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L’avenir des juifs britanniques selon son leader Jonathan Arkush

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Jonathan Arkush et Jeremy Corbyn (Crédit : autorisation)
Le principal parti d’opposition au Royaume-Uni, le Labour de Jeremy Corbyn, a un problème d’antisémitisme. Cela a été reconfirmé par un panel réunissant des membres de tous les partis du Parlement la semaine dernière seulement. La communauté juive anglaise doit constamment se battre pour garantir que la shehita (égorgement rituel qui permet de rendre la viande casher) ne soit pas interdite; le maintien de la circoncision ne va pas non plus de soi.

La communauté juive – qui compte entre 300 000 et 350 000 membres – est largement en minorité face à la communauté musulmane, estimée à 2,7 millions d’individus – soit environ 4.5 % de la population britannique totale.

Et pourtant Jonathan Arkush, le dirigeant laïque des Juifs britanniques, président du mouvement de coordination du Board of Deputies, affiche son optimisme face à la situation présente et celle à venir réservés à la communauté juive britannique.

Il a même commencé à rencontrer des leaders musulmans et des fidèles dans les mosquées pour leur expliquer ce qu’est sa communauté, pour construire des passerelles et les encourager à suivre l’exemple des juifs britanniques qui sont parvenus à épouser simultanément un style de vie religieux et ce qu’il appelle les « valeurs anglaises ».

Arkush se montre relativement positif également lorsqu’il évoque l’attitude du Royaume Uni envers Israël, assurant qu’une visite officielle dans le pays de la part d’un membre de la Famille royale (plus substantielle que les deux brefs séjours du Prince Charles à l’occasion des funérailles de Yitzhak Rabin et de Shimon Peres) pourrait bien être imminente — ce qui signifierait l’ultime confirmation de la reconnaissance du pays par l’establishment.

En séjour en Israël comme il le fait souvent, Arkush, avocat à la nature débonnaire mais qui choisit toutefois ses mots avec une précision directe admirable, s’est entretenu avec le Times of Israel, évoquant les discriminations du parti travailliste britannique et de Corbyn, la vie sur les campus britanniques pour les étudiants juifs, les théories complotistes des musulmans et l’aptitude au mécontement de la communauté juive.

 

J

David Horovitz : Heureux de vous revoir. Comment se portent les Juifs britanniques ?

Jonathan Arkush : De façon générale, nous avons une communauté qui se trouve dans un très bon environnement, même si quelques-uns ne le réalisent pas en permanence.

Le Royaume Uni est un pays formidable pour être Juif.

Je l’avais dit la dernière fois qu’on avait discuté – et j’en suis encore plus convaincu maintenant au vu des réactions générales, par exemple, suscitées par l’antisémitisme qui s’affiche au sein du Labour.

Je peux également citer, ce qui date de la semaine dernière, le rapport de la Commission des Affaires intérieures, qui est minutieux, absolument complet.

Contrairement au (rapport sur le Labour rédigé en interne par Shami) Chakrabarti, qui a produit un rapport étriqué, vide de presque tout contenu intellectuel, le Commission des Affaires Intérieures a soumis un document sérieux qui restera un écrit de référence critique sur le sujet à l’avenir.

Ce rapport a a fait très fortement siennes toutes les inquiétudes qui avaient été exprimées sur le Labour, sur l’antisémitisme dans différentes parties de la société britannique, sur Chakrabarti, sur Jeremy Corbyn, et sur la haine propagée sur la Toile.

Shami Chakrabarti, sur J-TV, en juillet 2016. (Crédit : capture d'écran YouTube)
Shami Chakrabarti, sur J-TV, en juillet 2016. (Crédit : capture d’écran YouTube)

Le parti travailliste est-il déchiré par un nouvel antisémitisme ?

Non. Avec un leader d’extrême gauche, des gens issus de l’extrême gauche – je ne pense pas qu’ils soient de nouveaux antisémites, je ne pense pas qu’ils aient jamais montré une quelconque sympathie à Israël, et je pense qu’ils ont toujours eu des problèmes avec les juifs – ils sentent qu’un espace leur est ouvert.

Ils ont le sentiment qu’ils peuvent montrer les muscles et dire des choses dont ils savaient qu’elles étaient indicibles auparavant. Je pense qu’ils ont tort. Je suis confiant dans le fait que l’électorat les rejettera globalement…Le Labour est en train de chuter dans les sondages de façon inexorable, et ce malgré le fait que Corbyn ait attiré 500 000 ou 300 000 nouveaux membres au sein du parti qui sont indubitablement des suiveurs de Corbyn et qui aiment ce marquage politique de vote de protestation anti-establishment. Mais ils ne forment pas l’électorat.

