Son Excellence Andrzej Byrt et Claude Hampel lors de la commémoration du soulèvement du ghetto de Varsovie en avril 2016/Crédit photo Alain Azria

Claude Hampel nous a quittés vendredi 11 novembre 2016.

Le parcours de cet homme rescapé du ghetto de Varsovie, journaliste et écrivain est remarquable.

Comme l’ont été ses fonctions et distinctions.

Mais il semble que, pour dépeindre ce grand Monsieur, le mot qui revienne le plus souvent soit celui de la Mémoire.

C’est d’ailleurs autour de cette notion que Charles DOBZYNSKI avait rendu hommage à Claude Hampel lors de la remise du prix Idel Korman.

« Ce que nous avons la chance de fêter aujourd’hui, à l’occasion de la distinction du prix Idel Korman, décerné à Claude Hampel, c’est l’espoir, en la personne de celui qui l’incarne si dignement à nos yeux.

Claude Hampel est un des symboles de l’espoir, de la fidélité à un idéal et à un héritage.

Claude Hampel est l’image même d’un intellectuel que l’on peut dire exemplaire.

L’espoir a tout l’air d’être une catégorie morale en voie d’extinction, à une époque où de toutes parts, c’est la cruauté, le malheur, l’iniquité et la catastrophe qui semblent tenir le haut du pavé, et avec eux le cortège du cynisme, l’esprit de la défaite, du désengagement, de l’égoïsme comme une valeur universelle. Or l’espoir est la valeur la plus irréductible que nous ait léguée notre histoire, une valeur qui est à l’origine de tout progrès, de toute énergie, vitale, de toute création.

C’est que Claude Hampel est né au pire moment, celui où le désespoir et la mort en uniforme à croix gammée étendaient leurs ailes sur toute l’Europe et sur la civilisation. Il est né en 1943, alors que l’extermination du peuple juif atteignait à Auschwitz son point culminant. Il a réchappé à l’enfer par une sorte de miracle, sa mère ayant été arrachée d’un train en partance pour Maidanek. Ils ont été sauvegardés par des polonais qui leur ont donné refuge non loin de Varsovie.

Il se trouve que j’apprenais récemment que pour la première fois après tant d’errements un journal bilingue, mi-yiddish, mi polonais reparaissait en Pologne. Un signe d’espoir encore au bout de cette nuit que le jeune Hampel a connue. Mais il n’avait que cinq ans, en 1948, lorsque l’aube de la résurrection pour le peuple juif s’est levée avec la création de l’Etat d’Israël. Dans la famille de Claude Hampel, on parlait une langue, le yiddish, qui a failli disparaître avec la plus grande partie de ses locuteurs. Claude Hampel a su garder en lui cette racine de la mémoire qui est aussi une racine de l’espérance. Je lisais récemment dans un article du journal Le Monde, consacré au dernier livre du grand écrivain israélien Amos Oz, un livre de mémoire et d’autobiographie, que celui-ci, comparant l’hébreu, qu’il a su si brillamment illustrer, et le yiddish avait choisi le premier parce que le second était considéré comme un jargon Amos Oz reprenait ainsi en toute bonne foi, je n’en doute pas, la vieille cabale des adversaires du yiddish qui n’a pas empêché celui-ci de devenir une langue à part entière et d’apporter sa contribution à l’histoire de la littérature mondiale. Imagine-t-on que le prix Nobel de littérature aurait pu être attribué à un jargon ?

Pour Claude Hampel et sa famille, le yiddish, même s’il ne fut pas la seule langue parlée et étudiée, était un facteur de civilisation dont le maintien était à ses yeux un devoir et une mission d’honneur. Il est devenu journaliste dans la presse yiddish qui existait encore jusqu’à la fin des années quatre-vingt dix, d’abord à Unzer Stimme, puis à Unzer Wortt. Unzer Stimme, cela correspondait aux options de son propre père, Jacob Hampel, responsable du Bund, ce mouvement du socialisme démocratique pour qui le yiddish fut un élément de son combat durant des décennies. Un combat dont la continuité fut nécessaire au maintien d’un territoire du yiddish dans la vie militante et dans la vie personnelle. Claude Hampel s’est inscrit lui-même dans cette continuité. Il n’est pas nécessaire de revenir ici sur les circonstances et les raisons de la disparition de la presse yiddish en France. Ces raisons sont diverses, mais il reste que d’autres périodiques juifs en langue françaises, Je pense aux Cahiers Bernard Lazare, ou à une revue telle que Diasporiques, ont su préserver à leur façon la mémoire du yiddish et par conséquent la petite flamme de l’espoir. 

