Le Professeur Maurice-Ruben HAYOUN est un auteur prolifique et des plus ouverts sur son temps. Il peut aussi bien nous parler d’Emmanuel Levinas, du Golem de Gustav Meyrink comme nous donner son sentiment sur la politique nationale et internationale. Ici même, sur JForum, il nous a ainsi livré de très beaux textes.

Autre exemple de sa capacité d’adaptation, il profite de son séjour en Israël pour rédiger des chroniques, que nous avons le plaisir de retranscrire ici.

Voici la dernière d’entre elles (pour lire les six premières : Lettres d’Israël, par Maurice-Ruben HAYOUN©Lettres d’Israël II, par Maurice-Ruben HAYOUN©Lettres d’Israël III, par Maurice-Ruben HAYOUN©,  Lettres d’Israël IV, par Maurice-Ruben HAYOUN©, Lettres d’Israël V, par Maurice-Ruben HAYOUN©  et Lettres d’Israël VI, par Maurice-Ruben HAYOUN©


Lettre d’Israël VII : Importer les mœurs parisiennes en Israël ?
Ou l’alchimie d’une Alyah réussie…

On parle souvent, voire la plupart du temps, des Juifs qui émigrent en Israël pour s’y installer durablement et couper les ponts derrière eux ; on évoque bien plus rarement ceux qui reviennent, faute d’avoir pu ou su s’adapter à leur nouvel environnement.

C’est tout le débat autour d’une Alyah réussie ou gâchée…

Je dis gâchée pour ne pas user du terme échec ou du verbe échouer car tout dépend, en fait, de ce que l’on attend, de ce que l’on espère et du possible.

Israël est, certes, le pays des ancêtres, le lieu, comme l’avait dit David Ben Gourion en proclamant l’indépendance de l’Etat, où le peuple juif a fait son apparition sur la scène de l’histoire universelle ; il demeure que plus de deux millénaires d’exil et de dispersion sur toute la surface du globe ont créé des habitudes, généré des mœurs dont on a du mal à se défaire. Hegel disait que l’habitude est une seconde nature.

A mon avis, c’et la racine du mal. On ne peut pas espérer emporter avec soi les pratiques, les habitudes et les mœurs de nos pays d’origine.Résultat de recherche d'images

Je souris en pensant à un passage du Judenstaat de Théodore Herzl, qui pensait en toute bonne foi que, comme à Vienne, les futurs boulangers de Jérusalem feraient cuire des heisse Semmel (petits pains chauds) à consommer pour le petit déjeuner.Résultat de recherche d'images pour "heisse Semmel"

Le fondateur de l’Etat des juifs n’en aurait pas cru ses yeux ni ses oreilles si on lui avait prédit qu’en Israël, ce sont les pittot, le houmous et la tehina qui se seraient imposés sans réserve…

Mais ce n’est pas tout. On évalue à près à trente pour cent le nombre d’émigrants qui reprennent la route de leur pays d’origine. Il faut s’interroger sur ce phénomène. Afin de tenter d’y obvier en aidant les gens à s’adapter et je dois reconnaître que ce n’est pas toujours facile.

Passons en revue quelques causes de ce reflux qui est, grâce au Ciel, mieux endigué.

Il y a de prime abord, une mentalité générale, si peu compatible avec ce qui se passe en France et en Europe. Détail croustillant : lors d’un sondage, les Israéliens de souche ont stigmatisé l’arrogance, réelle ou supposée, des Français qui les prennent de haut, se montrent très exigeants, etc…

Tout en étant un simple touriste – et je laisse de côté les critiques à l’égard de la compagnie aérienne nationale – chacun d’entre nous a vécu les pires désagréments en revenant occuper son appartement, resté inoccupé durant de longs mois d’hiver ou le reste de l’année.

L’eau chaude fait défaut, la climatisation doit être réparée, parfois même aussi le tableau électrique, ou la télévision : payer encore et encore !!

Bref ce qui, ici, va de soi, fait là-bas problème. ET c’est de là que vient le mal – en araméen talmudique on dit: da ‘akka…

Il n’est pas un seul parisien, acquéreur d’une maison ou d’un appartement à Tel Aviv, Natanya ou ailleurs qui ne se plaigne des difficultés de traiter avec les promoteurs immobiliers, les notaires, les entrepreneurs du bâtiment, les fameux kablanim.

Je n’ai pas moi-même fait cette expérience, n’étant propriétaire de rien, mais je connais nombre de gens, absolument dignes de foi, qui ont subi de telles avanies. Des appartements payés très cher et dont la livraison ne s’est pas faite selon les règles en vigueur chez nous, des malfaçons de toute sorte, des revirements quant au prix final, des retards dans la livraison du bien acheté, bref toutes sortes de vicissitudes qui rendent la vie amère, même si, comparées aux menaces pesant sur ce pays, de telles choses sont des broutilles ou des vétilles.

Mais la vie est aussi faite de ce genre de difficultés matérielles dont on souhaite qu’il y soit mis fin.

Par malheur, l’Etat d’Israël ne s’est toujours pas doté d’une législation forte punissant clairement toutes les entreprises ou les professionnels qui abusent de la crédulité des gens, de leur inexpérience ou qui abusent tout simplement de l’ignorance de la langue.