Dites-vous aux électeurs juifs qu’ils doivent se tenir à l’écart du Labour sous sa forme actuelle ?

Je dis (aux membres actuels du Labour) de rester à l’intérieur, de rejoindre le mouvement juif du Labour qui a des sièges dans toutes sortes d’organes importants de l’action politique. Et ils sont en train de mener une lutte phénoménale en ce moment.

Tout n’est pas perdu. Le combat peut être remporté.

Je dis aux membres juifs du parti travailliste, rejoignez le JLM et luttez pour le parti, qui vous a été confisqué par des gens qui ne représentent pas véritablement les idéaux traditionnels de la formation. Ces gens, à l’extrême gauche, ne représentent pas le parti du Labour… Il faudra probablement une élection ou deux où le Labour subira un échec complet et absolu dans les urnes, mais finalement tout le monde prendra conscience de ce qu’il s’est passé.

Et pour les électeurs ?

Je n’encouragerai personne à rejoindre en ce moment le parti travailliste. Je pense que les gens trouveront que c’est un environnement difficile. Mais s’ils sont déjà dans le parti ou qu’ils veulent soutenir les idéaux défendus par le Labour, et qu’ils sont suffisamment forts eux-mêmes, j’ai un message à leur faire passer : ‘rejoignez ou restez au sein du parti dans le cadre du Mouvement juif du Labour’.

Quel est le climat actuel pour les Juifs au Royaume-Uni ? Je vais vous demander cela en comparaison avec, disons, la France, qui offre actuellement la plus grande part des immigrants vers Israël et où certains affirment que vous ne pouvez pas porter la kippa dans certains coins de Paris. Ce n’est pas le cas à Londres, n’est-ce pas ?

Grâce à Dieu, Londres et la Grande-Bretagne sont des endroits très différents.

Portez-vous une kippa dans la rue ?

Je porte une kippa dans les rues de Londres, et je ne ressens aucune crainte. Beaucoup de Musulmans portent également des versions de la kippa… J’ai été à Paris récemment et on m’a dit que dans certaines zones de Paris, vous pouvez porter la kippa en toute sécurité ; mais c’est vrai que de manière générale, il y a des antisémites violents à Paris. Ils peuvent vous agresser dans le métro. C’est un phénomène qui reste quasiment inconnu en Grande-Bretagne. Quasiment inconnu. Le CST (Community Security Trust) enregistre les incidents. Très peu induisent de la violence. Les violences graves ne surviennent presque jamais.Quasiment inconnu.

Un homme portant une kippa regarde les gens prendre part à une manifestation organisée par le CRIF le 31 Juillet 2014 devant la synagogue de Lyon (Crédit photo: Romain Lafabregue / AFP )
Un homme portant une kippa regarde les gens prendre part à une manifestation organisée par le CRIF le 31 Juillet 2014 devant la synagogue de Lyon (Crédit photo: Romain Lafabregue / AFP )

Je ne suis pas complaisant. Il y a un certain nombre de violences de rues de moindre importance, en particulier dans le nord du Royaume Uni.

Mon cousin, qui vit à Birmingham, qui est rabbin et qui porte un grand chapeau et la barbe – et il y a une très vaste population musulmane dans les West Midlands — il me dit, et je suis désolé de le dire, que beaucoup de ces actes sont commis par certains éléments au sein de la communauté musulmane qui semblent avoir hérité d’une forme d’antisémitisme très vicieuse, mais pas de la majorité. Nous ne sommes pas surpris. Nous savons d’où ils le tiennent. De certains lieux appartenant au Moyen-Orient.

Nous avons une communauté qui se sent alerte, inquiète, mais qui est encore en mesure de continuer à pouvoir vivre. On peut constater un certain niveau de préjugés anti-israéliens dans les médias. Souvent, ils ne sont pas aussi lucides qu’ils pourraient l’être sur le fait que dans l’ensemble, la Grande-Bretagne est un bon environnement pour les Juifs. Je passe beaucoup de temps en ce moment dans les mosquées et dans les centres islamiques.

Il y a un autre immense combat à gagner là-bas, qui est de donner une voix aux britanniques musulmans modérés, ceux qui forment la majorité – et non aux extrémistes, et non à ceux qui se sont complètement assimilés – mais bien à ceux qui se trouvent au milieu – et qui se trouvent au cœur de toutes sortes de messages, certains en provenance du Moyen-Orient, de la part des radicaux, mais aussi de la société britannique qui leur dit : ‘Vous pouvez être un Musulman qui craint Dieu et vous pouvez épouser les valeurs britanniques’. Les Juifs sont un très bon exemple de cela : On peut être un Juif visiblement religieux tout en embrassant les valeurs britanniques.

