Les classes dirigeantes avaient la mission historique, et même anthropologique, de protéger les droits élémentaires de ceux qu’ils dirigent. Le droit à un minimum d’identité et de fierté collectives en fait partie. Or, face à un mondialisme qui tend à saper toutes les racines et toute identité nationale, les « gens de la base » comprennent que leurs dirigeants, en tous les cas, ceux qui font l’opinion dominante, ont pris parti contre eux. Pire, ils infligent une condamnation morale à un sentiment naturel : le sentiment commun d’appartenance. Il faut ajouter à cela la déchristianisation et plus généralement la chute encouragée des transcendances.

La question du multiculturalisme, ce n’est pas d’abord le problème des minorités, c’est celui de nos élites. La principale source de la xénophobie en France aujourd’hui, ce ne sont pas les immigrés, c’est le terrorisme moral des lobbies antiracistes et leurs relais médiatiques. La francophobie, la haine de soi – haine de son patrimoine et de sa mémoire – qui règne au sein des élites politiques, économiques et médiatiques, a pour inévitable revers le rejet de l’autre – particulièrement dans les périodes où les sentiments d’insécurité (économique, physique, culturel) gagnent le peuple – un rejet qui peut s’exprimer hélas au sein des classes populaires, mais aussi chez les dirigeants. On n’a jamais vu un peuple qui ne s’aimait pas lui-même être capable d’aimer les autres. Roland Hureaux

Normalien et énarque, Roland Hureaux a été membre des cabinets de Philippe Séguin et Édouard Balladur et professeur associé à l’Institut d’études politiques de Toulouse.
Il a été premier adjoint du maire de Cahors de 2001 à 2003.
Agrégé d’histoire, il a publié différents essais touchant à la politique et à l’histoire, inspirés à la fois par sa connaissance de l’histoire et une large expérience administrative, diplomatique et politique. Il peut être qualifié de gaulliste, libéral et catholique.
Il est membre du comité de rédaction de la revue Commentaire et du comité scientifique de la Fondation Charles de Gaulle. Il est également chroniqueur associé à Marianne 2.

LA QUESTION DU MULTICULTURALISME EN FRANCE ET EN EUROPE

La question du multiculturalisme est au cœur du débat politique en France et en Europe. Le 17 octobre 2010, la chancelière allemande Angela Merkel faisait une déclaration très remarquée pour dire que le multiculturalisme en Allemagne était un échec. Thilo Sarrazin, qui est, lui, social-démocrate a écrit un livre-choc allant dans le même sens. Une série d’affaires a défrayé la chronique: la question des minarets en Suisse, le refus d’autoriser des mosquées en Norvège – il est intéressant de voir que ces deux pays, qui ne sont pas membres de l’Union européenne, se comportent de manière différente des pays qui en sont membres– ; en France se pose la question de la burqa , de la viande hallal et il y en a beaucoup d’autres. Tout cela semble montrer la remise en cause d’un modèle multiculturel en vigueur depuis 20 ou 30 ans et qui est encore dominant, en particulier parce qu’il a l’appui de la pensée « politiquement correcte » et qu’il exerce toujours une très forte emprise sur la classe dirigeante politique, médiatique et même économique.

Ce modèle multiculturel, on peut le décrire assez rapidement. Il comporte d’abord l’acceptation sur le territoire de l’Europe occidentale d’une immigration massive en provenance des pays du Sud (je ne parle pas des Roms qui sont du folklore !) : on en a la preuve avec la déclaration récente de Jean-Paul Delevoye, qui n’est pas n’importe qui puisqu’il était médiateur de la République, et il n’est pas de gauche – il vient de l’UMP : il a déclaré il y a quelques jours qu’il fallait 4 ou 5 millions d’immigrés supplémentaires en France pour équilibrer les comptes de la Sécurité sociale. Ce modèle comporte en même temps l’opprobre jeté sur toute revendication d’identité nationale ou européenne, qu’elle soit culturelle, religieuse ou nationale. Il est ainsi plutôt mal vu d’être en France un défenseur de la francophonie. Sur le plan religieux nous connaissons tous les débats qui ont eu lieu sur les racines chrétiennes de l’Europe, lesquelles ne sont finalement pas mentionnées dans le traité de Lisbonne. On évoquera, dans la même veine, des affaires plus récentes comme l’affaire Lautsi soumise à la Cour européenne des droits de l’homme, et où l’intervention de la Fédération de Russie a sans doute été décisive pour qu’on n’interdise pas les crucifix dans les lieux publics en Italie et dans le reste de l’Europe comme cela avait été décidé en première instance.