Mais cet espoir a pris une dimension toute nouvelle avec la naissance de Yidishe Heftn, les Cahiers yiddish. Sur un terrain où l’on ne trouvait plus que !es cendres d’une vie de l’esprit, d’une vie imprimée, quand il n’y avait plus rien, ni Unzer Stimme, ni Unzer Wort, ni Naïe Presse, ni Parizer Zeitschrift et qu’à l’étranger également s’étendait le désert de la presse yiddish, voilà qu’un courageux petit navire aux couleurs du yiddish prenait le large, aux côtés de son vaisseau amiral, les Cahiers Bernard Lazare, et qu’il devenait l’emblème de cette volonté non seulement de survivance mais de reconquête par le yiddish de sa présence et de son identité. Le pilote de ce navire qui a grandi avec le temps n’était autre, vous le savez, que le courageux Claude Hampel, qui réalisait ainsi le rêve de beaucoup d’entre nous de ne pas voir s’éteindre à tout Jamais notre témoignage pour l’histoire et pour la pensée.

Un navire a besoin d’un équipage, et Claude Hampel a su le constituer, conformément aux aspirations de tous. Non pas un brûlot de politique et de polémique, mais une avancée de l’information de la connaissance et de la culture vivante où nous sommes heureux de retrouver notamment à son poste de commande, Milka Szulstein, la femme du poète Moshe Szulstein, et tant d’autres. Car c’est là, maintenant, sans parler des centres universitaires et des associations qui sont des lieux où veille le yiddish, que nous pouvons encore lire dans cette langue si menacée, des articles, des études, des extraits d’auteurs classiques et des poèmes d’aujourd’hui, parmi de nombreuses collaborations étrangères. Et le rôle que joue à cet égard Claude Hampel est primordial car c’est celui d’un homme éclairé, aux idées généreuses, à l’inverse du sectarisme J’ai vu disparaître, autour de moi, bien des amis yiddishophones, sans parler de ma mère qui était le fil conducteur de ma mémoire en yiddish. Yidishe Heftn ne remplace évidemment pas les conversations, mais c’est tout de même un dialogue avec et dans la langue, un repère sans lequel nos assisterions a la dissolution de notre île, voire de notre îlot en yiddish, au milieu du vaste océan de la langue française qui en ronge les rivages.

Voilà pourquoi, vieil amoureux du yiddish que je suis, je tiens à témoigner à Claude Hampel à la fois toute mon amitié et toute ma gratitude. »

C’est toujours autour du respect de la Mémoire, de la transmission, que j’ai eu moi-même l’honneur de rencontrer Claude Hampel, lors de la commémoration le 19 avril 2016 du soulèvement du ghetto de Varsovie au Mémorial de la Shoah, à laquelle il participait en sa qualité de Président de la Commission du Souvenir du C.R.I.F.

Une des phrases les plus émouvantes entendues ce jour-là fut celle-ci :

« Tu as été sauvé non pour pouvoir vivre. Tu as peu de temps. Tu dois rendre témoignage. Sois fidèle et va. »
Cette phrase magnifique du poète dramaturge Herbert Zbigniew pourrait résumer cet épisode douloureux du soulèvement du ghetto de Varsovie.
Comme elle pourrait résumer la vie de tous ceux qui ont échappé à la mort et qui se sont efforcés de transmettre la mémoire de ce qui a été, comme la mémoire de notre Peuple.
A la fin de la cérémonie, j’ai approché Claude Hampel. Avec gentillesse, il m’a donné les informations dont j’avais besoin.
Quelques jours plus tard, je l’ai croisé à nouveau lors d’une soirée des Amis du Crif.
Nous avons discuté, avec la promesse de nous en dire plus.
Le 11 novembre il disparaissait.
Sans que j’ai eu le temps – ou pris ce temps…- de lui dire qu’en effet, à mes yeux aussi, il incarnait magnifiquement cette obligation de mémoire.
 Solange Hendi

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