Tariq Ramadan, saison 2. Pas question de se laisser oublier, ni doubler par d’autres. Avec constance, le théologien musulman controversé envoie, ces derniers mois, le même signal : la France est un terrain où il veut demeurer très présent. Et même plus : y être une voix qui compte. Le voilà donc de retour. Et sur ses fondamentaux.

A la mi-octobre, il a officiellement donné le coup d’envoi de son propre centre de formation : l’Institut islamique de formation à l’éthique (IIFE). Malgré l’intitulé, il s’agit bien de théologie, les bases, en fait, des sciences islamiques. Quant à sa demande de nationalité française, «elle est plus que jamais d’actualité», assure-t-il à Libération. Même si elle n’est toujours pas parvenue aux autorités. «On m’a prévenu que ce serait long. J’attends des documents administratifs pour déposer le dossier», précise-t-il. Raté donc pour ceux qui espéraient que sa volonté de devenir français, annoncée avec fracas en février sur sa page Facebook, était un coup de bluff. Ce post a été l’un des derniers coups d’éclat de celui qui est un habitué du «buzz» et de la polémique.

En revanche, il a été extrêmement discret sur le lancement de l’IIFE. La formation mêle e-learning et journées de formation en «présentiel», par le «maître» lui-même, huit en tout étalées jusqu’à mai. Comme toujours avec Ramadan, c’est le succès. Plus de 500 inscrits sur le numérique, 150 «étudiants» pour la première journée en live. S’il avait pu trouver une salle adéquate, Ramadan affirme qu’il aurait pu en rassembler trois fois plus. De fait, sa force a toujours été de renouveler son auditoire, des trentenaires pour la plupart. Mais selon le théologien, il n’est pas question de former du personnel pour les mosquées. «Même si des imams suivent ma formation», dit-il.

«Le come-back d’une rock star ?»

Après s’être rêvé une carrière internationale, Tariq Ramadan réinvestit nettement la France. Au dernier rassemblement de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF, proche des Frères musulmans), en mai au Bourget, il était omniprésent, enchaînant interventions, signatures et ventes de ses livres. Mais pour quoi faire ? Ses réseaux, très actifs jusqu’au milieu des années 2000, se sont clairsemés. La plupart des premiers compagnons de route l’ont abandonné. «Il est en perte de vitesse», estime Farid Abdelkrim, qui fut l’un des leaders importants des années 90 de la mouvance des Frères musulmans avec laquelle il a rompu depuis. «C’est un peu comme une rock star qui voudrait faire son come-back», poursuit-il. Même Nabil Ennasri, l’un de ses grands fidèles, s’est éloigné. «Tariq Ramadan n’a pas eu une attitude claire au moment du mariage pour tous, ne s’engageant pas contre le projet du gouvernement», lui reproche-t-il. Nabil Ennasri estime aussi que son mentor n’a pas suffisamment soutenu les printemps arabes. Sur le terrain théologique, d’autres leaders ont émergé comme le libéral Tareq Oubrou de Bordeaux, ou des plus jeunes comme Mohamed Bajrafil ou Ousmane Timera. Au plan plus politique, la personnalité émergente est Marwan Muhammad, le pugnace directeur du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF).

L’attrait de Ramadan pour l’Hexagone est un retour aux sources. Et surtout le moyen de solidifier son audience et de prolonger sa notoriété. «La France a été sa première base», commente Omero Marongiu-Perria, sociologue spécialiste de la diversité, converti à l’islam, et jadis proche du théologien. A un Tariq Ramadan inconnu et à peine trentenaire, la France a offert, au début des années 90, une tribune, un public, une aura. Petit-fils du fondateur des Frères musulmans, Hassan el-Banna (son père, Saïd a épousé la fille de celui-ci), Ramadan est propulsé sur le devant de la scène par l’UOIF. «On l’a vu pour la première fois au congrès du Bourget en 1993, raconte Omero Marongiu-Perria. D’emblée, Ramadan a eu un impact très fort sur nous. Il s’exprimait parfaitement en français, avait une stature intellectuelle […], nous parlait d’engagement dans la société.» Très vite, le théologien devient l’un des acteurs principaux de la réislamisation de la deuxième génération, en quête de racines et en rupture avec l’islam traditionnel de leurs parents. Pour Ramadan, c’est l’heure de gloire…