Il y a une autre affaire, plus récente, qui est tout à fait extraordinaire qui est celle du calendrier que la Commission européenne a diffusé à plusieurs millions d’exemplaires dans les écoles d’Europe : un calendrier avec l’estampille de l’Europe et où sont mentionnées toutes les fêtes religieuses de la planète ou presque, y compris les fêtes sikhs – et musulmanes bien entendu-, à l’exception des fêtes religieuses chrétiennes ! Monsieur Barroso s’est excusé en disant que c’était une erreur de secrétariat ! Il n’y a évidemment que les naïfs qui peuvent croire que c’était là une erreur de secrétariat : il y a derrière cette affaire une volonté claire de pédagogie, et qui dit pédagogie en la matière dit idéologie, de formater les esprits à l’absence totale, à l’arasement de l’identité européenne, et, comme on soupçonne que cette identité est tout de même un peu chrétienne, et bien , on fait comprendre aux gens que cette identité doit disparaître : on laisse les autres fêtes religieuses mais on enlève les fêtes chrétiennes.

Le corollaire de cet effacement de l’identité nationale et européenne est, au contraire, la tolérance, voire l’encouragement à l’affirmation des identités issues de l’immigration. Les modalités de cette pratique multiculturelle ont varié d’un pays à l’autre.

En Allemagne pendant longtemps, l’immigration turque, tout en étant promue dans ses valeurs propres, a été tenue à l’écart de la citoyenneté ; ce n’est que depuis une dizaine d’années qu’elle y a un accès beaucoup plus facile. Je suis allé à Berlin il y a pas très longtemps et j’ai pu constater que, à la différence de ce qui se passe à Paris, vous avez une espèce d’apartheid : des quartiers qui sont exclusivement allemands où il n’y a pas de Turcs et des quartiers turcs où il n’y a pas d’Allemands, ni d’autres immigrés ou de musulmans.

En France, il y a un certain mélange même s’il y a des spécificités de quartiers. En revanche, vous avez en Angleterre une propension au communautarisme qui est sans doute beaucoup plus forte que chez nous et qui est conforme, paraît-il, à une certaine tradition britannique ; ainsi on a pu entendre l’archevêque de Cantorbéry, chef de l’Eglise anglicane, prôner la reconnaissance de la charia par les tribunaux britanniques. De même, dans les statistiques, la police est contrainte à veiller à ce qu’il n’y ait pas trop de personnes de couleur arrêtées ou inculpées : malgré l’affaire Zemmour, nous n’en sommes pas encore là en France.

La France a en effet une certaine spécificité. D’abord certains auteurs, et non les moindres, comme Emmanuel Todd, disent qu’il y a chez nous une plus grande accoutumance historique à la diversité. C’est vrai pour les modèles de famille : la France est le pays d’Europe qui a les modèles familiaux les plus hétérogènes alors qu’ils sont plus homogènes dans les îles britanniques, en Allemagne et en Russie (ils sont également assez hétérogènes en Italie mais c’est une autre question).

