C’est à Deoband, à 160 km de Delhi, qu’est installée la plus prestigieuse école coranique (madrassa) d’Asie. Celle-là même qui, fondée en 1866, a donné naissance au courant deobandi, dont se réclament certains fonda- mentalistes. Depuis le 11-Septembre, elle est sous haute surveillance.

Dans une bourgade rurale et quelconque, essentiellement musulmane, un panneau en fer rouillé indique le long d’une route poussiéreuse «Darul Uloom Deoband». Après 50mètres sur un chemin en terre, une grande arche d’architecture moghole marque l’entrée de la madrassa. Partout, de jeunes étudiants souriants, tous vêtus de la salwar kameez (pantalon bouffant et tunique longue) et coiffés du kéfir vont et viennent, déambulant dans ce bel et imposant édifice du XIXe.

Les renseignements indiens rôdent

Rendez-vous est pris avec le mollah Marghub ur Rehman, qui, à 70 ans passés, dirige toujours Deoband. Il accueille chaleureusement le visiteur dans son modeste bureau, à même le sol, sur un tapis et des coussins, comme le veut la tradition. «Nous sommes une madrassa historique et modèle, régulièrement visitée par les plus hautes autorités indiennes. Les étudiants du monde entier aimeraient venir ici», annonce-t-il fièrement mais avec un ton laissant à penser qu’il cherche à se défendre… Avant même d’engager la discussion, il tend un document intitulé: «Le véritable esprit de Deoband», qu’il remet à tous ses interlocuteurs à leur arrivée.

Aux premières lignes, on lit: «Toute suspicion d’islamisme à notre égard est une manipulation des juifs et des Américains, afin de servir les intérêts occidentaux». Un peu plus loin: «Nous n’avons que des élèves pacifiques et aucun ne travaille pour l’ISI», les renseignements pakistanais proches de certaines factions islamistes et talibanes. Sur six pages, le document répète en boucle que Deoband n’est pas un foyer de l’islamisme. Pendant des décennies, des groupes islamistes d’Afghanistan, du Pakistan et du Cachemire ont clamé leur appartenance spirituelle à Deoband, fondée par le mollah Mohammed Qassim Nanautvi en 1866.

Depuis le 11-Septembre, et plus encore depuis les attentats de Bombay de 2008, cette madrassa est sous la surveillance des renseignements indiens. «Ils rôdent… On se méfie des musulmans qui travaillent pour les renseignements. C’est pour ça qu’on vérifie et enregistre l’identité de chacun de nos visiteurs», avoue le mollah.

Prisée par les mollahs et les étudiants

Prestige et renommée obligent, Deoband a attiré des mollahs du monde entier. Pendant des années, la madrassa al-Azhar duCaire, la plus prestigieuse au monde, a envoyé ses étudiants se former ici. «On a toujours eu beaucoup de mollahs d’Égypte et d’Indonésie, qui venaient surtout enseigner les fatwas et la loi islamique. Mais depuis les attentats de Bombay, l’Inde donne les visas au compte-gouttes, autant pour ceux qui veulent venir que pour nos professeurs qui veulent aller dans des madrassas étrangères. Notre dernier invité venait d’al-Azhar, il y a trois ans…». Idem pour les étudiants. «Il y en a 15 au maximum alors qu’avant ils représentaient près de 10% de nos effectifs. Ils venaient de Turquie, d’Indonésie, du Pakistan, du Moyen-Orient…».

Pour éviter toute dérive islamiste possible, New Delhi a en effet durci les obtentions de visas. D’autant que Deoband est soupçonnée d’essaimer «illégalement» sur le territoire avec 30.000 madrassas revendiquant leur appartenance sans être enregistrées. «Oui, car il faut un document officiel dont on n’a pas besoin à mon sens pour enseigner l’Islam», se défend le mollah ur Rehman. Et de poursuivre: «Plus de 100 sont rattachées officiellement».

Une fatwa récente

Un département ne laisse pas le visiteur indifférent: celui du prêche et de la propagation, actes-clés du deobandisme, prosélyte. «C’est exclusivement réservé à nos professeurs pour qu’ils aillent transmettre en Inde et dans le monde le message et l’esprit de l’Islam de Deoband». De quoi inquiéter les renseignements indiens soucieux de liens possibles avec certains fondamentalistes et talibans pakistanais se réclamant du deobandisme.

«Ces deobandis n’ont rien à voir avec nous! Comment peut-on être responsable de leurs activités? On était d’ailleurs contre la création du Pakistan en 1947. On a toujours défendu les valeurs de l’union indienne», s’énerve le responsable de la madrassa. Pourtant, l’école a récemment prononcé une fatwa contre les musulmans utilisant des produits américains après qu’ils ont déclaré la guerre aux talibans, en 2001.

«Les talibans ont apporté la paix en Afghanistan et fait ce qu’il fallait pour protéger l’Islam sous l’assaut des juifs et des Américains». Et à Delhi, si on demande à l’imam Ahmed Ilyasi, à la tête de l’organisation de tous les imams et mosquées d’Inde, ce qu’il pense de Deoband, il se contente de répondre: «Allez-y et vous verrez de vous-même». Une réponse qui en dit long sur son scepticisme discret…

De notre correspondante, Pauline Garaude – TELEGRAMME.COM Presse

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