l’importance de la transmission de la mémoire de la Shoah et les dangers de la banalisation et du relativisme.

Les rescapés d’Auschwitz ne sont plus qu’une poignée. Bientôt, notre mémoire ne reposera plus que sur nos familles, sur l’Etat, mais aussi sur les institutions qui en ont fait leur mission, notamment celles en charge des lieux où vous vous trouvez aujourd’hui.

Elle sera aussi la source d’inspiration d’artistes et d’auteurs, comme un objet qui nous échappe pour le meilleur et pour le pire. Notre mémoire, surtout, doit être intégrée et conciliée avec l’enseignement de l’histoire à l’école, faisant des élèves comme des professeurs des relais essentiels de cette nécessaire transmission.

Il vous appartiendra de faire vivre ou non notre souvenir, de rapporter nos paroles, le nom de nos camarades disparus. Notre terrible expérience aussi de la barbarie poussée à son paroxysme, flattant les instincts les plus primaires de l’homme comme les ressorts d’une modernité cruelle.

L’humanité est un vernis fragile, mais ce vernis existe.

En parlant de ce monde à part que fut celui des camps et de la tourmente dans laquelle les Juifs furent emportés, nous vous disons cette abomination, mais nous témoignons aussi sur les raisons de ne pas désespérer.

D’abord, pour certains d’entre-nous, il y eut ceux qui nous aidèrent pendant la guerre, par des gestes parfois simples parfois périlleux, qui contribuèrent à notre survie. Il y eut la camaraderie entre détenus, certes pas systématique, dont les effets furent ô combien salutaires.

Et puis, pour cette infime minorité qui regagna la France en 1945, la vie a été la plus forte ; elle a repris avec ses joies et ses douleurs.

Puissent nos rires résonner en vous comme notre peine immense.

Notre héritage est là, entre vos mains, dans votre réflexion et dans votre cœur, dans votre intelligence et votre sensibilité.

Il vous appartient que la vigilance ne soit pas un vain mot, un appel qui résonne dans le vide de consciences endormies.

Si la Shoah constitue un phénomène unique dans l’histoire de l’humanité, le poison du racisme, de l’antisémitisme, du rejet de l’autre, de la haine ne sont l’apanage d’aucune époque, d’aucune culture, ni d’aucun peuple.

Ils menacent à des degrés divers et sous des formes variées, au quotidien, partout et toujours, dans le siècle passé comme dans celui qui s’ouvre. Ce monde là est le vôtre. Les cendres d’Auschwitz lui servent de terreau.

Pourtant, votre responsabilité est de ne pas céder aux amalgames, à toutes les confusions. La souffrance est intolérable ; toutes les situations ne se valent pourtant pas.

Sachez faire preuve de discernement, alors que le temps nous éloigne toujours plus de ces événements, faisant de la banalisation un mal peut-être plus dangereux encore que la négation.

L’enseignement de la Shoah n’est pas non plus un vaccin contre l’antisémitisme, ni les dérives totalitaires, mais il peut aider à forger la conscience de chacun et chacune d’entre-vous.

Il doit vous faire réfléchir sur ce que furent les mécanismes et les conséquences de cette histoire dramatique.

Notre témoignage existe pour vous appeler à incarner et à défendre ces valeurs démocratiques qui puisent leurs racines dans le respect absolu de la dignité humaine, notre legs le plus précieux à vous, jeunesse du XXIe siècle.

 

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

2 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Daniel

L’interview accordée à Europe N° 1 par l’infecte Gisèle Halimi, le jour de la mort de Simone Veil, m’a quelque peu refroidi quant à l’admiration que j’avais pour cette femme de qualité que fut l’ancienne ministre. Le podcast est disponible sur le site de cette station périphérique.
J’ai retenu de ce flot de paroles, leur amitié et selon G. Halimi, leur complicité. Le passage le plus décevant fut lorsque l’ancienne avocat du FLN, se mit a raconter comment Simone Weil vint d’elle-même assister à une conférence sur la Palestine qu’elle avait organisé avec la non moins infecte Leïla Shahid et la compassion qu’elle avait pour eux. En bref, G. Halimi, a fait de Simone Weil, une pro-Palestinienne.

danielka

Je la pleure , pour son courage ,son humanité , sa droiture . Qu’elle repose en paix.