Pour quelles raisons les ultra orthodoxes d’Israël et d’ailleurs condamnent-ils la conscription ?©

Les vacances en Israël sont toujours instructives, enrichissantes. C’est l’interprétation que je souhaite donner à l’adage talmudique apparemment enfantin : l’air de la terre d’Israël rend plus intelligent.. Awirah shél éréts Israël mahkim. Plus sérieusement, il se passe dans ce pays tant et tant de choses qu’on se demande ce qu’il faut retenir ou oublier. En d’autres termes, c’est comme la Samaritaine de Paris : il s’y passe toujours quelque chose.

En écoutant les nouvelles, un petit reportage a retenu mon attention. Le journaliste s’entretenait avec un jeune homme qui venait d’achever son service militaire dans Tsahal. Mais ce conscrit n’était pas comme tous les autres. Il faisait (je dis bien le passé, l’accompli) partie d’une communauté ultra-orthodoxe qui l’a violemment rejeté du jour au lendemain : après son intention de servir dans l’armée de son pays et le défendre contre des agresseurs, les armes à la main, il était devenu un ennemi, un pestiféré, un paria.


Ce conscrit n’était pas comme tous les autres. Il faisait (je dis bien le passé, l’accompli) partie d’une communauté ultra-orthodoxe qui l’a violemment rejeté du jour au lendemain : après son intention de servir dans l’armée de son pays et le défendre contre des agresseurs, les armes à la main, il était devenu un ennemi, un pestiféré, un paria.

Accompagnant le journaliste non loin de son ancienne maison dans son quartier ultra-orthodoxe, il se fige à une centaine de mètres, refusant d‘avancer un peu plus… Malgré l’insistance (déplacée) du journaliste, il se refuse à couvrir le quelques dizaines de mètres le séparant de son ancien domicile qu’il avait quitté avec sa petite famille, sous les huées et les insultes de ses anciens condisciples…

Le jeune soldat relate avec tant d’émotion comment il fut traité après avoir enfreint le tabou de ces ultra-orthodoxes, connus en Israël sous le nom de Harédim, c’est-à-dire ceux qui sont habités par la crainte, la crainte du Ciel, assurément. Ils rejettent tous ceux qui ne pensent pas comme eux et surtout leur lecture théologique de l’Histoire fait d’eux une secte qui a sa propre approche des textes sacrés. Nous y reviendrons.

Le jeune homme explique qu’un jour son épouse l’appelle au téléphone pour lui dire qu’une violente manifestation se déroule présentement sous leurs fenêtres : une escouade de barbus hurlent des injures, fulminent des anathèmes contre cette brebis galeuse qui a osé enfreindre un tabou : l’incorporation dans l’armée, qui est rejetée avec force par ces Harédim.

Partant, puisque le jeune homme a enfreint cet interdit, il doit partir, quitter le quartier qu’il n’est plus digne d’habiter. Auparavant, il avait déjà été exclu de la synagogue où il avait coutume de prier, c’est une sorte d’excommunication dont le jeune homme a été victime.

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Photo Tsahal site Facebook

Pourtant, dès 1783 à Berlin, Moses Mendelssohn avait publié un bel ouvrage intitulé Jérusalem ou pouvoir religieux et judaïsme. Il y expliquait que tout n’était pas religieux, soumis à la règle religieuse, dans le système du judaïsme et que l’on devait retirer aux religieux, y compris juifs, le pouvoir d‘excommunier, d’exclure ou de bannir (Ausschliessungsrecht).

Mais, à l’évidence, les ultra-orthodoxes ne lisent pas Mendelssohn et auraient plutôt tendance à l’abhorrer…

Pas plus qu’ils ne lisent la Bible hébraïque de manière rationnelle, pour ne pas dire philosophique.

Leur attitude exclusiviste les pousse même à sombrer dans la déraison puisqu’ils vouent l’Etat juif aux gémonies. Curieux pour des Juifs qui se veulent partisans d’une lecture scrupuleuse de la Tora et qui se plaignent de vivre dans un état souverain et juif, un eldorado qui a mis plus de deux mille ans à se réaliser. Et dont l’existence est menacée à toute heure du jour et de la nuit.

Alors que veulent-ils et que reprochent-ils aux partisans du sionisme politique, à laquelle tant de partis religieux modérés se sont ralliés et dont les députés siègent à la Knesset, voire participent aux coalitions gouvernementales.


Que veulent ces extrémistes, et que reprochent-ils aux partisans du sionisme politique, à laquelle tant de partis religieux modérés se sont ralliés et dont les députés siègent à la Knesset, voire participent aux coalitions gouvernementales.
Pour les Harédim, ces députés ne représentent qu’eux-mêmes. Et certainement pas l’authentique Tora divine dont ils se disent les détenteurs exclusifs.
Selon eux, c’est Dieu en personne qui réunira les conditions d’un retour des exilés en Terre sainte, de l’édification du troisième temple et de l’instauration de la paix sur terre. Cette conception messianique, jugée simpliste par certains, dénie aux hommes la possibilité d’œuvrer dans le cadre historique, même s’ils pensent le faire  aux côtés de Dieu ou dans son sillage.
En agissant, sans attendre l’injonction divine, les soldats de Tsahal commettent un acte sacrilège : ils se substituent à Dieu lui-même et ainsi en défendant un Etat non décidé par la volonté divine, les soldats, les militaires, l’armée israélienne adoptent une attitude impie et hautement condamnable…

Pour les Harédim, ces députés  – qui ont refusé de participer à l’émission de peur d’être traités de mollassons ou de déviants – ne représentent qu’eux-mêmes. Et certainement pas l’authentique Tora divine dont ils se disent les détenteurs exclusifs.

