Loi Travail : entre élites sclérosées et syndicalisme périmé

Manifestations anti-loi Travail - Douchy-les-Mines, Nord

FIGAROVOX/ANALYSE – Manifestations contre la loi Travail, grèves, blocages de raffineries… Il y a quelque chose de dépassé et d’usant dans le climat de guerre civile qui colle à l’image de notre pays, estime Eric Delbecque.


Eric Delbecque est directeur du département intelligence stratégique de SIFARIS, chef du pôle intelligence économique de l’IFET et auteur de Idéologie sécuritaire et société de surveillance(Vuibert).


Les manifestations contre la loi Travail, qui donnèrent lieu à l’agression de l’adjoint de sécurité Kévin Philippy, et à l’incendie d’une voiture de police, ainsi que l’actuel bras de fer musclé entre le gouvernement et la CGT, signent le retour de la violence sur la scène sociale. Le phénomène monte en puissance depuis quelques années mais l’on sent désormais que s’exprime ici quelque chose de plus en plus fort et inquiétant sur l’évolution politique de notre pays.

On comprend clairement que la radicalité idéologique gagne du terrain et manifeste le renouveau de l’extrémisme de gauche et de droite à la mesure du discrédit des élites en général et de nos dirigeants en particulier. Plus loin encore qu’une adhésion à un parti ou à une série de thèses programmatiques, nous faisons face ici à une crise de confiance préoccupante qui peut rappeler le climat «ligueux» des années 30. Il ne s’agit pas de faire des comparaisons faciles mais de mettre à jour une analogie fondée. Le 6 février 1934 témoigna d’une sorte d’exaspération populaire se cristallisant dans quelques organisations activistes et quelques individus décidés à en découdre: cela ne va pas sans évoquer la délégitimation du personnel gouvernemental qui nous touche en 2016.

Vivrons-nous les mêmes événements dramatiques ultérieurs? L’affirmer serait une pure pétition de principe qui n’a guère de sens. En revanche, on ne peut éviter d’imaginer que cette situation est rapidement susceptible de glisser dans l’incontrôlable.

Le divorce sans consentement mutuel entre le peuple et sa classe gouvernante semble porter – chaque jour davantage – des menaces de dérapages de moins en moins maîtrisables. Bien entendu, ce désordre croissant et ce bouillonnement des esprits ne rassurent pas sur les échéances présidentielles de 2017. A quoi s’attendre? Un nouveau progrès notable du FN, une fragmentation du vote, de l’expression populaire, laquelle serait encore plus incapacitante pour l’Hexagone? Une avancée notable du radicalisme témoignant de l’impasse du politiquement correct et de la chape de plomb idéologique qui stérilise le débat intellectuel et politique? Difficile de statuer.

Populisme? Mot piégé…

En tout état de cause, il est trop simple de dénoncer un éternel populisme… Préalablement, il faut savoir de qui l’on parle. Qui est le peuple? Mot piégé, mot valise et sulfureux après avoir été glorieux… Le peuple, ce sont tous ceux (des dizaines de millions) qui vivent dans le réel, cette histoire qui blesse, qui réjouit, qui s’impose, que l’on accepte ou que l’on combat ; le réel est cet air quotidien qui nous enveloppe et nous traverse, qui ne nous laisse pas le choix de douter de son existence. Les Bien-Pensants (nos élites dans leur écrasante majorité: c’est-à-dire quelques milliers de personnes, tout au plus) désignent les habitants de l’Autre-monde, l’Outre-Monde, le ciel des Idées pures. Les Bien-Pensants sont des platoniciens: ils arpentent l’Olympe, la Cité People, celle qui a choisi de s’évader de l’histoire et de la géographie, qui dispose de tous les moyens (financiers, intellectuels, sociaux) de s’inventer son propre univers. Comme le groupe Téléphone, une certaine gauche, ainsi que la droite très libérale (dite orléaniste) et les centristes (merveilleuse espèce d’opportunistes pour reprendre un vocabulaire «IIIe République»…), rêvaient «d’un autre monde»… Et ils l’on créé. Le vrai, l’unique clivage est là. Il sépare les hommes et les femmes qui acceptent la chair et la vérité de ceux qui nourrissent la novlangue avec la chair de leurs pairs… Droite et gauche dansent dans un défilé de masques (la formule revient à Alain-Gérard Slama): rien d’essentiel ne se joue plus dans cette valse trop huilée. Plus que jamais, Guy Debord a raison: la société du spectacle règne, d’abord et surtout en politique. Le simulacre est notre Loi.

Quelle image à l’étranger?

Par ailleurs, cette contestation sociale qui s’épanouit chaque jour, et la violence physique, qu’elle véhicule, donne une image spécialement négative de notre nation à l’étranger. La première conséquence prévisible concerne l’attractivité de notre pays du point de vue économique. Le récent baromètre sur l’attractivité de la France de EY semble le démontrer.

Il y a effectivement quelque chose de totalement dépassé est usant dans le permanent climat de guerre civile qui colle à l’image de notre pays. L’ambiance de «Grand Soir» et la querelle quasi-théologique capitalisme/socialisme mal digérée, l’impossibilité de construire un «social-libéralisme» cohérent, l’incapacité des pouvoirs publics et des grands groupes à coproduire une articulation fine de l’Etat stratège et du marché, finit par peser lourd. Ces difficultés occupent une place déterminante dans la perception des acteurs internationaux et dans notre propre aptitude à trouver les chemins d’une inscription audacieuse et efficace dans une mondialisation sans doute très contestable mais qu’il convient d’abord de décrypter lucidement. Du TAFTA au à la colonisation du droit mondial par les règles américaines, les motifs pour l’Europe de défendre une voie originale ne manquent pas. Encore faudrait-il ne pas s’épuiser dans des confrontations fratricides et constater que ceux qui sont censés nous guider comprennent le monde qui vient, et disposent d’une stratégie pour que nos lendemains donnent des raisons d’espérer.

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