D’autre part nous avons conservé de notre ancienne puissance coloniale un certain nombre de départements et territoires d’outre-mer, qui relèvent du droit français de manière presque totale mais dont la majorité des habitants est composée de gens de couleur ou de métis , territoires que l’on considère depuis plusieurs siècles comme français à part entière, alors que l’Angleterre, par exemple, a largué tous les territoires analogues qu’elle possédait aux quatre coins de la planète. Parenthèse : ces territoires permettent à la France d’être aujourd’hui la première puissance mondiale, à égalité avec les Etats-Unis, en termes de surface de la zone économique maritime. Nous avons envisagé d’ailleurs à un moment que l’Algérie aurait pu être, elle aussi, une espèce d’exception à la décolonisation et on y avait créé des départements avec des préfets et des sous-préfets et instauré un droit public entièrement identique à celui de la métropole, mais cela a échoué. En tout cas, cette prétention de la France a été une des causes de l’âpreté de la guerre d’Algérie dans sa phase ultime.

D’autre part, il y a une résistance au multiculturalisme qui s’est traduite par l’interdiction de la burqa qui, à ma connaissance, est une singularité française ; l’interdiction des statistiques ethniques et religieuses, qui a des avantages puisqu’ elle interdit d’établir les quotas de manière systématique, qui ne seraient pas forcément favorables à ce que j’appelle les « indigènes », mais aussi des gros inconvénients, puisque elle favorise la « politique de l’autruche ». Nous avons une exaltation de la laïcité qui n’a pas toujours eu le même sens. Sous la Troisième République, la laïcité était exaltée comme une machine de guerre contre la puissance jugée excessive de l’Eglise catholique ; aujourd’hui nous assistons à un retournement sémantique où la laïcité est devenue une arme contre l’islam. Il est vrai que l’étendard de la laïcité est beaucoup plus politiquement correct que ne le serait l’exaltation des racines chrétiennes ou de la tradition catholique. Il y a aujourd’hui, pour cette raison, en France, des gens qui, en réalité, défendent la tradition chrétienne mais qui se réclament de la laïcité. Pour combien de temps ? La laïcité avait été pendant longtemps un thème de gauche ; on peut se demander si dans deux ou trois ans elle ne sera pas devenue un thème de l’extrême droite ! On est, sur ce sujet comme sur d’autres, en train d’assister à une mutation assez étonnante des grands repères idéologiques de la société française.

D’autre part, il faut le dire, nous sommes, nous les Français, mais aussi tous les Européens, sous l’influence de la politique des Etats-Unis qui vise, surtout depuis que le gouvernement américain est démocrate, à encourager systématiquement le multiculturalisme en Europe. J’ai écrit il y a deux ou trois semaines un article dans Valeurs actuelles qui montre comment l’ambassade des Etats Unis à Paris a tout un programme de promotion des minorités ethniques de France, fondé sur l’idée que la France est un pays raciste et que le « grand frère » doit faire le travail d’intégration que le « petit frère » ne fait pas ! Les Américains ont même l’intention d’influencer les programmes d’histoire pour s’assurer que les minorités y aient davantage de place : l’ambassade des Etats-Unis à Paris a ainsi l’ambition de modifier notre mémoire nationale ! Ce n’est pas propre à la France, car je crois que dans le cabinet de Tony Blair il y avait des gens qui travaillaient dans le même sens – des notes rendues publiques montraient qu’il y avait un plan pour encourager le maximum d’immigration en vue de mieux détruire les traditions britanniques Tout cela ne se sait pas encore. Inutile de vous dire que le jour où les Français comprendront que les Américains les poussent à combattre l’islam en Afghanistan, tout en encourageant l’islamisme dans les banlieues françaises, l’opinion française réagira très mal. Ce n’est pas nouveau d’ailleurs : dans les affaires yougoslaves, les Américains ont systématiquement soutenu les musulmans contre les majorités chrétiennes, en particulier les chrétiens orthodoxes. Ils ont poussé, systématiquement, la Turquie à rentrer dans l’Union européenne pour qu’il y ait une grande présence musulmane dans l’espace européen, pour que cet espace européen perde donc son identité historique.