Mais après les attentats du 11 Septembre, le vent tourne. Il est soupçonné d’être le propagateur de l’islamisme, de promouvoir une identité «communautaire». 2003 est l’année des grandes polémiques. Il est accusé d’antisémitisme à cause d’une tribune où il liste un certain nombre d’intellectuels juifs trop pro-sionistes à ses yeux. Dans la foulée, sa présence au Forum social européen (il s’est rapproché des milieux altermondialistes) est violemment contestée. Lui a d’autres ambitions, internationales celles-là. «Tariq Ramadan a toujours recherché une reconnaissance universitaire», remarque Bernard Godard, l’un des meilleurs experts de l’islam de France. Echec aux Etats-Unis qui lui refusent l’entrée sur leur territoire. Direction la Grande-Bretagne où il s’installe en 2005. Quatre ans plus tard, il obtient à Oxford une chaire d’études islamiques contemporaines, toujours financée par l’émir du Qatar.

A l’international, l’aura de Ramadan n’a jamais atteint celle qu’il a eue en France. De la Malaisie à l’Afrique francophone en passant par le Qatar, le théologien est certes très présent sur la scène musulmane. Mais outre-Manche, par exemple, il n’est qu’un intervenant parmi d’autres, absent des débats qui ont lieu notamment lors de l’élection du maire de Londres, Sadiq Khan. A l’étranger plus qu’en France, Tariq Ramadan, sur le terrain théologique, se frotte aussi à des contradicteurs. En 2013, au Sénégal, une polémique l’a opposé à l’intellectuel Bakary Sambe qui lui reprochait un certain néocolonialisme de la pensée à l’égard des musulmans d’Afrique noire.

«Scénario houellebecquien»

Est-ce pour se reconstruire des réseaux qu’il veut demander la nationalité et qu’il vient de lancer son institut de formation ? Sûrement. «J’encourage les jeunes qui viennent m’écouter à s’engager politiquement, à participer aux débats et à surtout ne pas se laisser cantonner à des thématiques auxquelles on voudrait les assigner, l’islam, l’immigration», dit le théologien. Mais la forme de cet engagement est encore floue. Tariq Ramadan dément cependant avoir un agenda électoral. «Je n’ai pas en tête un scénario houellebecquien», clame-t-il, faisant référence à Soumission le roman de Michel Houellebecq, qui mettait en scène un président de la République issu d’un parti musulman. Mais il s’amuse quand même en laissant planer le doute. Il n’entend pas jouer un rôle«pour cette présidentielle, mais peut-être pour la suivante», lâche-t-il. «C’est la France qui a besoin de Tariq Ramadan. Il est l’un des seuls qui puisse faire le pont entre la gauche et les quartiers populaires», défend l’un de ses proches. L’ébauche d’une feuille de route…

Quoi qu’il en soit, Ramadan soigne ses relations. Grâce à l’entremise de son ami Alain Gresh, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, il a rencontré, discrètement il y a quelques mois, Nathalie Goulet, sénatrice UDI de l’Orne, corapporteure de la mission d’information du Sénat sur l’organisation et le financement de l’islam de France. «Elle voulait que je sois auditionné. Mais les autres membres ont refusé» , raconte-t-il. Pour un Tariq Ramadan, l’espace politique, en France, existe. Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’Ifop, spécialiste du vote confessionnel, le confirme. «L’électorat musulman est en jachère», affirme le sondeur. Après avoir voté très longtemps à gauche (à plus de 86 % en 2012 pour François Hollande), il s’est réfugié massivement dans l’abstention. «Je veux être sur le terrain, explicite le théologien, m’intéresser à des problématiques comme l’environnement, les migrants.» Pour en faire quoi ? Lui seul le sait. Mais, comme le dit Bernard Godard : «Tariq Ramadan a toujours eu un coup d’avance.»

Source : liberation.fr

Article paru également dans La Liberté le 19 novembre 2016.

Photo : Tariq Ramadan au congrès de l’Union des organisations islamiques de France, le 6 février au Bourget.

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Jcg

France pays phare pour l islam , le plus receptif , non seulement pour les muzzs , mais pour les francouillons toujours collabos !