La Turquie poursuivait hier ses attaques dans le nord de la Syrie avec de nouveaux tirs d’artillerie, au sixième jour d’une offensive d’envergure conjuguant attaques terrestres et frappes aériennes. Au prétexte d’une sécurisation de la zone frontalière entre Aazaz et Jarablous, Ankara se déploie sur le terrain pour tenter de reprendre des zones contrôlées par les forces kurdes et affaiblir leur influence.

Depuis juin 2016, les forces kurdes des unités du PYD, branche syrienne du PKK, commandées et formées par les officiers des Forces spéciales des États-Unis et soutenues par des raids de la coalition, avaient établi une tête de pont à l’ouest de l’Euphrate et conquis de nouvelles localités autour de Manbij. Or, dès le départ, la préoccupation fondamentale des Turcs était d’empêcher les Kurdes de traverser l’Euphrate vers l’ouest. En les confinant à l’est, ils cherchent à briser la continuité territoriale des trois cantons kurdes, leur fermer l’accès à la Méditerranée et les prendre en tenailles entre les groupes syriens d’opposition et ceux de Massoud Barzani leader du Parti démocratique du Kurdistan, farouchement hostile à la présence du PKK dans le « Kurdistan » syrien. Freinés à l’ouest, et dans l’incapacité de progresser au sud dans les zones majoritairement arabes, cette configuration devait tuer dans l’œuf leur projet autonomiste.

Or, la montée en puissance du PKK en Syrie (PYD), qui tente d’unifier la lutte en Syrie et en Turquie, et l’importance de son dispositif militaire renforcent les inquiétudes d’Ankara. Cette situation militaire et politique a conduit la Turquie à intervenir directement sur le terrain.

Ainsi, l’intensification de l’opération « Bouclier de l’Euphrate », déclenchée au moment de la visite du vice-président américain Joe Biden, traduit la priorité stratégique des Turcs. Celle-ci reste très éloignée de la neutralisation de la menace de l’État islamique (EI), comme l’a montré l’offensive sur Jarablous, lors de laquelle les jihadistes de l’organisation ont pour la première fois abandonné leurs positions sans se battre contre les troupes turques. Pour Ankara, l’objectif n’est aujourd’hui plus simplement de limiter la présence des Kurdes à l’est de l’Euphrate, mais de rétablir le statut quo ante à l’établissement du Rojava (région autoproclamée kurde dans le nord de la Syrie) en juillet 2012 pour enterrer définitivement leur projet d’autonomie et affaiblir durablement le PKK.

Absence de vision stratégique

Dans le cadre de la réconciliation avec Ankara, Washington a, en fin de compte, livré les Kurdes à la merci de l’armée turque en offrant une démonstration éloquente de son sens des priorités : il était exclu de sacrifier des relations historiques avec Ankara, partenaire stratégique, pour satisfaire les revendications des Kurdes, leur allié tactique.

Les Kurdes ont abandonné Manbij sous la pression américaine, et la déclaration dans la matinée du 24 août de Ridour Khalil, porte-parole des YPG, faisant part de leur refus de renoncer à cette localité stratégique contrastait radicalement avec la communication faite en début d’après-midi et présentant ce retrait fermement exigé par Washington comme un départ volontaire. La fin des espoirs kurdes de contrôler cette ville stratégique de Manbij, contrepartie négociée de leur participation à l’offensive de Raqqa, aura désormais pour conséquence le refus des forces kurdes de se lancer dans une opération sans précédent contre l’EI dans cette ville.

