Elisabeth Lévy : « Macron nous rappelle qu’entre le sublime et le ridicule, la frontière est ténue »

Elisabeth Lévy : « Macron nous rappelle qu'entre le sublime et le ridicule, la frontière est ténue »

FIGAROVOX.- Le dernier numéro de Causeur s’intitule: «Tout va très bien, Madame la Marquise». Un titre bien évidemment ironique. Après une très longue année d’élection présidentielle, les Français n’ont-ils pas droit à un peu d’optimisme?

Elisabeth LÉVY.- Un nouveau droit de l’homme, le droit à l’optimisme! Si vous voulez vraiment inventer de nouveaux droits, à tout prendre, je préférerais le droit à la vérité, ou à la lucidité. Permettez-moi de vous rappeler que la chanson «Tout va très bien Madame la Marquise», qui date de 1935, est devenue le symbole de l’inconscience d’un monde qui danse sur un volcan. Cela dit, Gramsci parlait d’optimisme de la volonté – qu’il voulait allier au pessimisme de la raison: aujourd’hui, on sent plutôt une farouche (et un peu déraisonnable) volonté d’optimisme. Et cette humeur, contrairement à ce que pensent beaucoup, n’est pas une fabrication des médias, même si ceux-ci sont plutôt indulgents: par exemple, quand Macron fait du Chevènement en critiquant l’Europe et en rappelant la nécessité de protéger, ils applaudissent alors que, d’habitude, ce genre de propos leur semble être l’abomination de la désolation. Ni les affaires, qui obligent opportunément le pouvoir à en rabattre sur le côté «je lave plus blanc», ni les éructations mélenchonistes, ni l’arrogance des hipsters façon Castaner qui constituent la garde rapprochée de Macron, ni l’arnaque de «la société civile» qui cache une reprise en main de grande ampleur par les experts et les hauts fonctionnaires sous la haute surveillance d’une cohorte d’inspecteurs des Finances, ni la valse-hésitation sur la fiscalité ne semblent casser l’ambiance, comme si les Français voulaient une pause avant de reparler des sujets qui fâchent. En somme, ce sont eux qui demandent à leurs gouvernants de les traiter par la méthode du docteur Coué, au moins pour la pause estivale. Comme on le dit au début du film La Haine, alors que le personnage fait une chute de 50 étages: «Jusqu’ici, tout va bien». Or, nous ne sommes peut-être pas à la veille d’une guerre mondiale mais tout ne va pas très bien et à vouloir faire comme si, on se prépare surtout un atterrissage brutal.

Les Français semblent vouloir accorder à Macron le bénéfice du doute. N’est-ce pas naturel en somme? Causeur n’est-il pas un peu mauvais perdant?

Il n’est nullement question de remettre en cause la légitimité du président, auquel les Français ont, après l’avoir élu, accordé une très nette majorité. Quand Mélenchon, avec ses dix-huit députés, prétend représenter le peuple, nous devrions tous éclater de rire. Pour autant, devons-nous nous contenter de crier «Vive le Roi» et de célébrer la jeunesse et le talent de notre nouveau monarque? En réalité, au-delà de la volonté diffuse de repousser les questions douloureuses à la rentrée que j’ai évoquée, les Français sont en même temps séduits et sceptiques.

Commençons par l’actif. Tout d’abord, compte tenu de l’ampleur du jeu de massacre qui vient d’avoir lieu, il y en a pour tous les goûts: les uns applaudissent à la disparition de la gauche Najat, les autres à la débâcle de la droite Fillon. Ensuite, après la déprimante normalité hollandienne, le retour à une certaine verticalité du pouvoir est évidemment une bonne nouvelle. Qui ne se réjouirait de voir la France, à travers son président, de nouveau considérée sur la scène internationale? Que Macron soit celui qui renoue avec Poutine et qui reçoit Trump témoigne d’une plaisante indépendance d’esprit. Par ailleurs, son discours sur l’Europe me déçoit en bien comme on dit en Suisse. Quand le chef de l’État affirme que l’Allemagne «doit bouger, comme la France doit bouger», qu’il parle de «responsabilités partagées» expliquant à mots couverts que la prospérité de notre voisin est en partie construite sur le dos de ses partenaires, cela traduit une salutaire volonté de rééquilibrage du rapport de force. Reste bien sûr à savoir s’il obtiendra des résultats.

