Et si l’art produisait une humanité monstrueuse ?

Telle est l’inquiétude des idéologues nazis et la raison d’être des politiques menées dès 1933 contre ce qu’ils qualifiaient « d’art dégénéré ».


Les nazis n’ambitionnaient pas seulement d’empêcher un « mélange des races » dans le milieu des arts : ils voulaient aussi « protéger » les hommes d’une dégénérescence par l’influence de certaines formes d’art.

Excluant des artistes, en poussant d’autres à l’exil ou au suicide, détruisant des œuvres, en exposant d’autres à des fins « pédagogiques », les nazis n’ambitionnaient pas seulement d’empêcher un « mélange des races » dans le milieu des arts. Ils voulaient « protéger » les hommes d’une dégénérescence par l’influence de certaines formes d’art.

Le droit nazi légiférait afin de protéger un « art sain ».

L’art « dégénéré » est combattu dans le même temps que les lois raciales sont promulguées.

La réédition en poche du livre d’Éric Michaud, Un art de l’éternité. L’image et le temps du national-socialisme, était une nécessité.

Michaud ne donne pas à lire une histoire de l’art sous le nazisme. Il interroge ce que fut le mythe nazi et en quoi « l’image et le temps du national-socialisme » n’appartiennent pas seulement à l’Allemagne.


Le nazisme et son art ont été possibles car ils se sont inscrits dans une époque. Le nazisme n’a pas à voir avec la seule Allemagne.

Le nazisme et son art ont été possibles car ils se sont inscrits dans une époque. Le nazisme n’a pas à voir avec la seule Allemagne.

Ce que le philosophe Karl Jaspers exprimait ainsi dès 1945 :

« C’est en Allemagne que se produisit l’explosion de tout ce qui était déjà en train de se développer dans tout le monde occidental sous la forme d’une crise de l’esprit, de la foi ».

Position exprimée dès avant la guerre par des non conformistes, comme Thierry Maulnier écrivant que La crise est dans l’homme.

Le nazisme et son rapport à l’art sortent en partie de cette crise. L’art nazi ne fut pas seulement propagande. Il fut surtout une fin, un but à atteindre fondé sur le mythe de la « race supérieure ». Le mythe aryen était une œuvre à créer. Un futur.

Les nazis croyaient-ils à ce mythe ? Malheureusement, ils étaient persuadés de son efficacité. Pas de hasard si Hitler était présenté comme « l’artiste de l’Allemagne ». Dans l’idéologie nazie, le travail créateur devaient construire le monde et l’homme nouveaux.

Le nazisme, une révolution culturelle ?

L’historien Johann Chapoutot publie La révolution culturelle nazie.

Livre qui s’inscrit dans une manière de penser le nazisme non pas comme phénomène accidentel ou « fonctionnel » mais comme lieu d’adhésion à son idéologie. Une croyance. Le fil rouge de ce recueil de onze études ?

« Pour pouvoir agir, malgré les siècles d’aliénation, malgré les phases de dénaturation, il fallait opérer, sur le corps et l’âme du peuple allemand, une révolution culturelle, au sens prérévolutionnaire du terme : il faut revenir à l’origine, à ce qu’était l’homme germanique, son mode de vie et son attitude instinctuelle à l’égard des êtres et des choses. Il s’agit de « remettre le monde à l’endroit » et de « revenir à l’origine ».

La volonté nazie de restaurer la coïncidence entre nature et culture passe ainsi par la « purification » des aspects « cosmopolites » de la philosophie Antique (Platon, les Stoïciens) autant que moderne (Kant), par la volonté de faire disparaitre 1789 de l’histoire de l’Allemagne, par la définition de « valeurs morales » nouvelles ou par une réflexion sur le droit. Avec la réécriture de ce dernier, le nazisme en tant que « révolution culturelle » a prétendu justifier légalement le meurtre de masse.

Une plongée effrayante dans le corps du Léviathan

Olivier Jouanjan donne, avec Justifier l’injustifiable. L’ordre du discours juridique nazi, un livre passionnant et effrayant. Peut-on « prendre le droit nazi au sérieux ? »

En quoi cela permet-il de penser ce que fut le nazisme ? Jouanjan part de ce fait : le droit nazi fut la nervure du corps Léviathan nazi et cependant il n’est pas examiné en tant que droit. Nous ne comprenons donc pas comment l’obéissance à ce qui est injustifiable a pu être « justifiée » par le droit, et au-delà par les acteurs de la catastrophe durant leurs procès.

Nombre de nazis jugés après la guerre ont insisté sur la « légalité » du gouvernement nazi et ont argumenté sur la « nécessité » d’obéir aux ordres.

On pensera à Klaus Barbie qui évoquait ce devoir d’obéissance. Appréhendant le droit nazi en tant que droit, Jouanjan apporte un regard novateur : « l’ordre du discours juridique » avait vocation à justifier le crime nazi. Le nazisme en tant que droit a été un droit à l’injustifiable.

On pensera alors aux victimes, légalement spoliées dans un premier temps. « Légalement » éliminées ensuite.

Le discours juridique nazi, produit de l’institution juridique allemande, a permis une « légalité » de l’extermination.

Comment ne pas avoir froid dans le dos en refermant les pages de ce livre fondamental ?

Éric Michaud, Un art de l’éternité. L’image et le temps du national-socialisme, Gallimard, Folio, 2017

Johann Chapoutot, La révolution culturelle nazie, Gallimard, Bibliothèque des Histoires, 2017

Olivier Jouanjan, Justifier l’injustifiable. L’ordre du discours juridique nazi, PUF, Léviathan, 2017.

Matthieu BaumierMatthieu Baumier

Auteur d’essais (Presses de la Renaissance, Pygmalion) et de romans (Flammarion, Belles Lettres). Il collabore à diverses revues.

Source : Causeur

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madeleine

Il y a aussi le fait (un hasard ?) qu’Hitler fut un peintre raté, sans aucun talent.

Il est à souligner que l’art « décadent » décrété par les Nazis ne les a pas empêchés de piller les musées et les œuvres d’art appartenant à de riches familles juives !