A l’image de ces rabbins-savants juifs espagnols du Moyen-âge, Emeric Deutsch z.l. qui nous a quittés ce dimanche, fut à la fois un « Talmid h’akh’am » en Thora et un « Maskil » de par ses vastes connaissances scientifiques, philosophiques et littéraires, selon les termes utilisés par le Rabbin Daniel Gottlieb, qui a prononcé son oraison funèbre au cimetière de Guivat Shaoul à Jérusalem.

Malgré la proximité de quelques heures à peine entre son décès et son enterrement, la nouvelle s’est répandue à la vitesse de l’éclair et une immense foule avait réussi à se rendre à la cérémonie, tant Emeric Deutsch z.l. a marqué son époque, et tant il fut connu et aimé. Le Rabbin Gottlieb soulignait également la rare particularité d’Emeric Deutsch z.l. « de réunir dans sa personne tous les qualificatifs laudatifs qui sont généralement utilisés en de pareilles circonstances, tant sur le plan intellectuel que moral, tant dans la sphère familiale que dans le domaine religieux » : guide, dirigeant communautaire, juste, rigoureux, bon mari et bon père, instruit, persévérant, honnête, aimable, pédagogue, bâtisseur…

Prenant ensuite la parole, le fils aîné du défunt complétait le tableau avec de nombreux exemples empruntés à la vie d’Emeric Deutsch z.l.. L’un des moments les plus émouvants et prenants de ce « hesped » fut sans conteste le récit des circonstances par lesquelles Emeric Deutsch z.l et un groupe d’amis furent sauvés de la mort durant la Shoah. Natif de Budapest en 1924, Emeric Deutsch, âgé de 15 ans au début de la guerre, fut transféré dans un camp de travail avec d’autres Juifs hongrois. Le jour de Tish’a Beav (9 av), ils allèrent demander à l’officier de faction le droit de jeûner toute la journée. Ce dernier acceptait à la condition « que leur productivité au travail reste la même durant cette journée ». Afin de ne pas risquer inutilement leur vie, ils se mirent à travailler avec d’autant plus d’ardeur et produisirent encore plus que d’ordinaire, tout en jeûnant. Durant la journée, le chef d’un autre camp de travail se présenta sur les lieux et vit ce groupe de jeunes travailler avec entrain. Cherchant de la main d’œuvre pour ses propres fabriques il demanda à l’officier du camp « qui étaient ces jeunes qui semblaient en si grande forme ? » « Des Juifs ! » lui répondit l’officier, « Tu peux les prendre si tu veux ». Ce qu’il fit. Emeric Deutsch z.l. et ses amis furent transférés dans un autre camp, et ils furent les seuls qui survécurent. Tous ceux qui restèrent dans le camp furent envoyés sur le front de l’Est et ne revinrent jamais. Le souvenir de la Shoah resta d’ailleurs un aspect inséparable de son être et de son action, tant dans son engagement juif et communautaire que dans son parcours universitaire et scientifique.

Lorsqu’il s’installa à Paris après la guerre il entreprit simultanément des études supérieures tout en participant activement à la reconstruction de la Judaïcité française meurtrie, et dont la plupart des cadres avaient disparu dans la tourmente. C’est ainsi qu’il fut parmi les fondateurs de la communauté de « Montevidéo » dans le 16e arrondissement.

Toute la vie d’Emeric Deutsch fut une harmonie exemplaire entre une carrière professionnelle brillante – dans le domaine de la psychanalyse et de la psychologie sociale – un vécu religieux profond et intense, aussi bien par sa rigueur rituelle que par l’étude et l’enseignement assidus de la Thora, et également une vie familiale riche et chaleureuse, auprès de son épouse et des ses trois enfants. Trois vies – et plus – en une, qui font dire à son fils, à juste titre « qu’il fut un véritable monument », aimé, admiré et respecté à la fois.

Emeric Deutsch z.l. eut aussi le mérite de pouvoir réaliser son plus grand rêve : monter en Eretz Israël, à Jérusalem, et y voir ses enfants revêtir l’uniforme de Tsahal, superbe et douce vengeance pour lui qui avait traversé les années sombres lors desquelles les Juifs étaient sans défense. Et il pouvait enfin diffuser son enseignement de la Thora depuis la plus haute cime du monde : Jérusalem.

Emeric Deutsch z.l. aura sans conteste été l’une des figures les plus marquantes du Judaïsme français de l’après-guerre. Sa manière d’être homme et d’être Juif auront été un véritable « Kiddoush Hashem », une Sanctification du Nom Divin, tant au sein de son peuple que parmi les non-juifs envers lesquels il propageait le regard avant-gardiste de la Thora sur les problèmes les plus actuels de nos sociétés modernes.

Emeric Deutsch z.l. un Juif et un Homme authentiques. Un « Mensch », qui laissera un grand vide dans la communauté juive de France et dans le peuple juif tout entier.

Yehi Zikh’ro Baroukh’

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