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Marceline Loridan-Ivens : Simone Veil, ma jumelle contradictoire

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Photo Witty Pictures/ABACA
En 1944, Marceline Rosenberg et Simone Jacob, adolescentes, sont déportées dans le même convoi pour Auschwitz. Soixante-douze ans plus tard, Marceline Loridan-Ivens, cinéaste, et Simone Veil, la ministre à qui on doit la loi sur l’IVG, sont, bien plus que des camarades, des sœurs de vie. Histoire d’une amitié hors norme.

Par Catherine Durand

Source : Marie-Claire 

Marceline Loridan-Ivens est bien droite dans son fauteuil, la chevelure rousse flamboyante comme son caractère, la vue fragile mais l’esprit toujours aussi vif. Il y a quelque chose d’indestructible chez cette femme de bientôt 88 ans, frêle et élégante, qui aura traversé le XXème siècle une caméra à l’épaule*, embrassant de nombreux combats. Une femme qui n’a rien perdu de son âme rebelle et qui, soixante-douze ans plus tard, ne peut oublier le convoi 71, qui l’a déportée à Auschwitz avec son père, Salomon Rosenberg.

Marceline Loridan-Ivens et Simone Viel en 2010
Photo Witty Pictures/ABACA

Simone Jacob a 16 ans quand, ce 13 avril 1944, elle monte dans le même convoi que Marceline, alors âgée de 15 ans. De ce voyage vers les ténèbres, Marceline écrit, dans son autobiographie, Ma vie balagan**: « C’est là-bas que j’ai été le plus aimée. Simone est de cet amour-là. » 

Plus tard, alors qu’elles ignorent encore qu’elles ont échappé à la sélection pour la chambre à gaz à la descente du train, elles se retrouvent face à face dans les châlits du bloc 9, camp A, à Birkenau, le camp des femmes.

Marceline se souvient : « Dans le camp, où pour survivre c’est chacun pour soi, il y a eu des moments de solidarité très puissants. Comme ce jour où j’ai eu une fièvre terrible. Près du lieu où on creusait des tranchées, mes copines m’ont cachée dans un trou, recouvert d’une planche, et j’ai pu me reposer. Ou, afin que je puisse tenir le coup à l’appel, comme j’étais très petite, elles mettaient des pierres sous mes pieds et dans mon dos pour que je tienne droit. » Et parmi elles, il y a Simone, sa complice depuis le premier regard échangé.

« Nous étions deux ados rebelles. Sauf que Simone était coincée entre sa mère, Yvonne, et sa sœur Madeleine. Elle avait des velléités d’indépendance. On se cachait sous des couvertures pour éviter les corvées. Si on se faisait prendre, c’était la dérouillée à mort ou la chambre à gaz, mais notre esprit de rébellion était le plus fort. On se disait : “On sortira par la porte ou par la cheminée.” On avait le culot et l’optimisme de l’adolescence, la peur était présente, mais nous n’étions pas dominées par elle. On avait soif, on avait faim ensemble, et on chantait. » 

Des chansons de l’enfance et Le grand voyage du pauvre nègre d’Edith Piaf, à voix basse parce que « ça énervait les vieilles, les plus de 25 ans ». Pour supporter les coups, la faim et la soif obsédants, la férocité des kapos qui les insultent : « Salopardes de Juives », et pour tenir un jour de plus.

Après la longue marche de la mort, Marceline Loridan-Ivens retrouve son amie à Bergen-Belsen

Marceline l’avoue : elle est fascinée par la beauté de Simone. « Elle était belle, sa sœur et sa mère aussi. Nous étions tout le temps nues, une humiliation terrible pour nous, si pudiques. Nous n’étions pas du même monde, elles et moi. Les Jacob étaient des Israélites, des bourgeoises dont les ancêtres avaient été francisés par Napoléon ; moi j’étais une Juive polack. Mes parents étaient des immigrés. Nous étions toutes égales dans la souffrance, mais madame Jacob, la mère adorée de Simone, suscitait un tel respect qu’on ne l’a jamais appelée autrement que “Madame”. » 

C’est sa beauté qui va sauver Simone. Un jour de juin, Marceline est juste derrière elle lorsque Stenia, la redoutable kapo polonaise, dit à la future politique : « Toi, tu es trop belle pour mourir. Je vais faire quelque chose pour toi en t’envoyant ailleurs. » Frondeuse, Simone lui répond : « Mais je ne suis pas seule ici, je suis avec ma mère et ma sœur. »

« Stenia a noté leurs matricules et les a affectées loin des gaz, à huit kilomètres, dans le camp de Bobrek.
Simone a alors disparu de ma vie », raconte Marceline.

Après la longue marche de la mort, entamée le 18 janvier 1945, Marceline retrouve son amie à Bergen-Belsen. Elles sont sur des paillasses, Yvonne Jacob, très malade, se meurt du typhus. « On a eu juste le temps de se raconter ce qu’on avait vécu, avant que je sois encore envoyée ailleurs. » Après la guerre, le retour difficile à la vie, elles se perdent de vue. Encore une fois.