Tout cela est fondé, s’agissant de la France, sur un préjugé qui règne dans les médias et dans l’opinion publique américains – du moins chez ceux qui savent où est la France, c’est–à–dire environ 20 % de la population ! – qui consiste à croire que la France est un pays particulièrement raciste, alors que l’Amérique ne le serait pas ! C’est ignorer des faits fondamentaux. Il y a beaucoup plus de mariages mixtes en France, et je me réfère encore à Emmanuel Todd, qu’ils n’y a entre blancs et noirs aux Etats-Unis ou qu’il n’y en a entre Allemands et Turcs en Allemagne. D’autre part nous avons un système social extrêmement généreux qui ne fait aucune discrimination entre nationaux et étrangers sur la plupart des prestations sociales. Comme il est beaucoup plus généreux que la plupart des autres systèmes sociaux, et donc beaucoup moins raciste, il suscite des frustrations beaucoup plus grandes parmi les classes populaires. Je vous dis tout cela pour vous montrer que les préjugés sur lesquels est fondée la politique américaine à l’égard de la France sont des préjugés complètement infondés et extrêmement inquiétants. La société française reste éminemment fragile sur ces questions et donc souffler sur des braises qui peuvent s’allumer n’est pas convenable de la part d’un pays que l’on considère comme un allié.

Là où les partisans du multiculturalisme ont raison, c’est que, si on regarde l’histoire, le multiculturalisme dans les sociétés est plutôt la règle que l’exception. Je pourrais citer beaucoup d’exemples. L’empire romain était assurément multiculturel, l’empire arabe dans ses origines était multiculturel parce que les populations n’y ont été converties à l’islam que progressivement – l’Egypte quand elle a été conquise par les Arabes est restée à majorité chrétienne pendant deux ou trois siècles. Vous prenez la Turquie en 1910 : un tiers de la population y était encore chrétienne. L’Espagne de la Reconquista était mélangée, la Russie a été longtemps une puissance multiculturelle. Et bien entendu l’Empire des Habsbourg. C’est avec la construction de l’Etat moderne, à partir des XIVe et XVe siècle, que sont venues les politiques de « purification ethnique », en tous les cas religieuses et culturelles. Dès 1492, l’Etat espagnol, qui est en train de se constituer, exclut les juifs et les musulmans de son territoire. La France de 1789 affiche des principes universalistes admirables mais notre pays, à cette époque, était entièrement homogène sur le plan culturel et religieux puisqu’il n’y avait pas de musulmans, bien entendu, et que les juifs qui avaient été chassés de France par les Valois, par Philippe le Bel et Charles V, n’étaient pas encore, sauf exceptions, revenus. La Turquie en 1916, au moment où elle accède à la modernité, détruit sa minorité chrétienne, que cela soit par l’ exode forcé quand il s’agit de grecs orthodoxes ou que ce soit par le massacre quand il s’agit de chrétiens arméniens mais pas seulement arméniens – ce qu’on appelle le génocide arménien, c’est le génocide des chrétiens, à l’exception de catholiques et des protestants parce qu’ils étaient très peu nombreux et parce que la France et l’Angleterre n’ auraient pas laissé faire n’importe quoi ! Mais pour le reste c’est une opération extraordinaire de purification ethnique. Il y en a d’autres. Vous avez l’Algérie de 1962 qui chasse les chrétiens et les juifs pour assurer que le pays soit entièrement musulman et, bien entendu, nous avons le cas de l’Allemagne nazie qui a cherché par des moyens sinistres que vous savez d’appliquer la « solution finale » à la seule minorité qui existait en Allemagne (et d’ailleurs pas seulement en Allemagne) qui était la minorité juive.

