L’étude du judaïsme tunisien a connu un essor récent, en particulier grâce aux associations de Juifs originaires de diverses communautés de Tunisie. 

L´écrivain Albert Memmi, originaire de cette communauté, écrit : «Quand je sus un peu d´histoire, j´en eu le vertige ; Phéniciens, Romains, Vandales, Byzantins, Berbères, Arabes, Espagnols, Turcs, Italiens, Français, j´en oublie et je dois en confondre. Cinq cents pas de promenade et l´on change de civilisation.»

Les origines de la présence juive

Les premiers documents attestant de la présence de Juifs en Tunisie datent du IIe siècle. Tertullien décrit en effet des communautés juives aux côtés desquelles vivent des païens ; le succès rencontré par le prosélytisme juif pousse d’ailleurs les autorités païennes à prendre des mesures légales alors que Tertullien rédige dans le même temps un pamphlet contre le judaïsme.

Selon la tradition orale, la première vague migratoire de Juifs en direction des côtes de Tunisie, date de la destruction du Premier temple de Jérusalem Des Cohanim (prêtres) qui se seraient installés dans l’actuelle Tunisie après la destruction du Temple de Salomon par l’empereur Nabuchodonosor en 586 av. J.-C.; auraient emporté un vestige du Temple détruit, conservé dans la Ghriba de Djerba, et en auraient fait un lieu de pèlerinage et de vénération jusqu’à nos jours.

Après la conquête romaine en 146 av. J.-C., la population juive de la province d´Afrique se fit plus nombreuse. À ceux déjà implantés dans le pays s´ajoutèrent ceux venus de Rome où une colonie juive est attestée depuis la fin du IIe siècle avant l´ère chrétienne et ceux de Judée après la prise de Jérusalem par Titus en 70 ou de Cyrénaïque après l´écrasement de la révolte juive de 115-117. La population juive s´accrut encore par la conversion d´autochtones de race berbère, parmi lesquels les juifs de souche avaient déployé un vigoureux effort de prosélytisme.

Une synagogue du IIIe ou IVe siècle, est découverte à Naro (actuelle Hammam Lif) en 1883. D’autres communautés juives sont attestées à Utique, Chemtou, Hadrumète ou Thusuros (actuelle Tozeur).

Comme les autres Juifs de l’empire, ceux de l’Afrique romaine sont romanisés de plus ou moins longue date, portent des noms latins ou latinisés, arborent la toge et parlent le latin, même s’ils conservent la connaissance du grec, langue de la diaspora juive à l’époque.

Selon saint Augustin, seules leurs mœurs, modelées par les préceptes religieux juifs (circoncision, cacherout, observance du Chabbat, pudeur vestimentaire), les distinguent du reste de la population.

Sur le plan intellectuel, ils s’adonnent à la traduction pour des clients chrétiens et à l’étude de la Loi, de nombreux rabbins étant originaires de Carthage. Sur le plan économique, ils exercent divers métiers dans l’agriculture, l’élevage du bétail et le commerce.

Leur situation se modifie à partir de l’édit de Milan (313) qui légalise le christianisme. Les Juifs sont alors progressivement exclus de la plupart des fonctions publiques et le prosélytisme est sévèrement puni.

La construction de nouvelles synagogues est interdite vers la fin du IVe siècle. Toutefois, les recommandations de divers conciles tenus par l’Église de Carthage, recommandant aux chrétiens de ne pas suivre certaines pratiques de leurs voisins juifs, témoignent du maintien de leur influence.

Après la conquête arabe

La conquête arabe du VIIe siècle se heurta longtemps à la résistance farouche des Berbères. À la lutte contre les envahisseurs prirent une part active des tribus berbères judaïsées avec, à leur tête, la reine de l’Aurès, la Kahéna, dont l’historien Ibn Khaldoun affirme qu’elle était juive.

 

Les conquérants arabes finirent par se rendre maîtres du pays. Ils contraignirent par la force des armes les populations païennes locales à se convertir à l’islam, mais reconnurent aux  » Hommes du Livre « , adeptes du monothéisme – juifs et chrétiens – le droit de pratiquer leur religion à condition de verser une capitation, la jezya, en retour de la protection ou dhimma, et d’un statut inférieur à celui des musulmans.

Les juifs de l’ancienne province romaine d’Afrique – l’Ifriqiya – bénéficièrent de conditions de vie clémentes sous les dynasties aghlabite, fatimide et ziride. Ils vivaient dans la capitale, Kairouan – où des textes font mention d’une hara al-yehoud – mais aussi à Sousse, Mahdia et Gabès.

Les innombrables documents de la Geniza du Caire, qui ont renouvelé nos connaissances du monde musulman au Moyen Age, témoignent du rôle que jouaient les juifs dans l’économie de l’Ifriqiya et plus particulièrement dans ses échanges par terre et par mer avec Erets-Israël, l’Espagne et la Sicile, ‘Egypte et l’Inde.

Les études talmudiques s’épanouirent sous l´impulsion de Houshiel b. lhanan ; le médecin et philosophe Itzhak b. Sulayman Israeli, né au Caire mais établi à Kairouan, attacha son nom à des traités médicaux qui firent longtemps autorité et à des œuvres philosophiques d’inspiration néo-platonicienne.

Son disciple, Dounash ben Tamim, grammairien et philosophe, composa un important commentaire du Sefer Hayetsira, l´un des plus anciens monuments de la Kabbale ; le savant Nissim b. Jacob a laissé, entre autres, un recueil de contes édifiants intitulé Hibbur yaffe meha-yeshua (ou  » Livre de la consolation « ) qui constitue le premier livre de contes de la littérature juive médiévale. Le Rav Nissim Ben Yaacov (990-1062), fils du correspondant du Gaon Sherirah, est appelé « Lumière en israël ». Il est également estimé par les Musulmans.