Les Musulmans ont encore un peu de chemin à parcourir avant de pouvoir épouser ce point de vue en toute confiance, mais je tente de les y aider.

Et êtes-vous bien accueilli ?

Oui.

Vous vous rendez dans les mosquées en portant votre kippa, en tant que leader laïque de la communauté britannique juive ?

Oui. Je leur dis que je sais que le Royaume Uni peut être un endroit déstabilisant pour une personne religieuse. Elle peut être laïque de manière agressive. Mais je leur dis qu’ils devraient regarder quelle a été la trajectoire suivie par les Juifs. Je ne dis pas que c’est comme ça qu’ils doivent faire, mais que cela peut être un cas d’étude intéressant. Il y a cent ans, beaucoup de choses qu’on dit au sujet des Musulmans aujourd’hui, on les disait au sujet des Juifs. On a réussi à traverser ces épreuves. Nous avons une place dans la société britannique.

Que disait-on alors ?

Des prêcheurs venus de l’étranger. Les Juifs ne comprennent pas comment cela se passe dans le pays. Les Juifs nous prennent nos emplois. Ils nous prennent nos maisons. Ils sont un peu grossiers. Des prêcheurs formés à l’étranger, c’était assez fort. Des prêcheurs nés à l’étranger, qui ne parlaient pas la langue, qui enseignaient un credo venu d’ailleurs.

Les Musulmans sont très choqués par cela. Parce que la vision des Juifs chez les Musulmans, c’est qu’ils ont énormément d’influence. Comment font-ils ? Cela doit révéler quelque chose d’inquiétant. C’est une idée très répandue.

Et vous leur dites ?

Je leur dis : ‘Laissez-moi vous donner un exemple de ce que nous avions fait. Nous avions une communauté. Nous pouvions concevoir qu’il faille apprendre à connaître notre vieille communauté. En revanche, nous étions en droit de demander qu’on puisse faire cela dans un établissement qui réponde à nos attentes en tant que juifs.’

Donc ne pas en être réduits à évoluer dans un local public, où la prise en charge n’aurait pas été très bonne, et où les Juifs n’auraient pas eu accès à des aliments casher, où ils n’auraient pas pu se retrouver avec d’autres juifs et assister aux services religieux.

Mettez en avant quelqu’un qui aura commencé modestement dans le pays et se sera distingué de façon considérable, cette personne pourra donner de l’argent, et c’est une maison de retraite confessionnelle qui pourra être construite, et vous n’aurez rien à demander au gouvernement pour les fonds, tout se réalisera par soi-même. Cette même personne peut devenir plus célèbre, et en fin de compte elle peut recevoir les honneurs – voire un fauteuil à la Chambre des Lords.

Et avec le temps, vous construisez des personnalités qui ont véritablement offert des choses à la société, et par-dessus tout, tout offert à leur foi et à leur communauté religieuse. Si vous voulez de l’influence, il n’y a pas de secret. C’est comme ça qu’il faut faire.

Qui se trouvent dans ces mosquées ?

Les dirigeants. Cela peut être assez déstabilisant. Je parle aux imams.

C’est vous qui avez initié cela ?

Oui, j’ai initié ce programme d’action auprès des Musulmans…

Vous parlez aux dirigeants …?

Et à la congrégation. Ils portent tous la robe islamique.

Jonathan Arkush (4e à partir de la gauche), et Laurence Saffer (6e de gauche), Président du Conseil représentatif des institutions juives de Leeds, rencontre l’imam Qari Asim MBE (5e à gauche) et d’autres représentants musulmans à Leeds à la mosquée Masjid le 25 août, 2016. (Crédit : autorisation)
Jonathan Arkush (4e à partir de la gauche), et Laurence Saffer (6e de gauche), Président du Conseil représentatif des institutions juives de Leeds, rencontre l’imam Qari Asim MBE (5e à gauche) et d’autres représentants musulmans à Leeds à la mosquée Masjid le 25 août, 2016. (Crédit : autorisation)

Vous enlevez vos chaussures. Vous gardez votre kippa. Vous vous asseyez sur le devant de la pièce …

Absolument. Assis sur le sol, les jambes croisées, avec eux en rang ou en cercle autour de moi. Et je dis : ‘Parlons. Combien d’entre vous savent, en fait, à quoi ressemble un Juif ?’ Je leur dis : ‘Je suis un juif britannique, je suis un leader de la communauté, vous pouvez me demander ce que vous voulez. Je suis Juif, je suis sioniste, je soutiens l’état d’Israël, ayons un débat honnête.’

