photo SIPA
Société. Aujourd’hui, dans cette France “apaisée” de 2017, il ne fait pas bon sortir des barbelés électrifiés du politiquement correct. Cela vient d’arriver à l’historien Georges Bensoussan, auteur des Territoires perdus de la République et d’Une France soumise. Une histoire tristement exemplaire.

Encore un épisode qui montre à quel point, en quelques années, la France est redevenue tranquille, apaisée, réenchantée. Le vivre-ensemble y triomphe, la tolérance y règne, les tensions entre communautés se peuvent conjuguer au passé décomposé. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et il ne nous reste qu’à cultiver notre jardin bio à l’ombre des éoliennes en fleur et des bougies commémoratives de temps aussi violents que désormais révolus.

« L’antisémitisme, on le tète avec le lait de sa mère »

En témoigne, d’exemplaire façon, l’étonnante séquence qui s’est déroulée pendant douze heures, le 25 janvier dernier, dans l’enceinte de la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris. Il s’agissait du premier chapitre du procès intenté à Georges Bensoussan, poursuivi par le parquet pour “provocation à la haine raciale”. Rien que ça. Intéressant, quand on sait que ledit Bensoussan est un historien de 64 ans, auteur de nombreux ouvrages dont l’un qui fut révélateur de l’état d’une certaine France, paru il y a quinze ans : les Territoires perdus de la République (Pluriel), titre désormais devenu partie intégrante de la réalité politique. Responsable éditorial du Mémorial de la Shoah, Bensoussan a décrypté et combattu le racisme sous toutes ses formes. Or, ne voilà-t-il pas que le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) l’attaque parce qu’il a prononcé, sur France Culture, dans l’émission Répliques, ces mots : « L’antisémitisme, on le tète avec le lait de sa mère. »

Qui est ce “on” ? Bensoussan, qui vient de faire paraître un nouvel ouvrage collectif, intitulé Une France soumise (Albin Michel), préfacé par Élisabeth Badinter, ne faisait que reprendre une déclaration du sociologue franco-algérien Smaïn Laacher, extraite d’un documentaire sur l’école. Que disait Laacher ? « Cet antisémitisme, il est déjà déposé dans l’espace domestique, il est dans l’espace domestique et il est quasi naturellement déposé sur la langue, déposé dans la langue, une des insultes des parents à leurs enfants, quand ils veulent les réprimander, il suffit de les traiter de “juif”. Bon. Mais ça, toutes les familles arabes le savent. C’est une hypocrisie monumentale que de ne pas voir que cet antisémitisme il est d’abord domestique. » Ce sociologue n’est pas le seul à avoir exprimé cela. Avant lui, de nombreux auteurs arabes avaient évoqué cette transmission étrangement culturelle. Ainsi, le Marocain Saïd Ghallab écrivait, dès 1965, dans la revue les Temps modernes : « La pire insulte qu’un Marocain puisse faire à un autre, c’est de le traiter de juif, c’est avec ce lait haineux que nous avons grandi… »
Le voilà accusé de racisme biologique

Que Georges Bensoussan ait généralisé, c’est possible. On voit qu’il n’est pas le seul. Mais ce qu’on lui reproche, c’est d’être passé de la transmission par la langue à celle par le sein. D’une métaphore à une autre. Du coup, le voilà accusé de racisme biologique : il ne reste plus qu’à condamner ce pelé, ce galeux d’où nous vient tout le mal. Se joint d’ailleurs à la plainte du CCIF, la cohorte connue des associations “antiracistes” : Licra, Mrap, Ligue des droits de l’homme, SOS Racisme… Ce qui fera dire au philosophe Alain Finkielkraut, lors de cette étrange journée : « Les associations antiracistes ne luttent plus contre le racisme ; leur objectif est d’interdire de penser […]. Je suis étonné d’être ici car la question n’est pas de savoir si Georges Bensoussan s’est rendu coupable : la question, c’est de savoir s’il dit vrai. Si le tribunal cède à cette intimidation, ce sera à la fois une catastrophe intellectuelle et une catastrophe moraleSi on refuse de voir la réalité et si on incrimine ceux qui s’efforcent de la penser, on n’a plus aucune chance d’échapper à la division et à la montée de la haine. »

Alors, on a entendu la sociologue Nacira Guenif expliquer que cette soi-disant transmission familiale de l’insulte antisémite ne veut strictement rien dire et qu’il ne faut surtout pas la prendre au mot. Paraphrasant étrangement l’expression de Claude Nougaro dans Toulouse : « On se traite de con à peine qu’on se traite », la sociologue affirme tout simplement qu’il s’agit « d’une expression figée passée dans le langage courant ». Bref, au lieu de dire “con”, on dit “juif” ; pas de quoi fouetter un chat.
« Ce soir, madame la présidente, pour la première fois de ma vie, j’ai eu la tentation de l’exil »

Voilà donc où l’on en est, dans cette France de 2017, où la police de la pensée traque impitoyablement tous les propos qui osent s’évader, ne fût-ce que d’un mot, des barrières électrifiées du politiquement, du communautairement et du sexuellement correct. Je feuilletais récemment des exemplaires du mensuel Hara-Kiri, qui triomphait dans les années 1960 jusqu’aux années 1980 : aucune couverture de ce magazine ne pourrait paraître aujourd’hui sans encourir les foudres judiciaires des associations à sens unique, d’ailleurs subventionnées par le contribuable.

Oser appeler les choses par leur nom, accoler les vrais mots aux vrais maux devient une entreprise à hauts risques. D’ailleurs, en cette journée peu ordinaire, le procureur de la République, dans son plaidoyer à charge contre Bensoussan, n’a pas hésité à dire que ce dernier avait appelé à un passage à l’acte lexical. Ni plus ni moins, donc, qu’un appel au meurtre. On eût aimé qu’elle utilisât les mêmes expressions pour les fauteurs de Charonne et du Bataclan, de Nice et de Charlie Hebdo, entre autres actes, bien réels ceux-là. Et Georges Bensoussan, en fin de séance, de lancer : « Ce soir, madame la présidente, pour la première fois de ma vie, j’ai eu la tentation de l’exil. » D’autres auront, on peut l’espérer, la tentation de la révolte. Jugement le 7 mars.

André Bercoff
Source : Valeurs Actuelles

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Danielle

Vous soulevez un problème non élucidé ; en effet en 1960 Hara Kiri écrivait tout ce qui lui plaisait à dire et parfois, il y avait du débordement, et pourtant aucune condamnation et aucun jugement à cette époque.
C’est à croire que la liberté d’expression était plus libérale !