Et selon eux, c’est Dieu en personne qui réunira les conditions d’un retour des exilés en Terre sainte, de l’édification du troisième temple et de l’instauration de la paix sur terre. Cette conception messianique, jugée simpliste par certains, dénie aux hommes la possibilité d’œuvrer dans le cadre historique, même s’ils pensent le faire  aux côtés de Dieu ou dans son sillage.

En agissant, sans attendre l’injonction divine, Dieu étant le maître de l’Histoire, les soldats de Tsahal commettent un acte sacrilège : ils se substituent à Dieu lui-même et ainsi en défendant un Etat non décidé par la volonté divine, les soldats, les militaires, l’armée israélienne adoptent une attitude impie et hautement condamnable…

Heureusement, on a pu voir quelques rabbins orthodoxes se désolidariser des extrémistes et accueillir à bras ouverts les exclus. Mais certains de ces rabbins ont néanmoins reçu des menaces de morts… probablement de certains de leurs collègues.

Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que cette attitude est, pour le moins, originale et très personnelle. Comment envisager, ne serait-ce que l’espace d’une seconde, que l’Etat d’Israël devrait être désarmé et attendre les bras croisés que les ennemis alentour viennent massacrer tous ses habitants jusqu’au dernier…

Je rappelle que certains de ces extrémistes juifs, pas tous heureusement, n’ont pas hésité à s’afficher à Téhéran auprès de Mollahs prônant la destruction de l’Etat juif. C’est une nébuleuse avec tant d’orientations sectaires différentes.

Y-a-t-il dans les sources juives anciennes des références qui fondent une telle attitude ? Je n’en vois qu’une seule qui soit suffisamment explicite mais qui doit s’entendre à double tranchant (tarté mashma’).

Dans des exégèses midrachiques qui s’interrogent sur la possible reconstruction du Temple, un Temple qu’on souhaite légitimement indestructible, les sages, instruits des aléas de l’histoire juive, ont répondu d’une manière qui prête à confusion : le troisième temple descendra tout construit du ciel… Et les demi savants ont pris l’expression au pied de la lettre.

Or, le talmud dit lui-même : eyn méchivim al ha derash : on n’est pas tenu de justifier les contradiction ou les affirmations gratuites du midrash… Quelle parole sensée !

Comme les anciens talmudistes sont à l’évidence plus intelligents et plus fins que ceux qui entendent s’exprimer à leur place de nos jours, cette réponse n’a pas le sens littéral que les Harédim veulent bien lui donner. Quand on lit bien, cela signifie que les lois de ce monde-ci sont imprévisibles et surtout que la volonté divine, que le dessein divin sont impénétrables.

D’où l’expression – le temple descendra du Ciel tout construit -… Intellectuellement, cela signifie que nul ne peut discerner l’intime volonté de Dieu ni déchiffrer les mystérieux carnets de la Providence.


Les plaignants dénoncent l’attitude laxiste des gouvernements et de la police d’Israël, cette dernière n’intervenant que dans les cas les plus graves et encore.
Il est vrai que la diffusion aux quatre coins de la planète d’images montrant des policiers juifs matraquant ou réprimant des manifestations de religieux  (avec barbe, chapeau et franges rituelles) à l’aide de gaz lacrymogène, aurait un effet désastreux.
Partant, l’Etat temporise et je dois reconnaître que c’est la seule solution qui s’impose.

Il reste un dernier point à évoquer : ces Harédim n’hésitent pas à user de violence envers ceux qui les quittent ou les critiquent. Et qui ont des raisons de se plaindre d’eux.

Les plaignants dénoncent l’attitude laxiste des gouvernements et de la police d’Israël, cette dernière n’intervenant que dans les cas les plus graves et encore. Il est vrai que la diffusion aux quatre coins de la planète d’images montrant des policiers juifs matraquant ou réprimant des manifestations de religieux  (avec barbe, chapeau et franges rituelles) à l’aide de gaz lacrymogène, aurait un effet désastreux. Partant, l’Etat temporise et je dois reconnaître que c’est la seule solution qui s’impose.

Si l’Etat d’Israël faisait respecter la loi partout et sans fléchir, s’il intervenait contre ces religieux, il ruinerait l’un des fondements idéologiques les plus précieux de son existence : réunir les juifs du monde entier dans un foyer juif ! Et voilà qu’il sévit contre ceux qui se disent le plus authentiquement juifs… C’est intenable, indéfendable.

Quel paradoxe ! Mais le peuple juif et l’Etat d’Israël ne sont-ils pas des paradoxes vivants ? Et il faut vivre avec chaque jour que Dieu fait.

Alors courage ! Et que la raison finisse enfin par s’imposer.

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage : Franz Rosenzweig (Agora, universpoche, 2015)

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Miraël

Il est aussi possible de considérer que ces religieux font preuve d’un manque de foi évident en refusant de voir parmi les étapes de la création de l’Etat moderne d’Israël les preuves d’une intervention divine manifeste.
A titre d’exemple les témoignages des soldats de l’armée syrienne pendant la guerre de six jours qui affirment avoir vu des anges les empêcher d’avancer.

Jankel

Monsieur Ben Hayoun, sauf votre respect, je dois vous prier d’aller apprendre la médecine psychiatrique et la psychanalyse freudienne pour ne pas émettre des souhaits à la fois ignares et niais: De voir la raison spinoziste et Mendelsohnienne triompher de la « folle bêtise » de graves immatures .