Je leur dis : ‘Nous pouvons parler du Moyen-Orient si vous le désirez. Cela ne me dérange pas. Ce que vous avez à dire ne me dérange pas. Je suis parfaitement préparer à gérer les arguments qui surviennent autour des questions d’Israël et de la Palestine.

Mais je ne suis pas sûr que cela nous mène bien loin.

Vous avez, de manière passionnée, une vision du conflit. J’ai, tout aussi passionnément, un autre point de vue du conflit. Je ne peux pas le changer. Je n’ai aucune influence sur le gouvernement israélien. Et je doute que vous ayez de l’influence sur l’Autorité palestinienne ou sur un autre gouvernement.

Alors nous allons discuter mais cela ne nous mènera nulle part.

Alors, pourquoi ne pas laisser le sujet simplement de côté ? En fin de compte, c’est un conflit qui se déroule à près de 4 000 kilomètres et nous ne pouvons rien changer. Mais regardons les ordres du jour les plus importants que nous avons en commun. Nous devons protéger les nourritures halal et casher.’ Ils comprennent aussi, comme c’est le cas pour nous, que s’il y avait un référendum, nous perdrions la shehita du jour au lendemain. Ils savent également que nous devons nous battre pour protéger la circoncision. Ils savent que nous devons protéger les écoles confessionnelles.

Nous devons protéger et promouvoir le rôle de la foi dans la société et montrer à cette dernière ce que font les communautés, comment nous nous occupons de nous-mêmes, comment nous endossons tant de poids, l’ôtant des épaules du gouvernement.

Ils sont immédiatement très intéressés par ce message. Ils l’apprécient. Personne ne leur en avait fait part auparavant. Les Musulmans en Grande-Bretagne se sentent souvent isolés.

Combien d’entretiens similaires avez-vous eu ?

J’ai été à Leicester. Plusieurs fois à East London. A North London. A Leeds. J’ai des visites prévues à Bradford, l’un des plus grands centres musulmans du Royaume-Uni. Je pourrais y consacrer tout mon temps. Alors j’ai besoin d’aide. J’ai recruté pour mener cette mission à bien le groupe interconfessionnel de l’Union des étudiants juifs.

Je demande aux communautés locales de s’en charger. C’est un travail qui va s’étendre sur des décennies.

Cela me donne de l’énergie. J’obtiens une réaction bien plus positive à tout cela que je ne le pensais.

Mais en retour, on vous pose des questions très intéressantes. Elles confortent les sondages qui montrent que les Musulmans – une large section, peut-être la moitié, même les Musulmans que je qualifierais de très intégrés dans la société britannique – au fond de leur cœur, pensent qu’il y a une sorte de conspiration juive. Pour eux, c’est la réponse à l’influence.

Quelle forme prennent ces questions ?

‘Dites-moi, M. Arkush, comment expliquez-vous le contrôle des médias par les juifs’ ? Je réponds : ‘Quel contrôle juif des médias’ ? (rires). Ils me disent : ‘Eh bien regardez, voyez les informations transmises sur Israël et la Palestine. Les médias sont entre les mains du lobby sioniste.’

Si vous allez vous présenter devant un public juif, les médias seront entre les mains du lobby pro-palestinien. La BBC est anti-Israël de manière irréversible. Et j’obtiens l’exact contraire au sein de la communauté musulmane. Et les deux parlent avec la même conviction véritable. Et ils ne peuvent pas tous deux avoir raison.

La vérité est que si vous regardez nos médias, vous aurez des programmes qui affichent sans aucun doute de la sympathie pour Israël. Vous avez des programmes qui ne montrent indubitablement aucune sympathie pour Israël. Et nous ressentons chacun de l’irritation face à ce qui ne nous plaît pas. Les images que nous qualifions de neutres ou équitables, ou dans notre cas favorable à Israël, nous n’y réagissons pas, parce que c’est ce qui devrait de toute manière être dit, n’est-ce pas ? Je ne suis pas en train d’excuser ni la BBC ni Channel 4 un seul instant, il s’y montre des choses terribles.

Et à côté du contrôle juif des médias, quels sont les autres signes ostensibles de la conspiration juive que vous attribuent les publics musulmans ?

Ils se demandent bien sûr comment Israël, dans le récit tel qu’ils l’entendent, peut s’en tirer avec tout ce que fait le pays. Ils reçoivent des histoires qui se focalisent autour d’Israël, et n’entendent que rarement parler des entorses faites aux droits de l’Homme ou des autres choses qui surviennent dans d’autres pays.

Ils vous disent qu’Israël réussit à échapper à la censure des Nations Unies. Et je leur dis que le contraire doit être vrai.