En attendant, il y a un autre domaine où Macron veut rééquilibrer un rapport de forces, c’est entre pouvoir politique et médiatique. Alors que son prédécesseur gouvernait avec le revolver du Monde braqué sur sa tempe, il fait dire que sa pensée est trop complexe pour être livrée aux questions des journalistes – c’est assez gonflé et très amusant. Cela ne l’empêche pas, dit-on, de recevoir discrètement quelques heureux élus de la profession, mais après tout on a le droit de choisir ses amis. En tout cas, qu’il tienne la dragée haute aux journalistes est l’un des signes les plus encourageants de la verticalité revendiquée.

Vous voyez bien, Madame la marquise, que tout ne va pas si mal….

Minute papillon! Tout d’abord, les choses sérieuses viennent à peine de commencer. Mais nous sommes encore largement dans le domaine du discours. Or, la juxtaposition de propositions contradictoires qui est la marque du verbe macronien révèle une ambiguïté dont le président devra bien sortir, à un moment ou à un autre. Ainsi, dans son discours au Congrès, le 3 juillet, le président a-t-il, comme toujours, équitablement distribué les gracieusetés: une cuillère pour les réacs une cuillère pour les progressistes, une cuillère pour les souverainistes une cuillère pour les fédéralistes, une cuillère pour les colbertistes une cuillère pour les libres-échangistes, sans oublier les lieux communs, du genre «je suis pour la paix et pour la fraternité».

Il faut être un sacré mauvais coucheur pour résister à la promesse de «l’ouverture à des possibles qui nous rassemblent» ou refuser «un imaginaire puissant et désirable où chacun trouvera sa place». D’accord, ça ne veut rien dire. Mais ça sonne bien. Cela nous rappelle qu’entre le sublime et le ridicule, la frontière est ténue. Et le risque que la mise en scène de la geste macronienne vire au festival des postures n’est pas négligeable.

En attendant, quand vous reprochez au président de prôner une certaine efficacité économique, dans un pays bloqué où le mot «entreprendre» semblait être devenu un gros mot, vous êtes de mauvaise foi…

Mauvaise foi vous-même! Où êtes-vous allé chercher que nous sommes contre l’efficacité économique? Seulement, quand le président appelle de ses vœux une «société efficace», cela évoque plutôt un meilleur des mondes où tout marcherait, où rien, ni les gens ni les choses, ne serait déglingué. De quoi filer le bourdon, non? L’idéologie fondatrice du nouveau pouvoir, plus managériale que politique, n’est pas le libéralisme, même néo, mais le startupisme: «Si t’as pas fait ta start-up à 25 ans, t’as raté ta vie!».

Vous reprochez à Macron sa petite phrase sur «ceux qui ne sont rien». Il s’est excusé et a expliqué qu’il s’agissait uniquement d’une faute de langage. Allez-vous désormais traquer le moindre «dérapage» du président comme une certaine gauche s’en est fait la spécialité avec tous ceux qui ne sont pas de gauche?

Sauf qu’il ne s’agit pas de propos de tables volés mais d’un discours public prononcé par le chef de l’État. Bien sûr, il serait tout aussi injuste de juger le président sur cette distinction entre «ceux qui réussissent» et «ceux qui ne sont rien» qu’il l’était de réduire Nicolas Sarkozy à son «Casse-toi pauvre con!». N’empêche, dans les deux cas, la gaffe révèle sans doute une part de vérité – plus attachante en l’occurrence chez Sarko que chez Macron.