Mais la plupart du temps, le multiculturalisme dans l’histoire s’inscrit dans un modèle non pas national mais impérial. L’empire romain était d’autant plus tolérant qu’il était un empire, les empire coloniaux, anglais ou français, étaient d’autant plus tolérants à la diversité qu’ils étaient des empires et qu’il y avait donc une culture dominante, hégémonique, et une culture dominée qui était la culture des colonies. La distinction entre la culture dominante (disons de référence) et les autres n’est pas d’abord une affaire de nombre. Le statut de dhimmi, dans les premiers temps de la conquête arabe, était conféré à une population chrétienne majoritaire mais qui n’avait plus le pouvoir. En Côte d’Ivoire où la moitié de la population est chrétienne et l’autre moitié musulmane, au temps d’Houphouët-Boigny, du fait que les chrétiens étaient beaucoup plus instruits, tout le pouvoir leur revenait. Les musulmans étaient dans une situation de dhimmitude de fait, mais ils n’étaient pas minoritaires. Vous avez aussi des exemples d’une très forte minorité qui impose de fait sa culture. Aux Etats Unis, vous avez, depuis l’origine, de très fortes minorités, les noirs, les indiens – qui d’ailleurs étaient la majorité il y a trois siècles -, vous avez aussi les différentes vagues d’immigrés, mais vous avez un noyau dur, les WASPS (White anglo-saxon protestants) , qui ne sont pas majoritaires mais qui ont une culture dominante. Il y a un lien intrinsèque entre l’ouverture de la société américaine et la suprématie incontestée de l’american way of life porté par la minorité WASP.

L’hégémonie d’une culture n’est pas une affaire de nombre ; elle n’est pas non plus une affaire de lois. Le monde musulman (et, jusqu’à un certain point, la chrétienté médiévale) est le seul à avoir codifié cette relation de dominance avec le concept de dhimmitude. Mais vous avez aussi des exemples de dhimmis qui ne sont pas inscrits dans les textes, les noirs aux Etats-Unis par exemple entre la guerre de sécession et l’émancipation des années soixante et peut-être encore aujourd’hui, malgré le phénomène Obama. En URSS, il n’était écrit nulle part que les Russes étaient plus soviétiques que les autres, il n’en demeure pas moins qu’il y avait une hégémonie dans l’espace soviétique de la culture russe comme il y a toujours une hégémonie de la culture WASP aux Etats Unis.

Alors, où est le problème aujourd’hui puisque le multiculturalisme existe dans l’histoire ? En Europe occidentale, et même en Russie, d’après ce que je viens d’entendre dans la bouche du premier intervenant, le procès qui est fait au peuple originel, ce n’est pas d’abord d’être xénophobe, c’est d’être hégémonique tout simplement. Or, ce que craint une partie des populations occidentales, ce n’est pas tellement l’étranger en tant que tel ou l’immigration en tant que telle, c’est la crainte d’être réduite à une situation de dhimmitude, non pas numériquement, ni juridiquement mais dans la conscience collective. C’est là que réside, à mon sens, le problème. Mais si ce n’est ni le nombre ni la loi qui définit le rapport entre la majorité et la minorité, c’est quoi ? Ce qui fait la distinction, c’est un peu l’argent mais c’est surtout l’appui des médias, c’est-à-dire le nouveau pouvoir spirituel qui a remplacé le pouvoir du pape et celui des évêques, et même celui des intellectuels à l’ancienne comme il y en avait en France et en Russie au XIXe siècle. On a vu avec l’affaire Zemmour que les minorités, même si elles ne représentent que 5 % ou 10 % de la population, dès qu’il y a une situation conflictuelle quelque part, bénéficient de l’appui massif, non pas de tous les médias mais de 90% d’entre eux, à droite comme à gauche. Cela a pour effet une profonde déstabilisation et un sentiment d’insécurité de la partie dite indigène de la population, car les médias, c’est la classe dominante.