Mais le plus important chez eux, c’est l’influence juive dans la politique et les médias.

Le leader du parti travailliste, Jeremy Corbyn, pendant son discours le troisième jour de la conférence annuelle du parti travailliste à Brighton, dans le sud de l’Angleterre, le 29 septembre 2015. (Crédit : AFP / LEON NEAL)
Le leader du parti travailliste, Jeremy Corbyn, pendant son discours le troisième jour de la conférence annuelle du parti travailliste à Brighton, dans le sud de l’Angleterre, le 29 septembre 2015. (Crédit : AFP / LEON NEAL)

Quel regard portez-vous sur Israël ?

Pas à travers mes propres yeux, mais à travers les yeux des Britanniques, la majorité écrasante des Anglais ne connaît pas ou ne se préoccupe pas du conflit au Moyen-Orient. Même s’il leur est arrivé d’entendre des calomnies flagrantes au sujet d’Israël, on peut dire que l’information passe par une oreille et ressort par l’autre.

Le même mécanisme pourrait s’appliquer à l’Ukraine. Pour la Syrie, de même.

Les gens peuvent se souvenir pendant un jour ou deux d’une séquence d’actualité qui montre un enfant sorti des décombres d’un bâtiment bombardé à Alep. Mais cela ne durera pas très longtemps. Cela ne les intéresse pas vraiment. C’est comme pour la plupart des gens : les affaires étrangères ne les intéressent pas.

En ce qui concerne les groupes les plus cultivés, les plus intellectuellement curieux au sein de la société britannique, je suis souvent étonné par le grand nombre d’entre eux qui sont fortement, sinon passionnément, pro-Israël, et qui ont suffisamment d’intégrité intellectuelle pour rejeter le récit qu’ils lisent parfois dans le Guardian. Et il y en a de trop nombreux autres qui avalent beaucoup trop les préjugés exposés et qui pensent qu’Israël est plus dans le faux que dans le juste.

Et sur les campus universitaires ?

Il y a eu davantage de motions de BDS (boycott, divestment and sanctions) qui ont échoué que réussi, notamment sur des campus où il n’y avait pratiquement pas d’étudiants juifs. Le discours de haine, qui avait déjà commencé à croître lorsque vous et moi étions à l’université, il y a trente ans, et qui est devenu un vrai problème il y a 5 ou 6 ans, le Board of Deputies s’en est préoccupé.

Nous avions été les pionniers… avec un ensemble de règles qui sont venues réprimer de manière globale les intervenants controversés… C’est devenu une politique du syndicat de la National Union of Students qui a très bien réussi, bien au-delà du problème du Moyen-Orient.

Nous ne recevons dorénavant plus qu’une ou deux plaintes par an portant sur les discours de haine. Il fut un temps où on en recevait deux par semaine.

Il y a très peu d’universités au sein desquelles vous n’enverriez pas vos enfants. En fait, je ne suis pas sûr qu’il y en ait.

Lire : Des accusations d’antisémitisme font bouillonner les eaux calmes d’Oxford

Et pourtant des intervenants israéliens peuvent être ennuyés, réduits au silence.

Oui. Mais en même temps, au cours d’un débat portant sur la question de savoir si Israël était un état paria, Alan Dershowitz a mené la charge et remporté le débat.

Mark Regev, l’ambassadeur israélien, un porte-parole public très efficace pour l’état d’Israël, donne maintenant des conférences dans toutes les Universités, en Ecosse aussi … Les Universités, comme celles qui avaient pu mener des tentatives de sabotage des performances culturelles d’Israël, se sont ravisées.

Elles mettent en place la sécurité. Les vice-recteurs s’engagent à cela dès le début. Elles savent exactement quoi permettre et quoi ne pas permettre.

L’année dernière, il y a eu une exception à King’s College, où il y a eu quelques échauffourées. L’intervenant israélien Ami Ayalon — comble de l’ironie, c’est un champion de la gauche et un opposant à l’occupation — a été hué, la colère est venue de ces fous d’extrême gauche incapables de distinguer le bon grain de l’ivraie. L’un d’eux a écopé d’une condamnation pénale. J’ai envie de dire que ça a été l’exception qui confirme la règle. On a assisté à une forte amélioration.

L’année universitaire vient tout juste de commencer. Chaque année, l’UJS entame son année universitaire sans trop savoir si les choses vont bien se passer. S’il y a des violences en Israël ou en Palestine, cela aura un effet négatif.

Il y a une nouvelle leader relativement nouvelle à la tête du syndicat de la National Union of Students (Malia Bouattia) qui se montre assez hostile envers Israël.

