La paracha Pinhas est intimement articulée à celle qui la précède. La fin de la parachat Balak relate comment les Midianites, constatant que la tentative de malédiction ourdie par Balak et mise en oeuvre par Bilaâm avait tourné court, et même qu’elle avait muté en bénédiction, décident d’employer, si l’on peut dire,  les grand moyens.

Ils font affluer vers le peuple d’Israël des escouades de prostituées afin d’inciter le peuple de l’Alliance à l’orgie sexuelle et ainsi de renier cette Alliance avec le Dieu qui la promeut et par laquelle s’atteste sa Présence.

Un grand nombre de Bnei Israël s’y laissent aller dans la sidération des dirigeants du peuple, Moïse et Aharon compris, Moïse qui lui même avait décidé de se séparer de sa femme depuis le don de la Thora, sachant que la Parole divine pouvait lui être adressée à n’importe quel moment.

C’est alors que Pinh’ass, fils d’Eléazar, et  petit fils d’Aharon, mû par une autre passion: celle de Dieu, se saisit d’une lance et embroche   le couple de meneurs qui fautait au regard de l’Eternel, comme s’ils avaient décidé de souiller sa Loi en toute impunité.

Et le fléau qui avait entre temps frappé le peuple cessa, fléau physique et  plaie mentale.

Il faut bien mesurer la gravité d’une pareille transgression. Elle afflige le peuple au moment où celui-ci après quarante années de pérégrination se trouve sur le point de franchir le Jourdain pour investir la terre de Canaan que le  Créateur avait originellement dévolue à ses Pères.

Durant toutes ces années, ce peuple d’anciens esclaves a appris à réguler ses pulsions, à modérer ses emportements, à apprendre l’usage de la parole interhumaine.

On le croyait sorti de l’état pulsionnel et voilà que les Midianites tentent de l’y replonger, et cela de manière irréversible puisque la prostitution à laquelle il est incité n’est pas seulement sexuelle. Elle implique aussi des pratiques idolâtriques.

Dans de telles circonstance, si Pinh’ass ne s’était trouvé là, lucide, attentif et zélé, ce que la Mer Rouge n’avait pu engloutir, les plaines  de Moab l’eussent anéanti.

Et c’est pourquoi Pinh’ass en est loué par le Créateur, aux oreilles de Moïse  de sorte que celui-ci le proclame à tout Israël.

La Tradition juive verra dans Pinh’ass une préfiguration du prophète Elie, lui aussi  brûlant  de zèle pour Dieu face à Ah’ab et à Jézabel, le couple de rois oublieux de l’Alliance, au point de fermer les  Portes de la pluie.

Et pourtant  Pinh’ass n’est pas érigé en exemple par la Thora. Plus exactement, si son acte est jugé digne de louange, il  doit demeurer une exception.

Deux allusions scripturaires le donnent à comprendre. En premier lieu, le nom de Pinh’ass lui même est transcrit, étonnamment, avec  un «youd» minuscule. Comme s’il fallait en déduire une incomplétude constitutionnelle.

On sait qu’en hébreu la lettre « youd », qui correspond au chiffre 10, est justement celle de l’accomplissement.

Le Décalogue comporte à cet égard 10 lois, et non pas 9 ou 11. Cette réduction de taille atteste au passage à quel point dans la Thora, lue en sa langue originelle, la lettre est riche de sens et d’enseignements.

Ce «youd» rapetissé est sans doute le signe que la connaissance de la Thora chez Pinh’ass en était à ses commencements.

Si le zèle est louable il est aussi symptôme d’immaturité. Pour le dire autrement, le comportement de Pinh’ass est loué à cause des circonstances d’extrême urgence où il s’est produit  et à cause de la passivité des responsables institué du peuple d’Israël.

Il ne saurait constituer un précédent  ni un exemple à suivre pour les temps courants.

Une autre particularité de la transcription graphique du récit biblique le confirme. Le Créateur accordera à Pinh’ass et à sa descendance une Alliance particulière: l’Alliance de paix: Bérith Chalom.

Cependant, dans le Sépher Thora d’une part les mots bérith et  chalom ne sont pas reliés entre eux, ne sont pas interconnectés mais légèrement disjoints, d’autre part le vav de chalom est lui même brisé par le milieu et non pas écrit  d’une seul trait, comme il  aurait dû l’être.

Même justifiée,  la violence n’est pas érigée en but ultime, en comportement ordinaire.

Lorsqu’elle s’exerce, fût ce à juste titre, elle laisse des séquelles et des cicatrices.

D’autant que Pinh’ass est fils et petit fils de cohanim et que la fonction élective du cohen est la réconciliation, le recouvrement de la paix sociale après celle des esprits.

Et c’est sans doute pourquoi cette même paracha relate un épisode de sens opposé, celui qui concerne d’autres femmes, les filles de Tséloph’ad.

Elles s’en viennent questionner Moïse, aprés le décès de leur père, et en l’absence de fils, sur les règles régissant l’héritage des filles.

Cependant elles s’en acquittent sans violence, sans acrimonie, laissant à Moïse le temps d’y réfléchir et la possibilité de leur répondre de manière compréhensible pour les temps à venir également. Moïse en est si heureux qu’il décide d’« approcher (vayakrev) » leur demande face à l’Eternel ; de la considérer comme un véritable korban digne d’être présenté devant le Créateur.

Les filles de Tséloph’ad ont démontré, au terme de cette si longue, tumultueuse et éprouvante Traversée du désert que le peuple d’Israël venait enfin- lui qui avait été condamné en Egypte esclavagiste à des siècles de mutisme – de recouvrer le sens de la parole dialoguée, la seule qui permette de fonder  et de faire vivre des ensemble  humains dignes de ce nom.

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Raphaël Draï zatsal, 26 juin 2013

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