Et quelle est cette part de vérité dans le cas de Macron?

Je ne parlerais pas, comme on l’a entendu en boucle chez les insoumis et assimilés, de mépris de classe, plutôt d’une compassion de dame patronnesse, non pas pour les pauvres mais pour tous ceux qui ne sont pas dans le vent. Emmanuel Macron n’admire pas tant les riches que les néo-entrepreneurs: le vieil argent, qu’il appelle rente, et la bourgeoisie old school n’est pas sa tasse de thé. Et sans doute a-t-il plus de considération pour un chômeur longue durée que pour un notaire – mais qui s’insurgerait contre la notairophobie? Bref, tout en se présentant régulièrement comme l’héritier de la grande histoire de France, Macron ne cesse de dire sa fierté d’être l’homme du coup de vent sur le vieux monde. Mais la plupart des gens y tiennent, à ce vieux monde, parce que c’est à celui-là qu’ils appartiennent. Le président va le découvrir, la France qui se soucie de la continuité historique, celle qui ne veut pas que l’on révolutionne les cadres symboliques et institutionnels qui ont fait son existence collective, celle dont on adore se payer la tête sur Canal + et France Inter n’a pas l’intention de disparaître. Ce qui, si la droite s’intéressait vraiment aux idées, devrait ouvrir un boulevard à un conservatisme populaire.

Vous reprochez à Macron d’oublier le terrorisme et l’angoisse identitaire. Ça ressemble à une obsession chez vous…

Nous reprochons effectivement au président de sous-estimer gravement les problèmes posés par l’avancée d’un islam radical qui, d’une part met à mal la cohésion française et d’autre part, nourrit la violence terroriste. Ce qui nous menace encore plus que la volonté d’emprise islamiste, c’est le déni qui nous rend incapables d’affronter les défis. Et si c’est une obsession, nous la partageons avec pas mal de nos concitoyens. À en croire, par exemple, un sondage publié dans Le JDD, la question de l’intégration de l’islam est une priorité pour 61 % des Français, loin devant les retraites (43 %), l’emploi (36 %) et le pouvoir d’achat (30 %). Alors oui, au risque de déclencher les habituels airs excédés et les mêmes pincements de nez de la gauche olfactive, je crois que la crise de l’intégration devrait être une priorité du pouvoir. Or, sur ce sujet, c’est silence radio ou presque. De même que sur l’assassinat, à Belleville, de Sarah Halimi par un de ses voisins, aux cris d’«Allah Ouakbar». Et si je suis démentie sur ce point par le discours qu’Emmanuel Macron prononcera à Nice, tant mieux! Reste que, plus largement, il est urgent de négocier un pacte entre l’islam de France et la République c’est-à-dire de définir la règle du jeu. Dire cela n’a rien de raciste. Pour qualifier les djihadistes qui détiennent une humanitaire française, le président a employé exactement les mêmes mots qu’à la Halle F: «Ils ne sont rien.» Cette récurrence révèle peut-être une autre facette de la «pensée Macron»: une propension à écarter de la photo les réalités déplaisantes. Quand le président affirme «on ne peut pas prétendre lutter efficacement contre le terrorisme si on n’a pas une action résolue contre le réchauffement climatique», il ressort la vieille antienne selon laquelle l’économie est la source de tous les maux et de toutes les solutions. L’homme macronien se nourrirait-il seulement de pain?

Le meilleur moyen de résoudre la crise de l’intégration et de retrouver un peu de fierté nationale, n’est-il pas de renouer avec un récit rassembleur? Avec l’idée que la France est un pays où tout est possible d’où qu’on vienne…

Sans doute faites-vous allusion à la volonté présidentielle, délivrée par le truchement de son compte Twitter, de faire de la France une «start-up nation», c’est-à-dire «une nation où chacun peut se dire qu’il pourra créer une start-up». Quel récit rassembleur en effet! Alors, désolée, il faut bien que quelqu’un parle pour les attardés qui voudraient surtout que la France reste une nation tout court et qui s’inquiètent de la voir se défaire. Comme le dit drôlement Alain Finkielkraut dans notre numéro, il faut réhabiliter Cassandre (qui avait, il faut le rappeler, sacrément raison d’inviter les Troyens à se méfier). C’est un peu le rôle de Causeur.