Malia Bouattia, nouvelle présidente de l’Union nationale des étudiants du Royaume-Uni, parle des « médias dirigés par des sionistes » et de la lutte armée palestinienne, en septembre 2014. (Crédit : Facebook officiel)
Malia Bouattia, nouvelle présidente de l’Union nationale des étudiants du Royaume-Uni, parle des « médias dirigés par des sionistes » et de la lutte armée palestinienne, en septembre 2014. (Crédit : Facebook officiel)

Elle va rapidement rencontrer l’Union of Jewish Students. Elle commence à revenir sur certaines de ses déclarations. Elle a été taclée par la Commission des Affaires intérieures, et elle a affirmé qu’elle n’avait pas voulu tenir de propos antisémites. Elle commence à être sous pression. C’est une femme qui a d’affreux préjugés, d’affreuses visions des choses. Je ne pense pas pour ma part que l’UJS puisse juger qu’il peut avoir confiance en elle.Il y a une nouvelle leader relativement nouvelle à la tête du syndicat de la National Union of Students (Malia Bouattia) qui se montre assez hostile envers Israël.

Mais ce que nous avons appris au cours des années, c’est qu’il y a, là, un combat intellectuel à gagner. Si quelqu’un possède un tant soit peu d’honnêteté intellectuelle, il devra revenir sur certains préjugés. La question est de savoir si les préjugés occupent encore une place disproportionnée dans sa vision du monde.

Chez Jeremy Corbyn, nous avons un individu dont les préjugés, malgré tous les débats intellectuels, apparaîtront sous la forme d’une appréciation semblant rationnelle. Alors parfois, vous parviendrez à lui faire accepter certaines choses – comme, récemment, son acceptation du fait que le Hamas et le Hezbollah n’étaient pas ses amis, et qu’il n’aurait pas dû prononcer ces mots. Et pourtant…

Et pourtant quoi ?

Je pense qu’il y a des éléments inscrits dans son esprit qu’il ne parviendra pas à faire évoluer. Il a été globalement accusé, par le Conseil, dont la Commission des Affaires intérieures, avec deux parlementaires travaillistes, trois parlementaires et hauts responsables du Labour, d’être quelqu’un de foncièrement incapable d’évaluer pleinement l’étendue de l’antisémitisme dans son propre parti, parmi ses alliés politiques. Et cela, je pense, est un euphémisme très britannique.

D’où cela vient-il ?

L’extrême-gauche n’aime pas Israël. N’aime pas l’Occident. Et les Juifs se démarquent à contre-courant. Et l’hostilité extrême envers Israël, selon notre expérience, se fond en permanence dans l’hostilité envers les Juifs. Ils cessent de pouvoir faire la distinction. Et peut-être également, ce n’est même pas accidentel : Les Juifs incarnent une religion, une foi en un être divin, une gamme de valeurs qui rythment le vie et qui sont très anciennes – tous ces facteurs que les gens d’extrême gauche, et d’extrême droite d’ailleurs, veulent rejeter.

Y a-t-il une personnalité juive à la tête du parti du Labour, ou une personnalité juive en son sein, qui lui soit proche ?

Non. Non. Pas une. Et cela dit quelque chose en fait. Très souvent dans la vie politique, lorsque nous rencontrons des individus perçus comme des ennemis de la communauté, il y a souvent un Juif, un Juif renégat, pourrait-on dire d’une certaine façon. Non. C’est très intéressant.

Il y a quelques grandes personnalités dans le groupement d’extrême gauche qui assure les premiers soutiens de Corbyn, groupement qui s’appelle Momentum, et l’un d’eux porte le nom de John Lansman. John Lansman a été récemment amené à s’exprimer sur l’antisémitisme, il a déclaré que tout cela était allé trop loin. C’est un soutien de Corbyn. John Lansman est dorénavant très impopulaire au sein du Momentum.

Il y a des personnalités qui sont très clivantes, comme Jackie Walker. Elle aurait des ancêtres juifs combinés à des origines africaines. C’est elle qui avait fait la déclaration tristement célèbre selon laquelle les Juifs avaient porté la responsabilité du financement du commerce des esclaves. Elle a récemment récidivé en tenant des propos très désagréables lors de la journée de mémoire de l’Holocauste. Elle est actuellement suspendue du parti travailliste – et c’est la deuxième fois.