Ce renversement de situation en défaveur des Kurdes n’est pourtant pas sans lien avec l’absence de vision stratégique du PKK, aujourd’hui véritable force agissante en Syrie à travers le PYD, qui reproduit les paris hasardeux et répétés du mouvement national kurde. En misant exclusivement sur les Américains sans tenir compte des rapports de force régionaux, les Kurdes apparaissent une nouvelle fois comme les victimes de leurs ambitions démesurées. La confusion entre le niveau stratégique et le niveau tactique a systématiquement empêché les Kurdes de transformer leurs avantages militaires en gains politiques.
À mesure que le régime s’affaiblissait et que l’opposition apparaissait de plus en plus divisée, les Kurdes ont adopté l’approche stratégique du fait accompli, percevant dans le soutien américain une nouvelle opportunité historique pour concrétiser leurs revendications nationalistes. Or non seulement les États-Unis sont en train de sacrifier la carte kurde, mais un nouvel accord entre le régime de Damas et la Turquie semble sur le point de voir le jour.

« Alep » contre les « Kurdes »
Si jusque-là les Turcs avaient mis tout leur poids dans la bataille d’Alep, en renforçant leur aide logistique et militaire aux groupes d’opposition et en planifiant des attaques comme l’opération contre la faculté militaire de Ramousseh, menée par Hizb el-Islami turkistani, sous le commandement des services turcs, sur le terrain, une convergence turco-syrienne est en train de prendre forme.
Le régime syrien qui, tout en multipliant les déclarations agressives à l’égard de l’intervention turque, ne semble pas voir d’un mauvais œil l’arrivée de ces troupes au sol, et la focalisation sur l’affrontement avec les Kurdes de groupes rebelles d’obédience turque. Cette nouvelle donne est elle-même liée aux avancées dans les discussions après la deuxième rencontre entre Turcs, Iraniens et Syriens à Bagdad.
La prochaine réunion à Damas dimanche prochain et celle qui suivra à Moscou devraient permettre de clarifier les contours d’un accord dont les termes semblent déjà : les Kurdes en échange d’Alep. En dépit des divergences de fond entre Syriens et Turcs, un rapprochement semble en cours. Les Kurdes pourraient bien être les grands perdants de l’accord politique sur l’avenir de la Syrie.

Lina KENNOUCHE | OLJ
30/08/2016

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

2 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Marc

L’Orient-le-Jour est aux 3/4 inféodé au Hezbollah et s’aligne sur les intérêts d’Assad. De plus, lu par une majorité arabophone, son intérêt est de dénigrer le droit d’une minorité active comme les Kurdes face aux islamismes chiite et sunnite. D’ici que cela donne des idées aux Druzes de la région… Certains passages font songer à cette manie de « vendre la peau de l’ours », notamment le soi-disant retrait kurde de Manbij, lorsque l’accord devait restituer le contrôle civil à la majorité arabe de la ville… La présence turque en soi n’y serait pas pour grand chose, sinon que les Kurdes donnent rendez-vous à Erdogan sur cette ville pour lui démontrer qu’il n’y a rien à y faire…

JeanD

J’aimes le terme ambition « démesuré » des Kurdes !

Comme si les Kurdes, n’avaient pas le droit à
un état légitime, une nation Kurde ?!
Comme les Juifs, vis à vis d’Israël…

Vendre les Kurdes, pour une « bouchée de pain »…

N’oublions pas que les Kurdes sont les seuls vrais alliés,
des Occidentaux et d’ Israël, contre les islamistes…

Donc sacrifier nos « alliés », c’est une vu de très très court terme…
car ensuite le prochain sur la liste,
sera certainement Israël !!!

C’est un jeu de dominos…
La trahison envers les Kurdes,
seraient la preuve abjecte,
et un message Très CLAIRE,
que pour les Occidentaux,
la seul chose qui compte,
c’est le chacun pour soi,
et donc qu’il ne faut pas compter sur nous !!!

Ce message est valable aussi pour l’OTAN,
si la Russie attaque un pays de l’OTAN ?!
Tous les autres vont certainement se dégonflés,
en « jouant » la politique de l’autruche…

Je crains que Poutine ne l’est déjà malheureusement compris,
les égoïstes sont obligatoirement des lâches !!!
Qui ne sont pas prêt à se sacrifier…

Nous avons réveillé l’Ours Russe ?!
Qui veut l’affronter…
Ne vous pressez surtout pas !
Il y en aura pour tous le monde…