Jusqu’à ce que le destin les rattrape, rue de Rome, à Paris, en 1954. « Simone pousse un landau. Elle vit alors dans un autre monde que le mien. » C’est un peu plus tard qu’elles se croisent de nouveau pour, cette fois, ne plus jamais se quitter.

Leurs vies sont on ne peut plus différentes : Simone est mariée, a trois fils, une carrière de magistrate, Marceline est une militante de gauche qui refuse d’avoir un enfant « de peur que ça ne recommence », une des premières femmes à porter le pantalon dans le Saint-Germain-des-Prés d’après-guerre…

« Simone, jamais ! Toujours avec son chignon. Je lui disais : “Arrête de ressembler à Golda Meir”, mais elle se sentait bien comme ça, c’était le symbole de sa classe bourgeoise. On avait des divergences politiques violentes, on s’engueulait beaucoup, mais on ressentait une admiration réciproque. Elle aussi s’est battue pour ne pas être une femme au foyer. »

Marceline Loridan-Ivens : « On a fêté ça comme on a fêté toutes nos victoires, avec de la vodka et des harengs »

Et les apparences sont parfois trompeuses. Quand la magistrate Simone Veil est affectée à la direction de l’Administration pénitentiaire, en 1957, Marceline s’indigne : « Mais comment peut-elle faire ce boulot ? », avant de découvrir qu’en pleine guerre d’Algérie son amie fait transférer en France des prisonnières algériennes pour leur éviter d’être violées.

Et comme pour chaque événement de sa vie, c’est « sa petite Marceline » qu’elle appelle en premier, ce 27 mai 1974, pour lui annoncer que le président Valéry Giscard d’Estaing la nomme ministre de la Santé.

L’arrivée d’une femme à cette fonction constitue une première dans l’histoire de la VRépublique. « Je suis sidérée quand elle m’invite au ministère, je n’ai aucun désir pour ce monde, je suis dans l’opposition. » Et au cœur du militantisme féministe. Marceline fut en effet, en avril 1971, une des premières signataires du manifeste des 343. « Je l’ai fait par solidarité, sans imaginer le sens que cela allait prendre. » Un combat de plus qui renforce leur lien.

Trois ans plus tard, c’est médusée, devant son écran de télévision, que Marceline suit les débats houleux, à l’Assemblée nationale, qui conduiront à la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse. Elle voit son amie Simone « en baver ».

« La violence des députés face à elle est terrible, elle est attaquée en tant que Juive. On a fêté ça comme on a fêté toutes nos victoires, avec de la vodka et des harengs », se souvient-elle. Simone devient une icône. « La France l’aime comme je l’aime. C’est une femme formidable, une visionnaire. On a appris à s’aimer malgré nos différences. Simone c’est ma jumelle contradictoire. »

Simone Viel
Crédit photo : Keystone-France / Getty Images

Marques indélébiles : 78 651 pour Simone Jacob, 78 750 pour Marceline Rosenberg

Toutes ces années, les deux femmes se retrouvent souvent pour parler de leur vie et des épreuves traversées dans les camps, des souvenirs qui rendent leur amitié indéfectible. « Au début, son mari, Antoine, a eu du mal à l’accepter. Il était un peu jaloux, elle lui échappait. » Avec le temps qui passe, la mémoire de Simone s’efface. « Aujourd’hui, quand je vais la voir, elle me prend dans ses bras, elle a besoin de beaucoup de tendresse. »

De l’enfer qu’elles ont traversé, une marque reste indélébile : leur matricule – 78 651 pour Simone Jacob, 78 750 pour Marceline Rosenberg. « Un numéro avec une moitié d’étoile, pour marquer que nous sommes juives. Simone a fait graver le sien sur son épée d’académicienne. Moi je l’inscrirai sur ma pierre tombale. Pour que jamais ils ne disparaissent. »

* Les documentaires coréalisés avec son mari, Joris Ivens, ont été réunis en coffrets de DVD chez Arte Editions ; son film de fiction, La petite prairie aux bouleaux, avec Anouk Aimée, a été édité en DVD chez Tamasa Distribution.

** Ed. Robert Laffont ; lire aussi Et tu n’es pas revenu de Marceline Loridan-Ivens (éd. Grasset) et Simone, éternelle rebelle de Sarah Briand (éd. Fayard).

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ELIANY shlomo

Pourquoi doit-il exister des betes feroces humaines, qui pouraient detruire toute morale d’existance humaine, ? Est-ce Vanite ou Desir de dominer ? Pourtant l’homme n’a que 80 annees a subsister, s’efface comme une feuille morte, mais le soleil et la lune, tournent et font leurs trajectoires a jamais , et semblent considerer ces « fourmis » laborieux, avec leur semblant de Vanite…qui passe de mains en mains !Meme l’histoire s’efface devant l’eternite de l’Eternel.