Le 13 novembre 1940, le quotidien milanais Il Corriere della Sera faisait discrètement mention d’une «pilule du courage» qui aurait été administrée à grandes doses par l’armée allemande à ses troupes et leur aurait permis cette prodigieuse efficacité lors du blitzkrieg, la guerre éclair menée contre la France.

La nouvelle fut brièvement exploitée par la BBC qui tenait la preuve que l’énergie allemande n’était pas le simple fruit de l’idéologie «supérieure» des nazis mais de leur médecine, puis elle tomba vite dans l’oubli. Quelle nation n’utilisait pas de drogues pour aider ses combattants à supporter les affres du combat? La gnole des tranchées, la benzédrine de la Royal Air Force. Sauf que les nazis, eux, n’avaient pas hésité à aller très loin. Ils eurent recours aux méthamphétamines découvertes dans les années 1920 par la puissante industrie chimique allemande.

Effets secondaires explosifs

La «pervitine», mise en service par les usines Temmler, va devenir cette «pilule du courage» qui se diffusera dans toute la population et expliquera la témérité des généraux allemands en mai 1940

Contrairement à la France ou à la Grande-Bretagne, qui disposaient de champs de pavot pour cultiver l’opium, l’Allemagne n’avait plus de colonies depuis 1919. Elle avait alors tout misé sur la chimie pour se créer des paradis artificiels. La «pervitine», aux effets secondaires explosifs, mise en service par les usines Temmler, va devenir cette «pilule du courage» qui se diffusera dans toute la population, aussi bien les militaires que les étudiants ou les ouvriers, et expliquera la grande témérité des généraux allemands en mai 1940.

Ils sont sous «speed», ainsi que leurs soldats à qui l’état-major a distribué 35 millions de doses. Les héros nazis, capables de ne pas dormir pendant quarante-huit heures, n’étaient pas des surhommes nietzschéens mais des drogués! Et les effets secondaires vont se payer cher. Toute substance, on le sait, a ses revers.

L’aveuglement de certains officiers en Russie puis sur le front de l’Ouest, la folie d’Hitler ou de Göring, le suicide d’un Ernst Udet, ne seraient-ils pas dus, en partie, à un «bad trip»? C’est au fond en partie la thèse de ce livre saisissant, écrit par un journaliste, Norman Ohler, qui paraît un peu trop systématique.

Tout réduire à une consommation excessive de stupéfiants laisse perplexe. Mais la thèse semble avoir séduit la plupart des grands spécialistes de la période. Au fond, du «patient A» du Dr Morell, à savoir Hitler, bourré de stéroïdes, d’opiacés et de cocaïne, jusqu’à l’homme de troupe de la Wehrmacht, ce serait une nation de drogués qui aurait ravagé l’Europe pendant cinq ans.

«L’Extase totale», de Norman Ohler, traduit de l’allemand par Vincent Platini, La Découverte, 255 p., 21 €.

Jacques de Saint Victor

Figaro

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