Vous consacrez également un dossier à «la destruction de Paris». Dans votre article, «Paris, capitale d’un futur indésirable», vous ironisez sur «le salmigondis municipal, citoyen et innovant». Et vous écrivez: «Et si une ville, justement, n’était pas une terre de paix mais une zone de conflits, de fractures, d’antagonismes?». Avec le chaos migratoire à porte de la Chapelle, vous devriez être servie…

Si Anne Hidalgo n’existait pas, Muray l’aurait inventée! Le chaos migratoire est précisément la preuve que la vie concrète, avec ses débordements, ses turpitudes et son allégresse, n’obéit pas aux rêves d’homme nouveau (é-e, comme on l’affiche désormais sur tous les documents de la mairie) des héritiers de Jack Lang qui dirigent l’Hôtel de Ville. Anne Hidalgo c’est les migrants + les JO. Elle a voulu faire la belle en jouant les Merkel devant les caméras, alors qu’elle n’a strictement aucune solution pour accueillir les migrants à Paris (question qui ne relève qu’à la marge de son ressort). Les bons sentiments ne suffisent pas, désolée. Et par ailleurs, il n’est question que de réinventer la ville, d’y transporter la nature, et d’y piétonniser des places où cent Nuit debout pourront s’épanouir. Et ceci sans jamais cesser de faire subir aux Parisiens et à tous les Franciliens un terrifiant tourbillon de festivités effectivement innovantes et citoyennes qui paralysent toute autre activité. On dirait que, pour Madame Hidalgo, ceux qui ne veulent pas rêver la ville de demain, mais souhaitent plus modestement pouvoir se déplacer dans celle d’aujourd’hui, par exemple pour y travailler, ne sont rien. Comme les opposants aux JO. Des rebuts de l’Histoire en marche..

Finalement, si vous deviez choisir, ne préférez-vous pas «le meilleur des mondes macronisé» au «Paris merveilleux» d’Anne Hidalgo?

Je crains, justement, de ne pas avoir à choisir et d’avoir les deux! Malgré l’animosité entre le président et le maire de Paris, le progressisme macronien n’est pas fondamentalement différent de celui d’Anne Hidalgo, rappelez-vous le show du président-tennisman sur la Seine pour défendre Paris 2024. Cependant, si je devais vraiment choisir entre vos deux versions de l’avenir radieux, je parierais sur la monarchique plutôt que sur la citoyenne. Les ambiguïtés de Macron seront peut-être la source de bonnes surprises, alors que rien n’arrêtera Anne Hidalgo dans l’entreprise de destruction des conditions de la vie concrète qu’elle mène sous l’étendard de la transformation. Rien, sinon bien sûr les électeurs. Jusque-là, les Parisiens qui aiment tant se dire rebelles se sont montrés étonnamment dociles face aux âneries inventées pour leur pourrir la vie. On saura lors des prochaines élections municipales si les néo-humains à roulettes regroupés sous la bannière d’Homo festivus ont réussi à mener à bien le Grand remplacement du peuple de Paris.

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN – A l’occasion de la sortie du dernier numéro de Causeur, Elisabeth Lévy revient sur les premières semaines de présidence d’Emmanuel Macron. Pour elle, avec le nouveau Président de la République, « les Français sont à la fois séduits et sceptiques ».

  • Par Alexandre Devecchio
  • Publié 

Élisabeth Lévy est journaliste et directrice de la rédaction de Causeur. Son dernier numéro s’intitule Tout va très bien, madame la marquise!

lefigaro.fr/vox/politique

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