Professeur émérite de l’université de Strasbourg, le sociologue Freddy Raphaël revient sur le projet de Mur des noms à Schirmeck. Mais il insiste sur la création d’« un centre de recherches et de transmission pédagogique ». Un point qui tient également à cœur au grand rabbin René Gutman.

par Yolande Baldeweck

Source : L’Alsace

Depuis cinquante ans, le sociologue Freddy Raphaël scrute la mémoire plurielle de l’Alsace. Sans complaisance, mais avec bienveillance.

La polémique autour du Mur des noms, à Schirmeck, avec toutes les victimes alsaciennes et mosellanes de la Seconde Guerre mondiale, ne l’a pas surpris. « En Alsace, plus que dans d’autres régions, il reste des cicatrices très vives dues à des douleurs et à des expériences contrastées, voire opposées, pendant la Seconde Guerre mondiale », rappelle-t-il.

Il met en garde contre une idée reçue : « La mémoire n’accumule pas les souvenirs, elle reconstruit le passé en fonction des interrogations du présent. »

Le projet de Mur des noms lui paraît pertinent. Évoquant celui du Mémorial de la Shoah, à Paris, il glisse : « C’est une trace des miens. »

Mais il comprend l’émotion suscitée par une seule liste alphabétique, contestée par les déportés et résistants (lire L’Alsace du 3 avril dernier) et par la communauté juive. « Il faut, à la fois faire mémoire de l’ensemble des victimes alsaciennes, quelles qu’aient été leurs expériences. Mais il faut respecter la diversité des engagements voulus ou des expériences subies », souligne-t-il, en préconisant « un mur découpé en plusieurs sections qui prennent en compte les différents destins ».

Il y aurait ainsi « une section pour les déportés raciaux et politiques, une section pour les résistants, une autre section pour les incorporés de force, à l’exception des volontaires ». « Un certain nombre de jeunes ont été versés, sans l’avoir voulu, dans la Waffen SS et ont dû participer à des actions où des garçons de 17 ans ont été privés de tout choix » , observe l’universitaire… qui n’oublie pas pour autant les victimes civiles.

Se recueillir ne suffit pas, il faut un travail de réflexion

Pour Freddy Raphaël, se recueillir ne suffit pas. Il plaide pour un projet plus ambitieux et qui ne se limite pas aux bornes informatiques permettant d’accéder aux fiches des victimes « Ce mur n’a de sens que s’il est accompagné d’un centre de recherches et de transmission pédagogique, sur le modèle de l’Historial de Péronne, dans la Somme, consacré à la Première Guerre mondiale » , affirme-t-il, en proposant de faire appel à des chercheurs de l’université et du CNRS, et à des pédagogues.

Deux axes de réflexion s’imposent, selon lui, le passé entrant en résonance avec le présent.

« Il faut étudier comment dans l’entre-deux-guerres, des mouvements ont pu se constituer, qui ont préparé la mainmise sur l’Alsace-Lorraine par le nazisme. Étudier le rôle des ligues nationales qui ont trouvé des relais agissants et des hommes de main qui prendront du poids dans l’Alsace annexée » , explique-t-il.

Pour aujourd’hui, « des recherches doivent porter sur la manière dont s’organisent en Alsace des organisations qui se réclament de formes contemporaines du racisme et du fascisme ».

Lui qui a été « un enfant traqué pendant la guerre, qui doit sa vie à des gens de tous bords », déplore le climat actuel. « On assiste à la banalisation de la xénophobie et au refus de la différence, au lieu de se sentir enrichi par la différence ». Le sociologue (qui continue, à 80 ans, de suivre des doctorants) tire la sonnette d’alarme. Il discerne « des éléments d’une idéologie comparable à celle de l’entre-deux-guerres en Alsace et en Lorraine, avec l’exploitation du malaise réel d’ordre économique et d’ordre culturel ». D’où « ce travail sur la mémoire qui permet de mieux appréhender ce qui est en train de se jouer ».

« C’est une mémoire non cicatrisée », estime de son côté le grand rabbin René Gutman, à propos des débats autour du Mur des noms. L’ancien président du consistoire, Jean Kahn, décédé en 2013, était d’ailleurs « opposé à un mur qui mélange toutes les victimes ».

Le grand rabbin de Colmar, lors d’une réunion, a cependant « justifié un mur commun par l’annexion de l’Alsace-Moselle, ce qui faisait de tous les habitants des victimes », explique René Gutman, en précisant que « cet argument a été repris par le président de la région Philippe Richert » qui porte le projet.

Un mur, trois murs… ou un mur sans noms ?

« Il s’est heurté cependant aux anciens résistants et aux familles de déportés. Ces dernières ne peuvent accepter que leurs morts soient associés aux enrôlés de force, et encore moins aux Waffen SS qui, bien qu’enrôlés de force, ont pu participer à des massacres », analyse le grand rabbin Gutman. Cela était perceptible, le 23 avril dernier, lorsque les noms des victimes alsaciennes de la Shoah ont été lus place Broglie…

« Faut-il un mur, trois murs… ou un mur sans noms ? L’essentiel n’est pas dans le monument, mais dans l’apport pédagogique, la manière dont l’histoire sera transmise aux générations futures », appuie René Gutman. Il regrette que « ce travail pédagogique qui existe, ait été pensé comme annexe, alors qu’il est plus important que le mur lui-même ».

Mais il faudrait aller plus loin, suggère-t-il, pour que « chaque personne soit identifiée par son histoire, son destin… »

Il lui semble dommage que « les Malgré-Nous ne se soient pas plus exprimé sur les combats auxquels ils ont participé ». Sur la manière dont les populations – et en particulier les juifs – ont réagi. « Ils auraient pu nous dire des choses qu’eux seuls savent », suggère sans acrimonie René Gutman. Car pour lui, « Les Malgré-Nous ont droit à leur mémorial ».

Des plaques différenciées

« On ne peut pas mélanger les noms, quels que soient les drames des uns et des autres », juge aussi Pierre Lévy, délégué régional du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) Alsace, qui déplore que « les fils et filles de déportés, pas plus que les résistants, n’aient pas été consultés pour ce Mur des noms ».

Pour lui, « il faut des plaques différenciées, ou alors uniquement des plaques pour les incorporés de force ». Les déportés juifs – à l’instar de son père – sont répertoriés sur le Mur du Mémorial de la Shoah. Y retrouver un nom est émouvant. Mais découvrir, sur la base de données, la photographie de la personne permet de s’approprier le drame des 76 000 victimes françaises, assassinées par les nazis. Il y a là un exemple pour le Mémorial de Schirmeck.

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hagoy

Je ne comprends pas que vous parliez de « l’Alsace », alors que selon la doxa actuelle palestinolâtre, vous devriez parler de « Cisgermanie occupée » !