Guerre d’usure : le temps joue pour Israël

Tel est le fardeau de la victoire de 1967 

 

Perspectives du BEgin-SAdate Center,  No. 440, April 5, 2017

Résumé : En prenant en compte la façon dont les adversaires d’Israël ont évolué au fil des décennies, le désir collectif partagé par les Israéliens, d’une victoire décisive du même style que celle de 1967 est irréaliste. Le faux espoir d’une telle victoire entrave la lucidité et la clarté de la pensée et provoque des pertes de confiance du public israélien, à la fois en son armée et dans ses cercles politiques dirigeants. La seule approche qui puisse réussir, dans les divers conflits actuels que connaît Israël repose sur un usage patient, répétitif de la force, de l’ordre d’une guerre d’usure. Les Israéliens devraient se réconforter à l’idée que le temps joue pour Israël. 

En juin 1967, Tsahal (les Forces de Défense d’Israël) a mené seule une guerre contre l’Egypte, la Jordanie et la Syrie. L’armée israélienne a achevé une victoire foudroyante en six jours. L’es compétences militaires démontrées par les Israéliens ont été remarquables – à tel point que les batailles de la Guerre des Six-Jours continuent d’être étudiées dans les Ecoles de Guerre tout autour du globe.

L’accomplissement militaire d’Israël a eu un autre effet extrêmement important. Israël a fait un long chemin pour convaincre le monde arabe que ce pays ne peut être facilement détruit par la force armée ; Israël devient un fait avec lequel les Arabes doivent apprendre à vivre. En effet, dix ans plus tard – après que l’Egypte  ait perdu une guerre contre Israël, cette fois, en 1973 – son Président, Anouar El Sadate, s’est rendu à Jérusalem (en Novembre 1977) pour offrir la paix.

La victoire rapide et décisive de 1967 est devenue la norme à laquelle Tsahal aspire – et le type de victoire qu’attend la société israélienne de tout engagement à l’avenir. C’est problématique, si on considère la façon dont les adversaires d’Israël ont évolué et les moyens qu’ils déploient actuellement.

L’anticipation irréaliste que les victoires à l’échelle de celle de 1967 devraient être le résultat final de tout engagement militaire empêche une réflexion claire et lucide,ainsi que l’adoption d’une stratégie et de tactiques appropriées . En outre, elle encourage ce qui est souvent un espoir impossible, d’un fin rapide du conflit. En l’absence d’un résultat clair, net et rapide, les Israéliens perdent confiance dans leurs cercles politiques et militaires dirigeants.

Les Israéliens, dont beaucoup disposent d’une expérience militaire limitée, se languissent encore de victoires décisives dans les arènes de Gaza et dans le Sud Liban. Les guerres auxquelles Tsahal a participé jusqu’à présent, au cours du vingt-et-unième siècle, qui apparaissent se terminer de façon peu concluante, ont laissé s’installer un certain malaise chez de nombreux Israéliens. Il leur manque les photos de victoire de la guerre de 1967.

Les slogans de la droite israélienne, tels que : « Laissez gagner Tsahal », reflètent cette frustration. De façon identique, la gauche proclame qu’on peut  abandonner en toute sécurité la Judée et la Samarie à un futur Etat Palestinien, parce que ces territoires peuvent être ensuite reconquis,aussi vite qu’ils l’ont été en 1967, s’ils devenaient, comme c’est probable, un tremplin pour des acteurs hostiles. Les appels à la destruction du Hamas portent également témoignage du manque de compréhension des limites de la puissance militaire.

Mais la guerre conventionnelle de grande ampleur, où Tsahal est confrontée à de vastes formations blindées et à des centaines de combattants aériens, comme c’était le cas en 1967, est moins probable aujourd’hui. La guerre de 1982 au Liban a été la dernière à afficher de tels adversaires. Depuis 1982, Israël a rarement dû combattre un quelconque Etat au cours d’une guerre conventionnelle.