Jackie Walker, la vice-présidente du groupe du travailliste Momentum (Crédit : Capture d’écran YouTube)
Jackie Walker, la vice-présidente du groupe du travailliste Momentum (Crédit : Capture d’écran YouTube)

Il y a eu une scission entre ceux qui voulaient la soutenir en arguant qu’elle partageait, après tout, le même corpus idéologique et ceux qui disaient, Jackie Walker, ‘tu te trompes vraiment de cible’. ‘Vous êtes complètement folle’, comme me l’a raconté un parlementaire du Labour récemment. Et ils se sont opposés à elle. Et il y a donc eu une scission.Ce qu’elle a toutefois réussi à faire, c’est à creuser le fossé entre différentes factions d’extrême gauche.

Merci Jackie Walker. C’est tout ce que vous avez réussi à faire.

Que représente Israël pour la communauté juive britannique ?

De manière écrasante, Israël est un élément massivement positif dans la vie d’un Juif. La majorité des Juifs britanniques aurait tendance à penser que quoique le gouvernement israélien puisse faire, les Juifs britanniques le soutiendront.

Je soutiens Israël contre vents et marées. Alors bien sûr, vous aurez des Juifs qui diront que le gouvernement ne va pas assez loin, le centre-droit, et bien sûr vous aurez un centre-gauche. Comme partout ailleurs, le centre-gauche s’est réduit parce que (de plus en plus de gens) en ont assez des points de vue révisionnistes constants.

Alors nous avons un groupement au centre-gauche qui s’appelle Yachad, qui est un petit peu le pendant de J Street mais qui n’a pas du tout de niveaux importants de soutien, et c’est ce qui me montre que même s’il y a des groupements de centre-gauche, je ne pense pas qu’ils représentent la vision de consensus parmi les juifs britanniques : Israël est une force positive.

J’ai eu le privilège de diriger la représentation de la communauté, aux côtés du Grand Rabbin – moi en tant que laïque, lui en tant que chef religieux – lors des funérailles de Shimon Peres. Je l’ai vu de mes propres yeux.

Cela a reflété une vraie grandeur, non seulement de la personnalité qu’était Shimon Peres mais également de l’Etat d’Israël. Cela a été magnifiquement organisé. La cérémonie était digne. Les Britanniques remarquent ces choses. Nous avons une longue histoire de réalisations gouvernementales qui sont toujours empreintes de dignité. Les discours étaient bons. Les funérailles ont été largement regardées et commentées. Le président Obama était présent. Le Prince Charles portant sa Kippa avec les insignes du Prince de Galles…

Nous avions été invités à nous joindre à la délégation gouvernementale officielle britannique. Nous avons été invités à nous rendre là-bas dans l’avion du gouvernement (et nous avons payé le voyage, en fait. Il n’a pas été gratuit). Cela a marqué un précédent important qui donne des indications sur le statut de notre communauté.

Le prince Charles et la ministre israélienne de la Culture Miri Regev lors des funérailles de l’ancien président Shimon Peres sur le mont Herzl, à Jérusalem, le 30 septembre, à droite, il y a le président français François Hollande (Crédit : Marc Israel Sellem / POOL)
Le prince Charles et la ministre israélienne de la Culture Miri Regev lors des funérailles de l’ancien président Shimon Peres sur le mont Herzl, à Jérusalem, le 30 septembre, à droite, il y a le président français François Hollande (Crédit : Marc Israel Sellem / POOL)

Cela a été largement commenté. Cela a été une grande affaire.Et Charles s’est rendu sur la tombe de sa grand-mère paternelle.

C’est un secret de Polichinelle, donc je peux vous le dire : Nous mettons beaucoup de pression en faveur d’une visite royale. Ce n’est pas que c’est le moment. C’est plutôt qu’il est plus que temps maintenant.

Que cela signifie-t-il – une visite royale ?

Une visite réalisée par un membre important de la famille royale en Israël. Cela aurait déjà dû arriver il y a longtemps. Comme je l’ai dit au Prince Charles, c’est magnifique que vous soyez venu à l’occasion de deux cérémonies de funérailles – celle de Rabin et celle de Peres. Peut-être que maintenant, vous pourriez venir lors d’une occasion heureuse ? Le Prince Charles n’est pas le décideur. Il a souri. Il a hoché la tête. Il est professionnel jusqu’au bout des ongles. Ce n’est pas sa décision.

La roue tourne.

Le ministère des Affaires étrangères n’est plus celui des temps anciens. Il est plus jeune. Il est ouvert. Il est bien plus représentatif qu’il ne l’était auparavant. Nous avons un très bon ministre des Affaires étrangères à travers Boris Johnson.

