Comment ont-ils pu soutenir une telle guerre d’agression? Comment ont-ils pu tolérer – ou soutenir activement – l’extermination des Juifs et d’autres populations, exigée par les aryens au nom de la supériorité raciale?

Et pourquoi ont-ils autant soutenu l’effort de guerre nazi à la fin, malgré les ravages et les preuves accablantes mettant à l’évidence que l’armée allemande ne pouvait pas l’emporter?

L’historien Nicholas Stargardt devrait être félicité pour son travail qui tente de répondre à ces questions dans son livre : A Nation Under Arms, 1939-1945 ‘une Nation soumise). Il a fait beaucoup pour combler une lacune de l’histoire, dans le lourd dossier de la Seconde Guerre mondiale.

Ce que les Allemands ordinaires savaient, pensaient, – et quand – est maintenant moins mystérieux.

Une tâche d’autant plus difficile, que les mémoires sont défectueuses et l’amnésie historique fut une épidémie en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale.

Une grande partie de la recherche de Stargardt repose largement sur des écrits personnels, de membres de la police et des dossiers judiciaires, ainsi que les rapports du ministère de la propagande sur le moral et des troupes et de la population. Ses portraits d’Allemands ordinaires pendant la Seconde Guerre mondiale sont nuancés, éclairants, parfois empathiques, mais aussi accablants.

A la veille de la guerre, de nombreux Allemands étaient encore animés par la victimisation. Suite à la défaite à l’issue de la Première Guerre mondiale, le défaitisme et le sentiment d’avoir été trahis régnaient : un fort ressentiment à l’égard des sanctions économiques sévères imposées par les vainqueurs, la crainte des répercussions négatives possibles au vu des questions géopolitiques non résolues, en particulier à l’Est.

La décision d’Hitler d’entrer en guerre en 1939 était « profondément impopulaire » en Allemagne. Pourtant, les Allemands ont soutenu le conflit – dès le début et jusqu’à la fin – et l’ont perçu comme une guerre de défense nationale plutôt que comme une guerre d’agression allemande.

La popularité de la guerre avec et malgré ses hauts et ses bas.

Stargardt écrit que les soldats allemands étaient grisés par l’invasion de la France, et une fois rentrés chez eux l’euphorie avait dissipé leurs inquiétudes.

Stargardt contredit méthodiquement tous les arguments qui voudraient faire croire que les Allemands n’étaient pas au courant des atrocités de la guerre et de l’Holocauste. Ils savaient et ce, dès le début de la guerre.

« Bon nombre des soldats qui ont été témoins de tels événements en Pologne avaient pris des photos qu’ils avaient renvoyées chez eux pour les faire développer », écrit Stargardt. « De cette façon, ce témoignage visuel passait de mains en mains, celles des parents, des femmes et des assistants photographiques avant d’être remis à ceux qui retournaient en Pologne commettre des meurtres de masse. »

Plus tard pendant la guerre, les soldats soviétiques « ont trouvé des milliers de photos des sites où avaient lieu les meurtres de masse, dans les poches des uniformes de prisonniers allemands et des cadavres, qu’ils gardaient à côté des photos de leurs fiancées, leurs femmes et leurs enfants. »

Dès 1943 les Allemands étaient de l’avis que les bombardements alliés sur leurs villes étaient des représailles pour l’assassinat des Juifs.

Les membres du clergé allemand, qui sans doute auraient pu faire office de boussole morale, n’ont rien fait ou très peu pour sensibiliser leurs congrégations aux mesures prises par des nazis. Beaucoup d’intellectuels catholiques et protestants espéraient que les nazis apporteraient un renouveau spirituel, écrit Stargardt. Quelques membres du clergé se sont élevés contre le régime, mais pas assez souvent.

Par ailleurs, les Catholiques et les protestants n’ont pas réussi à empêcher les assassinats systématiques des patients dans les asiles psychiatriques allemands. La plupart ont fermé les yeux sur le sort des Juifs. Certains dirigeants protestants ont même affirmé en 1941 que «les chrétiens racialement juifs n’avaient pas leur place et aucun droit de faire partie de l’Eglise. »

Qu’est-ce qui serait arrivé si dans ce contexte, les catholiques et les protestants avaient élevé la voix avec force. Une tentative nazie en 1942 pour enlever les crucifix dans les écoles en Bavière avait provoqué une forte résistance. En fin de compte, Stargardt écrit, le parti nazi et les SS reculèrent et « n’osèrent pas déclencher un nouveau conflit ouvert avec l’Eglise pendant la guerre. »

La réputation de l’Allemagne nazie comme état policier en prend aussi un coup sous la plume très documentée de Stargardt.

« La Gestapo tirait profit de sa réputation : omniprésente, omnisciente et omnipotente. Mais ses aspirations totalitaires étaient limitées par la pénurie de personnel, et c’est devenu pire pendant la guerre, » écrit-il.

Comme la guerre prenait mauvaise tournure, « les responsables du parti ont été si souvent maltraités et menacés en public, surtout dans les villes après les bombardements, qu’à la fin de l’été 1943, ils furent  nombreux à cesser de porter leur uniformes et à porter les insignes du parti en public ».

Néanmoins, les Allemands ont continué à se battre et à soutenir la guerre, malgré leurs doutes croissants. L’illusion que de supers armes secrètes allaient inverser la donne  y a peut-être contribué. Ainsi que la crainte de représailles au vu du comportement des allemands pendant la guerre, qui a certainement pesé très lourd aussi.

Même dans la défaite, devant les évidences de l’énormité de ce que l’Allemagne avait commis, des comportements très dérangeants ont persisté.

Peu de temps après la fin de la guerre, les enquêteurs des alliés ont dit que les bombardements en temps de guerre étaient perçus par beaucoup d’Allemands comme «la revanche de la communauté juive mondiale. » Des sondages d’après-guerre en 1945 et 1946 ont montré que près de la moitié de la population voyaient dans le national-socialisme «une bonne idée qui avait été mal mise en pratique ».

Et quand la guerre froide a commencé, les « vieilles élites professionnelles du troisième Reich, ont également été accueillies à bras ouvert dans l’Etat ouest-allemand. »

Aujourd’hui, il y a peu de tolérance parmi la population allemande d’aujourd’hui pour le comportement de leurs aînés pendant les années de guerre. La réponse allemande à la crise des réfugiés syriens aurait été incompréhensible pour la génération de la guerre.

Donc, en plus d’avoir écrit une histoire exceptionnelle, Stargardt a peut-être aussi permis de montrer à quel point les Allemands, et l’Allemagne, ont changé.

La guerre allemande: A Nation Under Arms, 1939-1945

Nicholas Stargardt

Dallas News

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René

J’ajouterais que parler ou écrire toujours et partout « nazi », nazisme » est la source de l’effacement de la Shoa et autres massacres….
Dans 10 ou 20 ans, les états européens et autres complices auront ainsi effacé ce qui les dérange:
les termes de « nazi », nazisme » auront rejoint « pitchi pol »
et nos descendants seront incapables de retrouver « le Naziland ».

Lazare

Les allemands ont changés : conjecture aventureuse!
Il serait intéressant maintenant d’écrire l’histoire des rapports de l’Allemagne avec les rescapés et leur descendance.
Les méthodes bureaucratiques dissuasives qui ont été employées ainsi que la complicité avec l’administration allemande de certains employés juifs des associations pour l’indemnisation…
Un trou noir gigantesque git là…

Pour ma part je considère qu’aucun compte n’est réglé.