Les classes dirigeantes, les « chefs du peuple » comme dit la Bible, ont la mission historique, et même anthropologique, de protéger les droits élémentaires de ceux qu’ils dirigent. Le droit à un minimum d’identité et de fierté en fait partie. Or, face à un mondialisme qui tend à détruire toute identité (de manière significative, l’islam est soutenu en Europe où il est désintégrateur et combattu en Afghanistan où il est intégrateur), les gens de la base ont l’impression que leurs dirigeants, en tous les cas, ceux qui font l’opinion dominante, prennent parti contre eux, pire, qu’ils infligent une condamnation morale à un sentiment naturel. Leur désarroi est profond.
Vous ajoutez à cela la déchristianisation. Il est clair que si l’Eglise catholique en France était pleine de dynamisme, il n’y aurait pas ce sentiment d’insécurité qui existe dans une partie de la population française. Entre nous, un revival catholique rassurerait aussi un certain nombre de laïques qui sont en train de perdre le punching ball qu’ils trouvaient dans l’Eglise catholique et qui en cherchent un autre dans l’islam.

Vous avez aussi les évolutions démographiques qui sont un peu moins dramatiques en France qu’elles ne le sont en Russie ou en Allemagne mais qui sont très défavorables à la population originaire. Vous ajoutez par-dessus cela la crise économique, qui n’a jamais rendu les gens très heureux, et enfin un certain discours islamiste qui ne représente peut-être pas l’opinion majoritaire des musulmans mais qui fait beaucoup de bruit et cause beaucoup d’anxiété. Il y en France une minorité chinoise, mais il n’y a pas de représentant de cette minorité qui dise que les Chinois vont bientôt être majoritaires en France, alors qu’il y a des islamistes qui le disent : or, il suffit de quelques uns pour susciter un profond sentiment d’insécurité et d’anxiété dans une partie de la population. Vous ajoutez à cela le fait que ceux qui sont angoissés sont dénoncés par les pouvoirs dominants comme racistes, comme xénophobes ou comme populistes et vous avez un cercle vicieux, c’est-à-dire que cette dénonciation les renforce dans leur angoisse et dans leur sentiment de marginalité. J’oserais dire que la principale source de la xénophobie en France aujourd’hui, ce ne sont pas les immigrés, ce sont les lobbies prétendus antiracistes mais qui ne sont pas seulement des lobbies nationaux – j’ai évoqué tout l’heure la dimension internationale. Il est d’ailleurs assez logique qu’il y ait un lien entre la haine de soi – la haine de son patrimoine et de sa mémoire – qui existe dans une partie de la classe dirigeante et la haine des autres qui peut s’exprimer dans une partie des classes populaires – mais aussi dans la classe dirigeante. La haine est une et elle ne se divise pas. On n’a jamais vu un peuple qui ne s’aimait pas lui-même être capable d’aimer les autres. L’Evangile dit « Aimez votre prochain comme vous vous aimez vous même », mais si vous vous détestez vous–même, comme l’opinion dominante vous y incite, vous êtes totalement impuissant à aimer les autres.

En conclusion, l’Europe multiculturelle me paraît inévitable de quelque manière qu’on s’y prenne. Le problème ne me paraît pas tellement résider entre la majorité et les minorités, il me paraît interne à la majorité, interne plus particulièrement à la classe dirigeante. Je parle de classe dirigeante au sens large : pas tant une classe politique largement discréditée que les hommes de média, les artistes, les people, qui se tiennent sur le devant de la scène et les grands intérêts dont ils sont le plus souvent les interprètes. Quand les classes populaires européennes auront le sentiment d’être appuyées par leur classe dirigeante, comme cela se passe en Russie, ou la majorité de la classe dirigeante ne semble pas douter des racines slaves et orthodoxes de la Russie – alors que si vous dites que la France a des racines gallo-romaines et chrétiennes, vous êtes tout de suite voué à l’anathème – , je pense que, ce jour là, le peuple français acceptera beaucoup plus facilement les minorités et le multiculturalisme. La question du multiculturalisme, ce n’est pas d’abord le problème des minorités, c’est celui de nos élites.

Roland HUREAUX
Son blog

NDLR – Ceci est un point de vue dont nous ne partageons pas tous les termes, mais qui est une analyse intéressante.

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