Le prince Charles et la ministre israélienne de la Culture Miri Regev lors des funérailles de l’ancien président Shimon Peres sur le mont Herzl, à Jérusalem, le 30 septembre, à droite, il y a le président français François Hollande (Crédit : AFP Photos)
Le nouveau ministre des Affaires étrangères britannique Boris Johnson salue alors qu’il quitte le 10 Downing Street dans le centre de Londres, le 13 juillet 2016, suite à la prise de poste de la nouvelle Premier ministre Theresa May (Crédit : AFP PHOTO / OLI SCARFF)

Quelqu’un avait une fois demandé à Shimon Peres à quoi avaient le plus contribué les Juifs dans le monde, et il avait répondu au mécontentement. Je vis dans une communauté en proie au mécontentement.C’est un personnage. Il a une vraie personnalité. J’ai l’espoir que nous puissions vivre la visite d’un membre de la Famille royale assez rapidement.

Et pourtant, quand je parle aux gens et que je parcours le pays – à presque chaque Shabbat, et souvent dans la semaine, dans différentes parties de la Grande-Bretagne – je tente de replacer dans leur contexte les problèmes auxquels notre communauté doit faire face, – le bon et le mauvais.

La plupart des gens se sentent rassurés, encouragés. Ils savent que je ne suis pas complaisant. Ils comprennent combien de choses sont favorables ici pour notre communauté. Combien de bonnes choses sont en train de survenir.

Vous avez le principal parti d’opposition qui fait face à un problème d’antisémitisme et un leader qui déteste Israël. Ça peut devenir troublant.

Absolument. Je ne traite pas cela à la légère. Mais regardez comment nous luttons contre tout cela, la manière dont nous plaidons notre cause, et nous gagnons en nous faisant entendre dans tous les endroits importants – et j’y inclus certainement la Commission des Affaires intérieures.

Est-ce que cela marque une différence ? la communauté juive britannique n’aurait jamais protesté de cette manière il y a quelques décennies ?

Notre communauté ose davantage s’exprimer. Nous ne crions pas, mais nous ne chuchotons pas non plus. L’un de mes prédécesseurs avait remarqué que parfois le chuchotement est préférable au cri, de la manière la mieux intentionnée qui soit.

Et cela a mené les gens à accuser le Conseil dans les temps passés d’avoir peur de lever la voix. Eh bien, je ne crois pas à la force du cri, mais je ne crois pas non plus au pouvoir du chuchotement. Nous nous exprimons en notre nom et nous le faisons de manière professionnelle. Et vous pouvez en voir les résultats dans les médias fréquemment.

Il me semble qu’il n’y avait pas eu de situation similaire à celle-ci depuis la guerre. C’est très regrettable que cela soit arrivé au sein du Labour.

Nous avons eu des politiciens qui ont été perçus comme antisémites. Nous avons eu des politiciens, parfois à des hautes responsabilités, qui se sont montrés indubitablement hostiles à Israël. Nous avons eu des embargos d’armement contre Israël…

Quand ?

Pendant le guerre de Yom Kippour, il y a eu des problèmes avec les armes.

Nous avons eu énormément de problèmes avec la shehita. La Brit mila [circoncision], c’est plus récent. Les Juifs ont dû se battre pour leur – je ne dirais pas existence – mais leur capacité à vivre des vies juives sans avoir un sentiment de… Je ne pense pas que cela soit pire maintenant. C’est différent. Pour de nombreuses choses, c’est mieux maintenant. Nous sommes une société plus cosmopolite, c’est-à-dire plus tolérante envers les minorités.

Je pense au monde politique. Les Conservateurs, actuellement, n’ont certainement jamais eu un leadership aussi hostile que ne l’est la direction du Labour.

Non.

Et depuis la guerre, le Labour n’a jamais été ainsi.

Non. Non. Et ce qui est arrivé au Labour éclipse de loin et franchement les questions concernant les Juifs et Israël.

La chance que nous avons en tant que communauté est que nous avons la capacité d’accéder aux plus hautes personnalités politiques. Je vais rencontrer le leader des Libéraux-Démocrates à mon retour d’Israël. Je vais voir le ministre de l’Intérieur dans peu de temps.

Et si je veux rencontrer des ministres importants, voire la Première ministre, alors je peux le faire en temps utile. Et on me prêtera l’oreille avec sympathie. Je ne vais pas dire que les points de vue exprimés par la communauté juive sont toujours pris en compte, mais dans l’ensemble c’est le cas. Parce qu’il y a de l’honnêteté intellectuelle et de la rigueur dans nos arguments, et je pense que l’on peut toujours l’emporter grâce à l’argumentation.

En fin de compte, c’est ainsi qu’une petite communauté peut survivre dans le monde. C’est ainsi que nous avons survécu. Par la force intellectuelle de nos arguments. Et je suis confiant quant à l’avenir juif en Grande-Bretagne.

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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