Jusqu’à un point relativement significatif, la dimension statique du conflit arabo-israélien a, elle-même, disparu. L’Egypte et la Jordanie sont en paix avec Israël. La Syrie et l’Irak sont déchirées par des conflits intérieurs et son difficilement en position de défier Israël sur le plan militaire. De nombreux autres pays arabes, tels que les Etats du Golfe et du Maghreb, sont parvenus à une sorte de paix froide, de facto, avec Israël, une orientation encore renforcée par la menace iranienne commune à tous.

Au cours des trois dernières décennies, Israël a, fondamentalement, été défié par des acteurs non-étatiques, comme le Hamas (une milice sunnite) et le Hezbollah (une milice chiite). De telles organisations font des calculs stratégiques différents de ceux des Etats. Du fait de leur zèle idéologico-religieux, ils sont plus difficiles à dissuader que les Etats, et leur courbe d’apprentissage (de la défaite) est beaucoup plus lente.

Il a fallu trois défaites à l’Egypte (1948, 1956 et 1973) et une guerre d’usure (1968-1970) sur une durée de 25 ans, avant de renoncer au but de détruire Israël. A l’opposé, le Hezbollah combat Israël depuis une période plus longue et demeure aussi dévoué que jamais à son objectif d’élimination de l’Etat Juif. Le prix élevé infligé par l’armée israélienne à Gaza depuis 2007 n’a rien changé au calcul stratégique des cercles dirigeants du  Hamas, qui aspire toujours à la disparition d’Israël.

Le Hamas et le Hezbollah ne possèdent pas les arsenaux, en matière de tanks et de combattants aériens, qui, de plus, se transformeraient vite en cibles faciles pour Israël. La structure décentralisée de leurs organisations militaires ne présente pas de centres de gravité qui puissent être éliminés par une action rapide et décisive. En outre, leur utilisation des populations civiles comme boucliers pour leurs lanceurs de missiles et leurs unités paramilitaires – correspondant à une définition claire des crimes de guerre commis par ces organisations- rend les percées de Tsahal plus lourdes et difficiles du fait des mouvements de troupes plus lents dans les zones urbaines, du fait du besoin de réduire les dommages collatéraux parmi les civils.

L’urbanisation des voisins d’Israël a grandement réduit l’étendue des zones vides de populations qui puissent être utilisées pour manœuvrer et prendre à revers. L’usage des souterrains par les ennemis d’Israël, que ce soit à Gaza ou au Sud-Liban, constitue un autre nouvel élément qui ralentit également l’avance des troupes.

Il est naïf de croire que Tsahal peut ou devrait vaincre rapidement et de façon décisive, à chaque fois, qu’il doit jouer du muscle. Yitzhak Rabin a mis en garde plusieurs fois, au cours de sa longue carrière, contre l’attente d’une victoire « une fois pour toutes ». La défaite des nouveaux ennemis d’Israël requiert une stratégie différente : la guerre d’usure.

Israël est engagé dans une longue guerre d’usure contre des ennemis motivés par des idéaux (-logies) religieux (ses), qui croient à la fois en D.ieu (Allah) et que l’histoire est de leur côté. Tout ce que Tsahal peut faire, c’est d’affaiblir occasionnellement leur capacité de nuire à Israël et créer une dissuasion temporaire. En langage courant israélien, cela s’appelle « tondre l’herbe » – une métaphore approrpiée, puisque le problème repousse toujours.

L’usage patient, répétitif de la force n’est pas prestigieux, mais il finira, en définitive, par aboutir. Malheureusement, beaucoup d’Israéliens ne comprennent pas  les circonstances particulières de la grande victoire de 1967. Ils ont perdu patience et ne réalisent pas que le temps joue, en fait, en faveur d’Israël.

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Par le  5 Avril 2017

Efraim Inbar est professeur émérite de sciences politiques à l’Université Bar-Ilan en Israël et le fondateur et directeur du Cnetre d’études stratégiques Begin-Sadat [Center for Strategic Studies(1991-2016).    

                                                                               

Le Journal du Centre BESA [Center Perspectives Papers] est publié grâce à la  générosité de la famille de Greg Rosshandler

Adaptation : Marc Brzustowski

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