Vers le milieu du XIe siècle, l’Ifriqiya fut secouée par l’invasion hilalienne. Les tribus des Bani-Hilal, cantonnées jusque-là en Basse-Egypte, s’abattirent sur l’Ifriqiya, dévastant tout sur leur passage.

Les Arabes hilaliens parvinrent en 1057 à s’emparer de Kairouan en forçant la plupart de ses habitants juifs et musulmans à se réfugier dans les villes côtières : Mahdia, Sousse et Tunis.

C’est alors, semble-t-il, que la communauté juive de Tunis qui, selon la tradition orale, s’était formée à l’époque du jurisconsulte Sidi Mahrez (c. 1022), s’épanouit à la faveur de la paix relative dont jouissait la ville tandis que le reste du pays était en proie à l’anarchie.

Vers le milieu du XIIe siècle, le souverain marocain Abd el-Moumen gagné à la doctrine intransigeante almohade et décidé à la faire triompher, entreprit la conquête de tout le Maghreb. Ayant franchi les frontières de l’Ifriqiya, il n’eut pas de peine à s’en rendre maître en 1160.Dans toutes les villes soumises à son autorité il invita les juifs comme les chrétiens à choisir entre la mort et la conversion à l’islam.

Des additions à une élégie du poète Abraham Ibn Ezra font état des épreuves que traversèrent alors les communautés de Tunis, Sousse, Mahdia, Sfax, Gafsa, Gabès et Djerba.

Partout les juifs furent contraints de se convertir et tout en professant extérieurement l’islam, ils restèrent fidèles au judaïsme qu’ils continuèrent d’observer en secret. Les Almohades imposèrent à tous les juifs du Maghreb un signe distinctif, la shikla, et des vêtements de forme et de couleur spéciales permettant de les reconnaître.

Maïmonide qui traversa la Méditerranée vers 1165 pour se rendre en Egypte, fit escale à Djerba. Il mentionnera brièvement la communauté juive résidant dans l’île et en dira peu de bien.

Aux XIIIe et XIVe siècles, la dynastie des Hafsides présida aux destinées du pays, faisant de Tunis leur capitale. Ses souverains revinrent à une conception plus libérale de l’islam. Juifs comme chrétiens furent de nouveau soumis au statut traditionnel des dhimmis : astreints à la capitation et objets de discriminations vestimentaires, mais ne subissant pas d’entraves à leurs activités professionnelles.

Ils exerçaient les métiers d’orfèvres, de teinturiers, de tailleurs, comme en témoigne l’onomastique juive; ils jouaient un rôle notable dans les relations avec l’étranger ; ils étaient appelés à exercer certaines charges officielles, telle celle de  » grand douanier  » généralement confiée à un juif. Ils pouvaient en toute liberté exercer leur culte.

Comme aux premiers siècles de l’islam, les communautés juives bénéficiaient d’une relative autonomie qui leur permettait de s’administrer et de satisfaire leurs besoins en matière cultuelle et sociale. Les études talmudiques furent favorisées par les contacts qui s’établirent avec les savants rabbins d’Alger, consultés par les communautés tunisiennes sur de nombreux points de droit.

Ce sont d’ailleurs les  » responsa  » des décisionnaires d’Alger qui constituent l’une des meilleures sources d’information sur les juifs de Tunisie sous les Hafsides.

A la fin du XVe siècle, les juifs chassés d’Espagne et du Portugal par les rois chrétiens furent nombreux à trouver un refuge dans le Maghreb musulman. Mais les judéo-espagnols se portèrent davantage vers le Maghreb oriental. Le petit nombre de ceux qui vinrent s’établir en Tunisie expliquent qu’ils n’aient pas tardé à se fondre dans la masse des juifs indigènes.

Au XVIe siècle, Turcs et Espagnols se disputèrent la possession de la Berbérie orientale. Les juifs furent éprouvés au cours des combats que se livrèrent les deux puissances ennemies, mais ni plus ni moins que les autres segments de la population locale.

Lors de la prise de Tunis par les Espagnols en 1535, de nombreux juifs furent faits prisonniers et vendus comme esclaves dans plusieurs pays chrétiens. Cependant, durant les quelque quarante ans que dura l’occupation espagnole, il ne semble pas qu’elle ait donné lieu à la persécution systématique des juifs. ( A suivre )

Par Robert Attal et Claude Sitbon   Adaptation par Joël Haï GUEDJ

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ahmed

bonjour …
svp… ya.t.il un document sur les juifs d elle hara gafsa tnisie

[…] un précédent article nous avons évoqué les origines de l’implantation des juifs en Tunisie jusqu’aux […]

[…] un précédent article nous avons évoqué les origines de l’implantation des juifs en Tunisie jusqu’aux temps des […]

Abraham

Les Juifs de Tunisie: des origines aux temps du Dey

Très bon article et j’espère avoirle plaisir de lire la suite. Mals,je voudrais préciser deux points .Le premier les premiers qui occupaient cette terre furent les Berbères et non les phéniciens, le second le gouverneur désigné par l’empire Ottoman pour la Tunisie avait le titre de Bey.

Hamdellah Abraz

Fort instructif et intéressant ce bref exposé historique sur les Juifs originaires de Tunisie. Il est à lier, globalement, à la présence des Juifs en Afrique du Nord berbère, lesquels avec leur départ ont laissé place à une certaine stagnation touchant tous les segments de vie au quotidien des autochtones. L’on voit en conséquence, en dépit de ce qui est appelé les indépendances nationales des trois principaux pays d’Afrique du Nord ( Maroc, Algérie et Tunisie), que leurs « machineries internes » ne tournent pas au niveau requis par le 21ème siècle.