Pourquoi la justice s’intéresse à l’imam de Brest
Le parquet breton a diligenté une enquête préliminaire sur Rachid Abou Houdeyfa, que François Hollande avait qualifié de « prêcheur de haine » à la télévision.
Quelle information nouvelle a bien pu motiver la saisine du groupe d’intervention régional de la police et l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Brest à l’encontre de l’imam de Pontanezen, révélée mercredi matin par Le Télégramme de Brest ? Le religieux en charge de la mosquée Sunna de la rue de Gouesnou, à Brest, avait fait parler de lui, il y a quelques mois, à l’occasion de la (re)publication de l’un de ses prêches sur les réseaux sociaux. On l’y voyait condamner l’écoute du rock’n’roll… dans des termes outranciers. « Un mauvais procès », balaye l’intéressé, qui regrette qu’on ait monté en épingle ce propos « tiré de son contexte ».
Omniprésent sur les plateformes de partage de vidéos, où Rachid Abou Houdeyfa avait gagné la réputation d’« imam youtubeur » (on a compté jusqu’à 900 heures d’enregistrements cumulés de sa part), le Breton a, en tout cas, fait le ménage sur Internet. Sa page Facebook comme son site personnel ont été expurgés depuis cet épisode. Et ses prises de parole les plus rigoristes supprimées au lendemain des attentats de novembre, qu’il a d’ailleurs condamnés fermement.
Rigoriste ou extrémiste ?
Dans ses derniers enseignements filmés, il multiplie les efforts pour apparaître « rigoriste, certes, mais pas extrémiste », comme l’explique l’un des 150 fidèles de sa mosquée. Il apparaît ainsi sans gothra (un couvre-chef commun dans la péninsule arabique) et portant un discours sans ambiguïté contre les « semeurs de haine ».
Sur le Web, il prend soin de rappeler qu’il n’est « ni salafi, ni Frère musulman, mais simple musulman de rite malikite ». En référence à l’une des quatre écoles juridiques sunnites se réclamant de l’héritage de Mālik ibn Anas (711-795) et non, comme il est écrit parfois, du compagnon de Mahomet, Anas ibn Malik (612-709), dont la tombe est située à Bassorah dans le sud-est de l’Irak. Les défenseurs de Rachid Abou Houdeyfa soulignent qu’il est d’ailleurs menacé de mort par Daech pour son engagement contre le terrorisme. Son nom est, de fait, cité comme une cible dans la revue en langue française – Dabiq – de l’organisation djihadiste.
Le tacle du président
Il n’empêche ! Cité par François Hollande comme un « prêcheur de haine » lors del’émission Dialogues citoyens, sur France 2, le 14 avril dernier, l’imam de Brest fait aujourd’hui l’objet de nouvelles investigations. Sur le site du centre culturel islamique de Brest, qui chapeaute la mosquée Sunna, l’imam a tenu à répliquer aux propos tenus à son endroit par le président de la République. Des affirmations qualifiées d’« erreurs et d’approximations », selon son communiqué qui dénonce aussi la présentation qui a été faite de lui à la télévision :
« Nous sommes surpris d’observer que pour illustrer la radicalisation et l’extrémisme, on utilise l’image en arrière-plan et un extrait vidéo soigneusement tronqué de l’imam de Brest Rachid Abou Houdeyfa, alors qu’on aurait pu logiquement illustrer cette émission avec les vraies images des vrais terroristes et recruteurs appartenant à Daech, comme ceux ayant commis les attentats de Paris ou de Bruxelles », relève le communiqué du CCIB29. Celui-ci précise également que « le chef de l’État a affirmé à tort que la mosquée Sunna de Brest, où l’imam intervient ponctuellement a été fermée. Il s’avère pourtant que ce n’est pas le cas et nous pensons que le chef de l’État a dû être mal renseigné ou qu’il s’est trompé de dossier (et de mosquée). »
Une enquête de pure forme ?
Dans le même document, les responsables de la mosquée bretonne martèlent que leur imam « n’est (mis en cause) dans aucune procédure judiciaire, n’a fait l’objet d’aucune plainte ou condamnation (…), n’a jamais commis le moindre délit pénal (…) n’a jamais enfreint la moindre loi ou été mis en examen suite à ses discours, contrairement à beaucoup de personnes ».
Les partisans d’Abou Houdeyfa affirment aujourd’hui que « les récents développements judiciaires n’ont pour but que de rattraper une bourde présidentielle ». Ils rappellent que, lors de la perquisition de leur lieu de culte en novembre dernier dans le cadre d’une procédure administrative, liée à la mise en place de l’état d’urgence, les services de l’État n’ont retrouvé aucun élément qui relierait l’imam à la mouvance islamiste.
Des liens qui interrogent
D’autres données auraient cependant été rassemblées, depuis, qui contredisent cette version angélique. Les enquêteurs s’interrogent ainsi sur les liens entretenus par Rachid Abou Houdeyfa avec des personnalités sulfureuses. Comme son prédécesseur: l’imam algérien Abdelkader Yahia Cherif, expulsé de France en 2004 pour avoir appelé au djihad dans la mosquée de Pontanezen. Le même Abdelkader Yahia Cherif serait, de fait, revenu clandestinement, à plusieurs reprises, en Bretagne depuis 2010.
Les fréquentations de Rachid El Zay, le vrai nom de Rachid Abou Houdeyfa, « un ancien épicier qui s’est autoproclamé imam », précise non sans perfidie une source anonyme (en référence à un petit commerce que l’intéressé a tenu pendant quelques mois rue Degas à Brest), justifieraient les investigations menées. Les enquêteurs s’interrogent aussi sur l’origine des financements qui lui permettent de mener grand train et d’envisager notamment l’extension de sa mosquée. L’administration se penche actuellement sur la nature des voyages que l’imam a effectués ces dernières années à destination du Canada. La police s’intéresse aussi aux « personnalités de la péninsule arabique » qu’il a rencontrées et dont certaines pourraient être associées indirectement à des groupuscules djihadistes.