En effet, les abus, les exploitations, les insincérités, bref tout ce qui indispose gravement les nouveaux venus, doit disparaître.

Je voudrais évoquer ici en termes voilés le discours d’un restaurateur qui s’est installé à Herzliya, la banlieue chic de Tel Aviv. Ce quinquagénaire, pourtant aguerri et auquel on ne la fait pas,  m’a entretenu pendant dix bonnes minutes de toutes les avanies qui lui furent imposées lors de son installation en Israël. Profondément sioniste, fier d’être enfin citoyen israélien, il m’a énuméré les différentes façons qu’ont les Israéliens sur place d’exploiter l’ignorance et la bonne foi des nouveaux venus.

J’avoue que cela m’a glacé et aussi rappelé certaines expériences vécues sur place : non respect de la ponctualité, non respect du prix convenu, rajout de prestations imaginaires nécessitant un enchérissement du produit ou du service attendu, notification tardive de la non venue d’un ouvrier arguant d’embouteillages ou d’autres obstacles invérifiables, etc… La liste est longue.

Alors comment s’y prendre pour que tout cela cesse et que l’arrivée en Israël n’évoque ni Courteline ni Kafka mais soit un paradis sur terre (gan éden alé adamot) ?

Je crois que la première thérapie est de se dire qu’aucune comparaison avec ce qui se fait à Paris n’est transposable en Israël.

Je me souviens d’un échange avec une jeune réceptionniste d’un grand hôtel d’Eilat. Je venais lui demander un accès payant à internet et me plaignais des retards, des difficultés, etc… Voulez-vous savoir ce qu’elle me répondit, cette trentenaire, née à Budapest et présente en Israël depuis une vingtaine d’années : Tu me dis que tu es professeur des universités ; oui, répondis je. Elle enchaîna : et tu ne t’es toujours pas rendu compte que tu te trouves en Orient…

Ma réaction fut d’esquisser un sourire triste et de battre prudemment en retraite.

Oui, Israël, c’est l’Orient… Celui ou celle qui croit pouvoir importer nos mœurs de Paris à Tel Aviv ou ailleurs, se trompe, il ou elle commet une lourde erreur.

J’ai assisté à de curieux échanges des tables voisines avec les maîtres d’hôtel du restaurant gastronomique du Hilton de Tel Aviv… Les consommateurs insistant pour que tout soit comparable au service en vigueur dans des restaurants étoilés de Paris ou d’ailleurs… Vous pouvez deviner la suite et surtout la réaction des serveurs israéliens !!

Le rapport à l’autre, à l’argent, au voisin, à la vie en général, est radicalement différent. Essayer de convaincre les copropriétaires d’un même immeuble de payer ponctuellement les charges relève du miracle.

D’où des appartements qui se délitent au point que la mairie impose désormais une réhabilitation autoritaire.

Que dire de plus ? La vie n’est pas simplement difficile dans ce pays, elle est aussi chère, ce qui développe chez les gens un rapport singulier à l’argent. Il est loin le temps où les juifs étaient solidaires les uns des autres, se respectaient les uns les autres et appliquaient les règles élémentaires de la Tora.

Dans ce chapitre, les rabbins devraient être les premiers à donner l’exemple : c’est loin d’être le cas. La plupart pensent d’abord à eux car le rabbinat n’est plus une vocation, c’est devenu une profession.

Mais la conclusion sera positive : l’existence d’Israël est un miracle, oui un miracle quotidien, comme le dit de Dieu la prière matinale : mehaddesh be khol yom tamid ma’assé béréchit.

Oui, le Seigneur réédite chaque jour l’œuvre du commencement. Il le fera aussi longtemps que nécessaire. Et comme il a l’éternité devant Lui, cela donnera aux Israéliens le temps de changer.

Dans le bon sens.

Maurice-Ruben HAYOUN

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Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève

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Danielle

La paracha de cette semaine chelah résumé la réaction de Ruben Yaoun quant à la critique d’Israël. A l’entendre tout est nul rien ne trouve grâce à ses yeux c’est insupportable! Oui la génération du désert. n’a pas eu le droit de rentrer en Israël pour les mêmes motifs !

Danielle

Régine
Tout ce qu’a écrit M. Ruben Hayoun est juste et nous agace prodigieusement, nous les Français vivant en Israël. On peut ajouter que le téléphone portable est aussi une nuisance quand un Israélien vous hurle dans l’oreille son désaccord avec son interlocuteur…. Mais quel binheur de se promener dans nos rues et de se dire: on est chez nous. Quel bonheur de se dire « Hag Sameah » un jour de fête même par ceux qui ne vont pas à la syna. Quel bonheur d’entendre les collégiens parler hébreu dans les bus et se sentir chez eux…
Le problème des français, j’en suis aussi et j’en ai conscience, c’est de tout critiquer au lieu d’accepter les inconvénients des situations! Et puis, après tout personne ne nous oblige à faire notre aliah!!!!!

Danielle

Qu’Israël ne soit pas la France, ça c’est certain, mais qui vous a dit que Eretz Israel doit ressembler à un
autre pays ?
Quant à la cherté de la vie et aux injustices, ça c’est certain Israël ressemble à la France, mais alors ?
Il vaut mieux laver son linge sale en famille, mais il faut aussi en être convaincu !